À partir de 1967, François et Betty Catroux – icône de la mode androgyne, à la remarquable silhouette longiligne – forment le couple mythique de Paris. « Mes soirées commençaient à s’animer dès que Betty et François entraient dans la pièce », affirme Danielle Steel, la romancière au succès international. « Il avait une élégance innée, qui n’appartenait qu’à lui, tout comme ses yeux ou son éblouissant sourire plein de chaleur. » Rares étaient ceux qui n’étaient pas immédiatement séduits. « François a conçu tous mes intérieurs, me procurant énormément de bonheur », se souvient Diane von Fürstenberg. « Éclectique dans ses choix d’objets, avec une recherche obsessionnelle de symétrie, il avait un véritable sens du luxe et du confort. » Marie-Chantal de Grèce, quant à elle, l’a rencontré pendant son enfance. Elle avait été frappée par l’anglais impeccable de François Catroux, qu’il parlait avec un accent français à couper au couteau, et aussi par son charme. « Il conduisait une Bentley et avait une chevelure incroyable. Malgré notre différence d’âge, nous sommes devenus de grands amis. Nos bavardages me manquent. Il me faisait tellement rire. » Madison Cox, paysagiste et veuf de Pierre Bergé, se souvient de la rigueur et de la discipline de François Catroux. « Même s’il avait l’air d’un play-boy bronzé de la Côte d’Azur, il était incroyablement sérieux et assidu lorsqu’on travaillait avec lui. »
« François a conçu tous mes intérieurs, me procurant énormément de bonheur »
C’est en 1977 que Madison Cox, qui dirige aujourd’hui la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent, a rencontré le couple Catroux. « J’adore Madison, c’est comme s’il faisait partie de la famille », déclare Betty Catroux. « Comme mes filles Maxime et Daphné, mes petits-enfants et Jean-Charles de Ravenel (son meilleur ami). » Cox et elle prennent un verre dans son appartement de la rue de Lille. Il ne craint pas de taquiner la féline et fougueuse Betty, qui s’en amuse beaucoup. Leur relation est aussi drôle qu’authentique. « Madison est la seule personne à connaître notre appartement au bord de la mer et à y avoir séjourné. » Cet appartement est la dernière création de son défunt mari, un superbe duplex au palais Maeterlinck, mis en vente par Sotheby’s Côte d’Azur. Commencé en 1913 par le célèbre architecte britannique W. H. Romaine-Walker et son associé Gilbert H. Jenkins (le duo s’est fait connaître par ses extensions de la Tate Gallery), cet imposant bâtiment néoclassique domine la baie des Anges. « C’est l’un de ces anciens hôtels-palais qui ont été transformés en appartements incroyables », précise Cox, avec « ses immenses arches », « sa piscine de taille olympique » et « sa plage privée », qui lui rappellent l’hôtel du Cap-Eden-Roc à Antibes. « L’appartement est superbe, la vue sur la mer est sensationnelle. On y voit la Méditerranée à perte de vue », s’exclame Betty Catroux en écartant ses longs bras minces, pour souligner ses propos. Pourtant, c’était le projet de son mari, pas le sien. « Je me suis rendu compte que François était très ému par cette idée, aussi je ne l’ai jamais contestée, ni remise en question. Il réalisait son fantasme de posséder une maison dans le Midi. Il voulait finir ses jours au bord de la mer. »
« Yves était pareil », note Madison Cox. Comme François, son ancien camarade de classe originaire d’Oran, en Algérie, Yves Saint Laurent est né et a grandi au bord de la Méditerranée, en Afrique du Nord. L’un et l’autre en ressentaient une grande nostalgie. « Tanger ressemblait beaucoup à l’Algérie », explique Madison Cox. Saint Laurent avait sa maison de vacances à Tanger, la villa Mabrouka. « Yves y passait ses journées à regarder la mer. »
Daphné Catroux, la cadette de Betty, a bien connu cet appartement au palais Maeterlink. « Il portait la signature de François : tout en blanc, beige et noir, avec un mobilier merveilleusement élégant. » Des liens renoués avec une histoire familiale. « Ma grand-mère avait une maison sur la Côte d’Azur, non loin de là, et mes parents s’y sont mariés en 1967. »
Betty Catroux se souvient de « la ravissante petite église » de Saint-Jean-Cap-Ferrat, et que François et elle avaient emprunté leurs tenues de mariage. « Nous n’avions pas d’argent. C’était l’hiver, André Oliver de Cardin m’avait prêté un manteau de fourrure noir et blanc et François portait la veste à col Mao de Georges Feruch. » L’année suivante, la carrière de son mari soudain s’envole, après qu’il a transformé un palazzo milanais en showroom futuriste et minimaliste pour la créatrice de mode Mila Schön.
