La Collection Michel Lequesne

La Collection Michel Lequesne

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Statue, Bamana, Mali | Bamana Figure, Mali

Auction Closed

June 5, 02:55 PM GMT

Estimate

100,000 - 150,000 EUR

Lot Details

Description

Statue, Bamana, Mali


haut. Height 88,5 cm ; 34 6/8 in


Bamana Figure, Mali 

Collection Dr. Pierre Harter (1928-1991), Paris

Christie’s, Paris, Art africain, océanien et précolombien, 10 décembre 2003, n° 165

Alain Bovis, Paris

Collection Michel Lequesne, Paris, acquis au précédent en 2007

Harter Pierre, "les Bambara", dans Primitifs, 1991, n° 4 : p. 46, n° 11.

Bovis Alain, Bambara, Dogon, Sénoufo, 2005 : p. 22, n° 9.

Martinez-Jacquet Elena, « De la peinture à l’Afrique : conversation avec Michel et Natacha Lequesne », Tribal Art Magazine, n° 70, hiver 2013 : p. 121, n° 4.

Paris, Galerie Alain Bovis, Bambara, Dogon, Sénoufo, 3 juin – 5 juillet 2005

Sont sans conteste à compter au panthéon de l’art Bamana du Mali, un ensemble de statues unique provenant de la région de Bougouni dont la statue de la Collection Michel Lequesne est un exemple rare. Sans commune mesure comparable avec la statuaire bamana classique nyeleni et reconnue par les peintres modernes tels que Braque, Matisse ou Vlaminck, ce groupe de statue a été mis au jour au cours des années 1950. Elles étaient alors auréolées du mystère de leur découverte et furent accueillies par les chercheurs et scientifiques ainsi que dans les collections privées et muséales avec beaucoup d’enthousiasme et à grand renfort de superlatifs. Cependant les informations dont ils disposaient à l’époque à leur sujet étaient peu nombreuses. Seule leur origine était connue. Elles provenaient des villages proches de Bougouni et Dioïla, une région de la vallée de la rivière Baoulé affluent majeur du Bakoye dans le sud du Mali. La plupart avaient été mises sur le marché d’une part par le couple de marchands Hélène, Henri Kamer et d’autre part aux Etats-Unis par John Klejman.


L’exposition du Museum of Primitive Art de New York en 1960 est la première à mettre en lumière Outre-Atlantique un ensemble d’une dizaine de figures de ce type. Dans l’introduction du catalogue de cette fameuse exposition Robert Goldwater les décrit comme étant pour « la plupart des représentations de femme, debout ou assises sur des tabourets avec un dossier et portant parfois un enfant qui grimpe sur le corps de la mère. La coiffe est particulièrement frappante : elle est constituée d'une crête dans l'axe de la figure et de plusieurs tresses qui tombent parfois assez bas pour toucher la poitrine. Il existe également des figures masculines debout, avec une coiffure similaire, bien que plus courte, et portant des sceptres ou d'autres insignes de pouvoir. »[1] Goldwarter ajoutait que les figures féminines sont des queens, des « portraits-types », leurs attitudes et leurs attributs suggérant des personnages de haut rang assimilables à des chefs ou des épouses de chefs.[2]


Depuis, la théorie consistant à voir sous les traits des figures féminines des « portraits-types » de reines a été écartée et nous en savons plus sur le contexte d’utilisation de ces statues au sein de la communauté bamana, de leur rôle et de leur signification.


L’ensemble des statues dont il est ici question est à rattacher à deux importantes cérémonies annuelles. Celle du Jo d’une part et celle du Gwan d’autre part. Les recherches de terrain de Viviana Pâques tout d’abord[3] et ensuite de Kate Ezra à la fin des années 1970 publiées dans sa thèse de doctorat en 1983[4], nous ont apporté des détails précieux sur les cérémonies du Jo et du Gwan et le rôle central occupé par la sculpture dans le déroulement de celles-ci. La première, le Jo, est connue dans la région sud du territoire bamana et y est l’une des sociétés les plus importantes. L’initiation au sein de celle-ci revêt un caractère particulier au regard des autres sociétés bamanas car elle est accessible aussi bien aux femmes qu’aux hommes. L’on sait cependant que l’initiation des jeunes garçons bien renseignée quant à elle, peut être très précoce et dure un minimum de six ans d’apprentissage au cours desquels le jeune garçon passe une série d’épreuves. Cette initiation culmine tous les 7 ans, le jour de la cérémonie Jo. Cette cérémonie a lieu lors de la saison des pluies, en avril-mai. Les statues sont alors sorties du sanctuaire où elles sont conservées par les anciens et présentées devant la maison où elles sont lavées, ointes d’huile, habillées de vêtements et parées de perles. Il y a habituellement deux statues seulement, une masculine et une féminie.[5]


