Un cabinet de curiosités bibliophiliques : de Dürer à Alechinsky
Un cabinet de curiosités bibliophiliques : de Dürer à Alechinsky
Livres et Manuscrits des XIX & XXe siècles (lots 99 à 171)
11 lettres à Jean Rambaud, 1957-1961 (23 p.). Sur son œuvre et sa vie en Vendée.
Lot Closed
June 22, 01:57 PM GMT
Estimate
4,000 - 6,000 EUR
Lot Details
Description
Livres et Manuscrits des XIX & XXe siècles (lot 99 à 171)
CHAISSAC, GASTON
11 lettres autographes signées à Jean Rambaud.
[31 octobre 1957-1er avril 1961].
INTÉRESSANTE CORRESPONDANCE ÉVOQUANT AUTANT SON TRAVAIL ARTISTIQUE QUE LES ÉVÈNEMENTS QUOTIDIENS DE SON VILLAGE VENDÉEN.
23 pages in-4 ou in-8 (de 270 x 210 à 215 x 137 mm), à l’encre bleue ou rouge et au crayon, 5 lettres sur papier quadrillé et une sur un feuillet à l’en-tête de la Librairie Gallimard ; 10 enveloppes.
Gaston Chaissac, installé à Sainte-Florence-l’Oie, s’adresse à Jean Rambaud, percepteur à Rocheservière et collaborateur occasionnel du journal local L’Éclair.
Ses premières lettres évoquent son parcours, son initiation à la peinture dans l’atelier d’Otto Freundlich, ses rencontres successives avec Albert Gleizes, puis André Lhote, Jean Paulhan et enfin Dubuffet "qui [l']aide pécunièrement".
"Je peins en ce moment des tableaux sur bois comme support. Le bois piqué du lit de mort de la grand-mère paternelle de ma femme […] Je fais un peu de chronique locale pour quelques amis qui aime ce genre de littérature à la ‘clochemerle’".
Ayant suivi en Vendée sa femme institutrice, anarchiste et lectrice du Canard enchaîné, il décrit, sans compassion, les autres membres de sa belle-famille. Lui-même est peut-être à la veille de casser sa pipe, mais il est désireux de laisser davantage de tableaux à ses héritiers : "je peins donc et je n’ai du reste d’autre moyens pour faire acte de présence" [8 novembre 1957].
Le 12 novembre suivant, Chaissac reconnaît l’attitude dévouée et altruiste du curé de Sainte-Florence, même si beaucoup prétendent que "le clergé viole les âmes et castre les cerveaux" et que lui-même n'a rien donné pour la quête en faveur des jeunes engagés en Algérie. Et toujours, il peint "des tableaux plus grands que d’habitude et j’ai une prédilection pour les villages de la Meilleraie, ni[d] d’aiglons plutôt que d’aigles mais pourtant l’endroit le plus pittoresque de la comune [sic] de Ste Florence".
Jean Rambaud lui ayant suggéré d’exposer à Rocheservière, il estime que ce serait une perte sèche : "Picasso lui-même ne se permet du reste pas des fantaisies de ce genre", avant de parler des ravages de la grippe, de la mobilisation de certains parents contre l’école libre, d’une affaire de mœurs concernant un habitant à la mentalité de dame patronnesse mais favorable aux bals de village, affaire à propos de laquelle Chaissac évoque les poèmes "polissons" d’un disciple de Don Bosco, un certain "Dominique Silvio" [pour Savio, pseudonyme de Pierre Bettencourt] publiés dans une plaquette "par la gaine Scandale la gaine qui fait bander".
Le 7 décembre 1957, il est en train de peindre un tableau "dont le dessin est des plus barbare". La rigueur du climat lui fait souvenir de sa mère, qui plumait des volailles pour garnir de minces édredons et qui, du temps où elle servait comme bonne dans les maisons bourgeoises, subissait des moqueries en raison de son accent limousin.
Même s’il n’est pas critique d’art, il commente un dessin que lui a envoyé son correspondant (reproduction jointe) et qui ne lui plaît qu’à moitié, "C’est mieux là où c’est rondouillé que là où c’est malingre" et les fleurettes qui couronnent le personnage ne lui semblent pas adéquates.
En août 1958, il est question du futur livre de Gilles Erhmann [Les Inspirés et leurs demeures, qui paraîtra en 1962] dans lequel Benjamin Péret présente Chaissac comme un "dandy populaire". "Je décore de plus en plus des objets de rebut et voilà que ça prend les allures d’un petit musée".
L’année suivante, il dédie à son correspondant le poème suivant : "Beaux écoliers enfrimoussés de mauve, une heure de liberté se paie dès qu’on se sauve. Le chat à neuf queues n’a que trop d’yeux. La gale n’est pas une fleur", etc.
Chaissac parle plusieurs fois de l’importance de l’éducation artistique qui devrait débuter à la porte de chacun. "Mon art est d’autant plus dédaigné et blamé par la paysannerie qu’il est à sa portée. Il conduit du reste moins à l’aisance qu’à se faire acculés en montagnes rocheuses comme les peaux-rouges. Mais avoir des activités de primitif a au moins l’appréciable avantage de compléter son instruction à en sortir de l’obscurité féodale encore toute puissante. […] Mes totems sont plutôt destinés à orner très cocassement des salles de séjours et à y présider la vie familiale ou tout n’est pas toujours rose hélas". Et lui-même incite de petits villageois à dessiner : "certains font merveille".
Il soutient et recommande des artistes locaux, comme Annick Guilbaud à Saint-Fulgent qui peint des tissus, Noël Fillaudeau, poète et sculpteur dont il a parlé dans un article paru dans la NRF, Florette Morand qui réédite sa Chanson de ma savane [préfacé par MacOrlan].
En janvier 1960, dans une lettre de quatre pages, rédigée à l’encre rouge et dont la signature est ornée d’un petit graffiti, Chaissac se moque de l’ivrognerie des conscrits, des travaux de voirie qui permettent d’aplanir "le sol sous les pas de la calotte vinassouse" mais qui laissent l’école tirer le diable par la queue.
Il énumère ses collaborations littéraires dans les revues (NRF, La Moisson, La Tour de feu, Phantomas…), ironise sur une France que beaucoup préfèrent voir recléricalisée plutôt que soviétisée.
[On joint :]
CHAISSAC, Gaston. Lettre autographe signée à une "chère Mademoiselle" [9 décembre 1957] ; 1 page ½ in-8 à l’encre violette. Il cite de mémoire une phrase sur la justice, tirée d’un ouvrage lu dans sa jeunesse, ce qui l’avait changé des livres de prix scolaires, de Jean de La Fontaine à d’Augustin Thierry. Il signe "Gaston Chaissac qui va de temps à autres cueillir du gui sur les pommiers du chemin de la Roussière".