Betty Catroux ne s'est jamais mêlée de la carrière de son mari. Elle affirme crânement n’avoir jamais mis les pieds dans son bureau, et ne l’avoir jamais accompagné en voyage d’affaires. « Je me serais ennuyée à mourir, et ses clients aussi. Quel intérêt d’avoir une épouse qui boude dans son coin ? » À l’ère de l’autoglorification, Betty Catroux oppose un sens de l’autodérision rafraîchissant. Néanmoins, Madison Cox, toujours positif, ne l’entend pas de cette oreille. « François s’en remettait à Betty, tout le temps. Elle le protégeait. » Devant notre insistance, Betty Catroux admet seulement avoir « du flair pour la perfection ». « François avait un goût si parfait ! Très pur d’esprit, il était très moderne. » Maxime Catroux, leur fille aînée, confirme que le lien profond entre Betty et François reposait sur leur amour extraordinaire et une même appétence pour la beauté en toutes choses.
Interrogée sur sa légendaire relation avec Saint Laurent, Betty répond : « C’étaient des fous rires toute la journée. » En fait, c’est le charismatique couturier qui recherchait sa compagnie, non l’inverse. « Je ne l’appelais jamais car quand on lui demandait “comment ça va ?”, il répondait toujours : “très mal”, et ça me rebutait. » Curieusement, ils parlaient d’eux-mêmes, jamais de mode. « Ce sujet ne m’intéresse pas du tout. » Pour autant, pour Pierre Bergé, « Betty incarnait la femme idéale selon Yves ». Cette femme idéale a récemment offert à la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent quatre cents pièces de haute couture. « C’est incroyablement généreux de sa part. La plupart de ces créations n’ont été portées qu’une seule fois », déclare Cox.
François Catroux avait conçu un dressing au rez-de-chaussée de l’appartement pour les pièces de haute couture. « Il était tellement précis et organisé, alors que je ne le suis pas du tout. Comment je range mes jeans et mes T-shirts ? Je les jette dans l’armoire. » Autre différence entre eux, son penchant pour les voitures de sport. François Catroux possédait une Aston Martin Vanquish noire décapotable et deux voitures de sport décapotables Mercedes-AMG. « Je n’entrais pas dedans tellement j’avais honte. Je déteste les voitures et si elles sont voyantes, je meurs. » À sa grande horreur, François Catroux les conduisait à travers Lourmarin, le ravissant village jouxtant Les Ramades, leur maison d’alors en Provence. « En décapotable avec la musique à fond ! », se souvient-elle.
Cependant, Betty Catroux appréciait sa curiosité pour l’art contemporain, sa passion dévorante pour toutes les périodes artistiques. « Cette sculpture a été son dernier achat », dit-elle en montrant du doigt la forme abstraite de Tony Cragg, placée en face du singe en bronze de François-Xavier Lalanne. Cox se souvient d’un voyage sur la côte ouest américaine : « François faisait le tour des galeries d’East Los Angeles. Il était tellement ouvert d’esprit ! »
Quant à la vente de ces biens, Betty Catroux dit ne ressentir aucun attachement matériel pour eux. Uniquement de la fierté pour les choix de son mari. « Tout est splendide, mais je suis bien d’accord avec Pierre (Bergé), c’est formidable de laisser les choses avoir une autre vie. La vente est pour mes filles. Je suis tout excitée, d’une humeur de rose ! »