La cérémonie du Gwan se distingue car elle présente généralement un ensemble de statues plus étoffées comprenant une maternité (dénommée Gwandusu), une figure masculine (Gwantigi, Gwanjaraba ou Mansa) et d’autres dont le nombre est variable. La fonction de cette cérémonie est par ailleurs bien précise également puisqu’elle est dédiée uniquement aux problèmes de fertilité et de maternitié.


Il a été précédemment souligné combien les statues du Jo et Gwan se différenciaient des figures nyeleni non seulement en raison de leur utilisation mais aussi stylistiquement. La majesté des premières, leur sobriété et leur naturalisme ont forgé leur réputation. Elles incarnent par ailleurs individuellement chacune une identité propre du fait des ornements qu’elles portent, la position qu’elles adoptent et les attributs auxquels elles sont associées qui permettent d’imaginer qu’elles occupent un rôle particulier dans le cadre de la cérémonie.


A partir du modèle de la maternité du Metropolitan Museum of Art de New York (inv. 1979.206.121) Kate Ezra « exemplifie les caractéristiques du style sculptural de Jo et Gwan, en particulier lorsqu'on la compare à une figure nyeleni typique. Le torse de la maternité est massif, plutôt que mince et en forme de poteau. Au lieu de s'élancer, ses seins s'incurvent vers le bas, tombant lourdement de la poitrine et des épaules puissantes. Sa poitrine, ses épaules et son dos se rejoignent en une courbe continue, très différente des formes plates et à angles droits des figures nyeleni. Les transitions formelles sont progressives plutôt qu'anguleuses et abruptes. Lorsque l'on observe une figure jo ou gwan debout [cette fois comme celle de l’ancienne collection Tishman aujourd’hui conservée au National Museum of African Art, Washington (Inv. 2005-6-43)], le naturalisme sous-jacent du style devient évident dans la façon dont le torse se fond doucement dans les hanches et les jambes, plutôt qu’à la façon de "tenons et mortaises" commune aux figures nyeleni. La tête de la maternité [du MET] a une forme ovoïde et néanmoins massive, sur laquelle les côtés et l'avant du visage ne sont pas interrompus par des angles aigus comme dans les figures de nyeleni. Les joues, la mâchoire, le menton et le front sont représentés par des courbes larges et douces. Les grands yeux, aux paupières lourdes et baissées, sont placés dans des orbites incurvées. Même la bouche a plus de substance que sur les figures nyeleni, car ses lèvres minces se détachent quelque peu de la surface du visage. »[6]


La statue de la Collection Michel Lequesne présente l’ensemble des qualités et caractéristiques du style sculptural Ijo et Gwan. La figure masculine présente ce chapeau bombé en forme de casque épousant la forme des coiffes traditionnelles bamana dont émergent de chaque côté des tresses typiques également de la coiffure bamana. Le visage s’inscrit tout entier dans une ligne incurvée partant du haut du front jusqu’à la pointe du menton. Elle présente de larges épaules symétriques qui dessinent en partie supérieure une corole. Le buste est très mince et s’inscrit dans un bassin à peine plus large délimité par un pagne et que supportent des jambes massives. Le haut du corps, le cou et les joues sont ornés d’un dense réseau de scarifications soulignant les formes fortes et saillantes de la figure. Cette statue se rapproche ainsi étroitement du groupe de figures de la collection Rockfeller acquis à John Klejman et particulièrement d’une figure d’homme tenant une corne, acquis à Henri Kamer et Hélène Leloup en 1959 (Inv. 1979.206.132). Elles ont pour la plupart été données au MET à la fin des années 1970 après avoir longtemps été en prêt au Museum of Primitive Art de New York.


