V oici qu’apparaît une bibliothèque peu connue, mais déjà renommée. Monsieur Hubert Heilbronn décide de cueillir une corbeille de fruits de son immense verger et de la présenter à la délectation de ses compagnons bibliophiles pendant la vente Bibliothèque littéraire Hubert Heilbronn qui aura lieu ce 11 mai.
Il n’est pas le seul à le faire, et peut se recommander de Nodier, de Pixérécourt, du baron Pichon. Chacun a dû se trouver dans ce cas devant un choix embarrassant qui n’existe pas pour la vente de l’ensemble d’une bibliothèque. Quels volumes choisir et pour quel objectif : le succès de la première vente, la réputation du reste de la bibliothèque, le remplacement de certains exemplaires par de meilleurs, ou simple élagage ?
D’emblée, l’amateur s’apercevra qu’ici tous les objectifs sont atteints à la fois et découvrira un pan d’une remarquable construction, un rayon d’une grande bibliothèque judicieusement réunie. Les critères de choix ne sont pas spécialisés par thème (histoire, poésie, fiction, beaux-arts), ni par époque, ni par la somptuosité de l’objet-livre, ni par les critères classiques de l’édition originale, de la reliure ou de la dédicace. Ils se retrouvent croisés dans bien des numéros du catalogue et complétés par des lettres truffées ou jointes, avec parfois un goût assez nouveau pour le livre simple, tel que paru, en cartonnage d’origine.
En revanche, une constante se retrouve dans tous les numéros et touchera les amateurs, c’est la qualité bibliophilique. Elle résulte de l’intérêt littéraire de l’œuvre, de la découverte de sa provenance, de la relation toujours intéressante entre l’auteur et le dédicataire, des corrections et annotations manuscrites, des documents ajoutés. Tous les livres sont donc singuliers, parce que localisés chronologiquement, littérairement et personnellement.
Quelques exemples illustrent ce caractère : La Vie de Saint Louis de l’abbé de Choisy, 1689, aux armes du Régent avec l’ex-libris de Georges Pompidou ; Madame de Staël, De l’Allemagne, 1814, annoté par Stendhal ; Chateaubriand, sur la mort du duc de Berry, 1820, aux armes de la duchesse de Berry, avec quatre lettres de Chateaubriand et de la famille royale relatives à l’évènement ; Balzac, la première édition de La Princesse de Cadignan, 1840, reliée pour lui, exemplaire de Paul Bourget annoté par lui ; Alexandre Dumas, L’Orestie 1855, dédicace émouvante « à la mort et à l’exil, au duc d’Orléans et à Victor Hugo ».
Les livres présentés ne se signalent pas seulement par leur qualité bibliophilique, mais aussi parce qu’ils révèlent très clairement les choix littéraires du collectionneur. Son auteur préféré est à l’évidence Marcel Proust, vingt-six numéros du catalogue lui sont consacrés, parmi lesquels la rare revue Le Banquet, 1892, contenant dans ses huit numéros, huit articles de Proust où l’on peut voir « le germe de la Recherche » ; existe-t-il une relique plus émouvante que Du côté de chez Swann, 1913, offert par Céleste Albaret à Jacques Guérin qui le relia dans l’étoffe du couvre-lit de Proust ? Bien d’autres éditions et manuscrits offrent le privilège d’entrer dans l’intimité de l’auteur, de sa création, de ses relations.
Le second écrivain préféré est sans doute Stendhal, à moins que ce ne soit Victor Hugo. Tous deux figurent avec de prestigieuses originales et lettres manuscrites. L’un avec La Chartreuse de Parme, 1839, des Goncourt, l’originale de Le Rouge et le Noir accompagné d’une lettre à son ami Fiore dont il fit un de ses personnages. L’autre avec les Nouvelles odes, 1824, dédicacées à Vigny, Les Orientales, 1829, à David d’Angers, Littérature et Philosophie mêlées, 1834, à Sainte-Beuve, des envois et surtout des lettres à Juliette Drouet.
Il faut s’arrêter là pour ne pas suffoquer, mais les favoris suivants sont Balzac, Barbey d’Aurevilly, Mérimée, Verlaine et plus près de nous Apollinaire, Aragon, Valéry, Breton, Cocteau, René Char, Julien Gracq.
La sûreté et la distinction du goût littéraire se déduisent de ce simple aperçu. Mais ce n’est pas tout. Il faut ajouter le travail de recherche et de documentation, le savoir d’enrichir par des épreuves corrigées, des paperoles (Paul Éluard), les reliures dont celles de Jean de Gonet ; les dessins et gravures.
Et ce qui n’apparaît pas est peut-être le plus intéressant. L’important n’est pas l’apparence des volumes mais la sélection des livres, le bonheur des choix et l’admiration des œuvres. La bibliothèque Hubert Heilbronn en entier n’est pas dévoilée. Ce qui est présenté ici est un bouquet avec son parfum, un message d’affinités, une invitation au voyage dans la création littéraire, assurément la quintessence de la bibliophilie.