Un cabinet de curiosités bibliophiliques : de Dürer à Alechinsky
Un cabinet de curiosités bibliophiliques : de Dürer à Alechinsky
Livres et Manuscrits des XIX & XXe siècles (lots 99 à 171)
"Nord". Important manuscrit autographe de quelques 300 pages. [1959].
Lot Closed
June 22, 01:55 PM GMT
Estimate
30,000 - 50,000 EUR
Lot Details
Description
Livres et Manuscrits des XIX & XXe siècles (lot 99 à 171)
CÉLINE, LOUIS-FERDINAND
[Nord.]
Manuscrit autographe. [1959.]
TRÈS IMPORTANT MANUSCRIT DE TRAVAIL POUR "NORD", "SON PLUS BEAU LIVRE DEPUIS VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT" (ROGER NIMIER).
297 pages in-4 (270 x 210 mm), sur 296 feuillets numérotés 796 à 1069 puis 1085 à 1091 (ff. 1001, 1065-1066, et 1070-1084 manquants) sur papier jaune (jusqu’au feuillet 1127), puis sur papier blanc, la numérotation est répétée sur 4 feuillets, en raison de la reprise du texte à la suite d’une page très raturée.
Au verso du f. 1128, curieuse mention autographe à l’encre rouge, d’une écriture tremblée : "Prière ôter les chaussures".
D’une rédaction antérieure au manuscrit complet ayant servi à la dactylographie et à l’impression du roman en décembre 1959, qui avait été offert quelques semaines après la parution du livre à Renée Cosima Bolloré, dont la fille suivait les cours de danse de Lucette Destouches (Sotheby's, 12 février 2002, n° 217).
Si l’accueil critique fut en majorité élogieuse, non tant pour l’auteur "pas recommandable" (selon Nimier lui-même), mais pour les qualités littéraires du récit, Nord et son éditeur durent affronter les procès intentés depuis l’Allemagne par Mme Asta Scherz [nommée Isis Schertz par Céline], puis par le Dr. Haubold [ici soit Harras soit Haubold]. Ceux-ci s’estimèrent calomniés dans les descriptions peu amènes qui étaient faites d’eux : ils contraignirent Gallimard à retirer le livre de la vente en septembre 1961, avant la publication posthume dite "définitive" [Céline décède le 1er juillet 1961] parue en octobre 1964, où passages et noms propres incriminés furent supprimés.
"Je pense à Lili, je lui monterais bien une boite à lait, ils mettent leur soupe boite à lait, mais peut-être la sœur héritière ou la Schertz lui ont monté à déjeuner ?... Rien est moins certain… ! ˂Celle oh˃ je ne crois rien du tout de ces femmes là, sauf encore à des crapuleries encore quelques grimaces micmacs, bien petite saloperie crapule fignolée, profitant que Lili est toute seule… je pense ˂l’autre avec˃ à la dorade héritière avec son piano à queue" (f. 827-828). Le texte édité devient : "je pense à Lili... je devais lui monter quelque chose... mais peut-être Marie-Thérèse ou la trouble Kretzer lui ont monté ce qu'il fallait... oh, pas sûr ! je crois à rien de ces femmes, sauf à encore quelque entourloupe... je pense à notre dorade héritière avec son piano à queue..."
Anne Frank et Céline. Extrêmement troublant, le passage où Céline se plaint de toutes les injustices subies et compare son sort à celui d’Anne Frank [déportée en même temps que Céline fuyait vers le nord de l’Allemagne], renommée dans la version définitive "Esther Loyola" : "Je vois ˂la> cette petite Anna Franck, le monde tout entier pour elle, la Sainte-Chapelle, 35 films, 15 millions de dollars… pour la si tendre souffrante oiseau rien <d’assez> de trop même, consolateur !", écrit Céline en faisant allusion au film sur le destin tragique de la jeune fille, tourné par le réalisateur américain George Stevens, sorti en France en septembre 1959. "Mais pour nous tous canailles, du Pôle à Bezons, Brazzaville, Copenhague, Cuba… suppliques, neuvaines, Lourdes, Rivarol, qu’on nous étripe, écharde, <décapite>, écartele, sale ! Et débite !.. On, rien de bien neuf <d’inédit / nouveau / de très nouveau>, l’humanité a jamais vu qu’une seule partie de ses bonhommes, souffrables, tolérables…" (f. 992). Dans le manuscrit destiné à la dactylographie (exemplaire de Mme Cosima Bolloré), on trouve son véritable nom, mais le passage est à nouveau remanié et très corrigé : "La petite Anne Franck préparait son film dans les greniers d'Amsterdam, nous on a rien tourné". Dans le texte édité, Anne Franck devient Esther Loyola, vivant à Autredam : "Je vois cette petite Esther Loyola, le monde entier à ses genoux, l’implorant, la suppliant, qu’elle daigne aller s’allonger dans une Sainte-Chapelle… Qu’Hollywood à coups de milliards fera le reste, trente-cinq ‘superproductions’ […] Mes frères de race sont gens de maison... Esther est de ceux qui donnent les ordres..."
Le manuscrit s’achève sur la scène où Céline quitte le sergent Kratzke, ivre, et rejoint la tour du manoir où il loge : "La Vigue et Lili y sont et me demandent ‘Alors ?’ je leur dis ce que je pense… ils pensent comme moi… que ce Kratzke est bien dangereux, qu’Haubold un beau saligaud… etc… etc. On rabache… on a bien rabaché une heure… deux heures…".
"Céline au milieu de l'Allemagne en flammes, tel est le sujet de Nord. Acteur, récitant et voyant à la fois, l'auteur se retrouve à Baden-Baden, dans les mois qui précèdent l'effondrement du Reich, étrange palace où le caviar, la bouillabaisse et le champagne comptent plus que les bombardements […] Puis c'est Berlin, aux maisons éventrées, l'étalage d'une organisation tracassière au milieu des ruines. Céline et ses compagnons d'infortune sont envoyés à cent kilomètres de la capitale, à Zornhof dans une immense propriété régie par un fou" (Roger Nimier, prière d’insérer de l’édition originale).
PROVENANCE:
Lucette Destouches (acquis en 2009).
LITERATURE:
Romans, Pléiade, II, p. 464-536, et notes.
J.-P. Dauphin & P. Fouché, Bibliographie des écrits de Céline, n° 60A1.