La statue de la Collection Michel Lequesne s’inscrit par ailleurs dans une iconographie complexe propre aux statues du Jo et du Gwan. Il a été envisagé d’y voir des représentations de chefs et de reines[7] ou même d’ancêtres ou d’image du couple mythique de la création bamana Musokoroni et Ndomariji.[8] Kate Ezra a mis en évidence « qu’au contraire, ces sculptures ne représentaient pas d’individus spécifiques, non plus des personnages mythiques ou réels »[9] En l’occurrence, les attributs de cette figure nous permettent de la rattacher à un groupe de figures investi d’un pouvoir fort, magique et surnaturel. On connaît les maternités Gwandusu (assise portant un enfant), leur alter ego masculu Gwantigi (également en position assise), mais encore entre autres des guerriers (assis portant couteau à l’épaule, une lance et une corne dans les mains de la collection John and Evelyn Kossak aujourd’hui au MET, inv. 1983.600ab.), des cavaliers formant l’élite des guerriers bamanas, des porteuses de jarre (Ancienne Collection Paul and Ruth Tishman, conservé au National Museum of African Art de Washington, inv. 2005-6-43), mais également des musiciens. Il s’agit ici d’une figure masculine portant ce couvre-chef caractéristique connu pour être réservés aux chasseurs, aux sorciers et aux sachants et tenant entre les mains contre la poitrine une cloche. Le bras droit a disparu, la main droite est cependant bien présente enserrant la partie métallique de la cloche. Ainsi la figure de la Collection Michel Lequesne appartient à ce groupe très réduits de statues représentant des musiciens. La Collection John et Dominique de Menil à Houston conserve une figure masculine tenant un sifflet et l’ Agnes Etherington Art Centre de l’Université Queen’s au Canada (Inv. M84-083) conserve un autre porteur de cloche tout à fait comparable à celui-ci. Cette cloche (daro), « un instrument en forme d’auge avec une poignée crochetée est associée au nanfiri, nom d’un des leaders du Jo. Ces sculptures peuvent représenter des membres de l’une des sociétés initiatiques bamana, tenant des objets qui sont des attributs évidents de leur affiliation et rôle… »[10] Charles Monteil a préciser le rôle de ces instruments : « Les cloche en fer comptaient parmi les instruments joués par des musiciens qui accompagnaient les armées bamana pour faire l’éloges des guerriers et les encourager à la victoire ».[11]


L’extraordinaire statue de porteur de cloche de la Collection Michel Lequesne s’inscrit ainsi dans un contexte historique unique. Il participe à l’aura de ce corpus de figures redécouvert à la fin des années 1950 et que les expositions pionnières aux Etats-unis au Museum of Primitive Art de New York en 1960 d’abord et ensuite au National Museum of African Art de Washington en 1986 ont porté sur le devant de la scène des Arts d’Afrique. A l’instar des grandes découvertes du XXe siècle de la tombe de Toutankhamon, aux lignes Nazca, de la grotte de Lascaux à l’armée de terre cuite de l’empereur chinois Qin Shin Huang, l’ensemble des statues de la région de Bougouni est un nouveau jalon de l’histoire de l’art qui est à l’origine de nouvelles recherches et découvertes sur l’histoire de la culture Bamana. La statue de la Collection Michel Lequesne en est un témoin saisissant et rare incarnant les canons du style et rivalisant avec les exemples les plus élaborés et aboutis du corpus connu et pour la plupart aujourd’hui conservés dans les collections des plus grands musées du monde.


[1] Goldwater Robert, Bambara Sculpture from the Western Sudan, New Yrok, The Primitive Museum of Art, 1960 : p. 17.

[2] Ibid. : p. 17.

[3] Pâques Viviana, “Bouffons sacrés du cercle de Bougouni (Soudan français) », dans Journal de la Société des Africanistes, n° 24, 1954 : pp. 63-110.

[4] Ezra Kate, Figure Sculpture of the Baman of Mali, Northwestern University, 1983.

[5] A Human Ideal in African Art. Bamana Figurative Sculpture, National Museum of African Art et Smithsonian Institution Presse, 1986 : p. 22.

[6] Ezra Kate, Figure Sculpture of the Baman of Mali, Northwestern University, 1983 : p. 24.

[7] Goldwater Robert, op. cit., 1960 : p. 17.

[8] Imperato Pascal James, Buffoons, Queens and Wooden Horsemen. The Dyo and Gouan Societies of the Bambara of Mali, 1983 : pp. 27-31.

[9] Ezra Kate, op. cit., 1983 : p. 30.

[10] Ibid. : p. 35.

[11] Monteil Charles, Les Bambara du Segou et du Kaarta, 1924 : p. 314. Cité par Ezra Kate, op. cit., 1983 : p. 35.