D epuis le début du XXe siècle, chaque édition des Jeux olympiques donne lieu à la commande d’affiches très médiatisées célébrant l’esprit de la compétition. Plus récemment, les affiches officielles des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 dessinées par l’illustrateur parisien Ugo Gattoni ont été dévoilées au Musée d’Orsay. « C’est un nouveau temps fort dans l’histoire de Paris 2024 », a expliqué Tony Estanguet, président de Paris 2024. « Nous avons essayé d’adopter une approche différente et d’imaginer des affiches qui nous ressemblent, qui vont au-delà d’un logo. » Au fil des années, nombre d’artistes internationaux reconnus ont été invités à créer des représentations iconiques pour la postérité, à l’instar de Robert Rauschenberg (Los Angeles 1984), Antoni Tàpies (Barcelone 1992), Beatriz Milhazes (Rio 2016), Rachel Whiteread, Bridget Riley et Chris Ofili (Londres 2012), pour ne citer qu’eux.
Pinnacle of Human Expression in Sports and Art | Zao Wou-Ki’s 04.10.85
Les Jeux olympiques de Séoul 1988 avaient pour devise « Harmonie et progrès ». Une année qui marque l’entrée de la Corée du Sud dans une nouvelle ère, mais aussi un tournant dans l’histoire mondiale, survenant 35 ans après la guerre de Corée et à la fin de la guerre froide. Alors à l’apogée de son art, Zao Wou-Ki fait partie des quelques légendes de l’art contemporain invitées à créer une œuvre représentant l’esprit solidaire de cette nouvelle ère et le cheminement de l’humanité vers un avenir meilleur. Ces artistes sont originaires des quatre coins du monde. L’affiche de Zao Wou-Ki rejoint celles de Kazuo Shiraga, artiste japonais et membre du mouvement Gutaï, de Victor Vasarely, artiste franco-hongrois reconnu comme le père de l’art optique, d’A.R. Penck, néo-expressionniste allemand, et de Rufino Tamayo, peintre folklorique mexicain.
L’affiche que Zao Wou-Ki imagine pour les Jeux de Séoul 1988 est une adaptation de son œuvre 04.10.85, créée deux ans plus tôt. Dans les années1980, période que l’on considère aujourd’hui comme le sommet de sa carrière, l’artiste renoue avec ses origines. Loin du jeune candide indécis arrivant sur les côtes françaises en 1948 en quête de son langage artistique et de son identité culturelle, Zao Wou-Ki demeure un grand nom de l’art qui a su conjuguer les innovations, les traditions et les cultures d’Orient et d’Occident, tout en parvenant toujours à les transcender. Il a vécu à Paris dans les années 1950 puis parcouru l’Europe et l’Amérique dans les années 1960 et 1970, découvrant l’écriture ossécaille et l’univers mystique de Paul Klee, avant de se consacrer pleinement à l’art abstrait. Sa première rétrospective, présentée en 1981 aux galeries nationales du Grand Palais, à Paris, est ensuite reprise au Japon, à Hong Kong, à Singapour, à Taïwan et en Corée où elle rencontre un franc succès. Mais surtout, elle signe le retour de l’artiste sur sa terre natale, après de nombreuses années d’absence. Chaleureusement accueilli, Zao Wou-Ki fait escale à Pékin, à Shanghai, à Hangzhou et à Xi’an. Le ministre chinois de la Culture l’invite à exposer ses œuvres en Chine continentale en 1983, au Musée d’art national de Chine de Pékin, ainsi que dans son ancienne école à Hangzhou, qui accueille aujourd’hui l’Académie des arts de Chine. En 1985, on lui propose d’enseigner la peinture dans son alma mater. Là où autrefois il aurait hésité à intégrer des motifs et techniques traditionnels chinois, de peur que son art soit considéré comme la chinoiserie d’un jeune émigré parisien, Zao Wou-Ki revendique désormais son héritage, comme en témoignent ses œuvres abstraites des années 1980.
04.10.85 associe la calligraphie chinoise traditionnelle et la peinture shanshui à des gestes inspirés de ses contemporains expressionnistes abstraits. Les traits noirs et les passages de lavis délicats exécutés à l’huile occidentale selon les techniques de l’encre de Chine traditionnelle évoquent la lueur rosée de l’aube qui transparaît derrière des branches nébuleuses entremêlées, dissipant le brouillard du passé. Ici, l’artiste retrouve le paysage intérieur profond idéalisé par les peintres lettrés chinois à travers les âges. « J’ai peut-être mûri à cette époque, j’ai peint ma vie, mais je voulais aussi peindre un espace invisible à l’œil, un espace onirique », raconte Zao Wou-Ki. À travers la lumière et l’espace, 04.10.85 naît de l’énergie frénétique de la « période de l’ouragan » de l’artiste pour parvenir à une vision poétique et sublime d’un univers dans lequel « la forme est le vide et le vide même est la forme », selon le Sūtra du Cœur, célèbre texte sacré étudié par les adeptes du bouddhisme de l’Asie de l’Est. C’est une facette brute et intime de la créativité spirituelle qui se manifeste dans 04.10.85, pour lui conférer un charme universel aussi captivant qu’intemporel, au-delà des codes culturels.
« En tant que peintre, il faut maîtriser les lignes et les couleurs, mais avec une émotion sincère, qui réside au plus profond du cœur. Un bon tableau doit être harmonieux dans sa forme et son contenu. Le peintre se contente de se servir des lignes et des couleurs pour exprimer ses sentiments. L’“univers” qu’il crée doit être le sien, et donc évoluer au gré de ses ressentis. C’est une “évolution” perpétuelle. »
L’histoire que raconte 04.10.85 transcende celle des origines fascinantes de son créateur. Cette œuvre marque la transition entre l’ancien et le nouveau monde, ouvrant la voie d’un espoir en l’avenir caractérisé par une universalité inédite et émouvante.