De la précieuse bibliothèque Jorge Ortiz Linares
De la précieuse bibliothèque Jorge Ortiz Linares
[Œuvres]. Paris, vers 1498. In-folio. Daim de l'époque peint ou estampé. Exemplaire Fairfax Murray.
Auction Closed
December 14, 05:51 PM GMT
Estimate
75,000 - 100,000 EUR
Lot Details
Description
Chartier, Alain
[Œuvres]. Les Fais maistre alain charetier
Paris, Pierre Le Caron pour Antoine Vérard, vers 1498
TRÈS BEL EXEMPLAIRE DE L’UN DES GRANDS TEXTES DE LA LITTÉRATURE DU XVe SIÈCLE : LES FAIS D’ALAIN CHARTIER.
SA BELLE DAME SANS MERCY INSPIRA À JOHN KEATS L’UN DE SES PLUS BEAUX POÈMES. AVEC LA BALLADE DE BON CONSEIL PAR FRANÇOIS VILLON.
EXEMPLAIRE DE CHARLES FAIRFAX MURRAY, FIGURE ÉMINENTE DU PRÉ-RAPHAÉLISME ANGLAIS.
ANCIENNE COLLECTION QUARRÉ D’ALIGNY.
SUPERBE RELIURE MÉDIÉVALE EN PEAU DE DAIM, PEINTE OU ESTAMPÉE
Petit in-folio. Deuxième ou troisième édition, à la fois en premier et en second état : les critères de distinction entre Bechtel C-271, C-272 et C-273 sont contradictoires
Deux parties en un volume petit in-folio (264 x 195mm). La première partie pour la prose, la seconde pour la poésie. Caractères G 440 (pour le titre) et B 98 (cf. BMC VIII, pl. XVII-XVIII). Imprimé sur deux colonnes de 40 lignes à la page. Marque typographique d’Antoine Vérard en K5r (cf. MacFarlane LXXVII “Later device” et Tchemerzine, II, p. 280, fig II). Les débuts de chaque vers sont le plus souvent en lettres capitales mais parfois aussi en minuscules (c’est-à-dire à la fois en second et en premier état)
COLLATION : (I) : a-b8 c6 d8 e-k6 : 66 feuillets, sans le feuillet blanc k6 ; (II) : A-B8 C-F6.8 G-K6 : 68 feuillets. En tout, 134 feuillets
CONTENU : a1r : titre avec initiale et les remarques du premier état (cf. Tchemerzine, II, p. 280, fig. 1 et p. 281, Fais et non Faiz), a1v : huitain jouant sur le nom de Chartier surmonté d’une gravure sur bois représentant le Dauphin. (Prose :) a2v : sous la gravure : Le Livre de l’Espérance ou Consolation des trois vertus. Il met en scène Entendement, Défiance, Indignation, Désesperance qui font face à Foy, Espérance et Charité (cette dernière non traitée par Chartier). Le texte commence par le célèbre vers : Au dixième an de mon dolent exil ; f6r : Le Curial, composé par Chartier vers 1427. Sa traduction en anglais avait déjà été imprimée par William Caxton (Westminster, vers 1483). Satire de la vie de cour supposément adressée à Guillaume Chartier, futur évêque de Paris : “Mon frère très amé tu me admoneste & enhorte très souvent” ; g3v : Le Quadrilogue [invective] fait par maistre Alain Chartier ; k2v : généalogie des Rois de France. (Poésie :) A1r : Le Lai de paix commençant par Paix heureuse fille du dieu des dieux ; A3r : Le Bréviaire des nobles ; A6r : Le Débat du réveille matin ; A8r : La Belle dame sans merci, commençant par le célèbre vers Naguères chevauchant pensoye et s’achevant en C2r sur ces deux vers : “Affin que plus joyeux soyon // Si aurons temps joyeux ensemble” ; C2r : Le Livre des quatre dames ; F4r : L’Hôpital d’amour qui commence par le vers “Soyez joyeux sans être trop // En la conduite de désir” ; G4r : La Complainte de saint Valentin Gransson... La Pastourelle de Grandson, écrites par le chevalier-poète suisse Othon III de Grandson (v. 1340-1397) ; H1r : Complainte... Hélas si je me complains... ; H1v : Guillaume de Machaut, Le Lai des dames... Amis tamour me contraint ; H3r : (Complainte contre la mort) : Complainte très piteuse… ; H4v : Jean de Saint-Pierre, sénéchal d’Eu (mort en 1396) : (Complainte)… Mort or vois je ta cruauté... ; H5v : Ambroise de Loré (1395-1446), Complainte faite à Paris... l’an 1452… Amour me fit ung temps si sage…; H6r : (Dialogue) D’un amoureux parlant à sa dame par amours… ; I2v : Alain Chartier, le Lay de plaisance... ; I4r : Sensuit le regret d’un amoureux sur la mort de sa dame... Ballades ; K1r : Michault Taillevent, Le Régime de fortune en sept ballades…, dont en K2v : La Ballade de Fougères..., Anglois, Anglois, chastiez-vous… ; K3v : FRANCOIS VILLON, BALLADE DE BON CONSEIL… Hommes faillis bersaudes de raison… ; K4r : Demandes et réponses d’amour…, K5v : Ballade couronnée… Amer me fait vers vous venir; K6r colophon : Imprimez à Paris par Pierre Le Caron pour Anthoine Vérard demourant à Paris sur leipont nostre dame a lymage saint Jehan levangeliste ou au palais au premier pillier devant la ou lon chante la messe de messeigneurs les présidens
ORNEMENTATION : avec une grande initiale “L” gravée sur bois en premier état à deux têtes (cf. MacFarlane, n° 6)
ILLUSTRATION : 3 gravures sur bois dont une répétée (a2r et A1r), la première en A1v représente le Dauphin, futur Louis XI, à la Cour de Bourgogne : les personnages portent tous l’ordre de la Toison d’or. Cette gravure fut antérieurement utilisée pour les Cent Nouvelles imprimées par Vérard en 1486 (cf. Davies, Fairfax Murray, I, n° 407, p. 593), la deuxième en a2r représente l’auteur sur son lit entouré d’Entendement et Mérencolie ainsi nommés par les phylactères de l’édition de P. Le Caron demeurés vides dans cette édition, grand diagramme généalogique des Rois de France en k5v (parfaite représentation de l’efficacité de la loi salique et de la mise à l’écart d’Édouard III d’Angleterre), A1r : répétition de la gravure présente en a2r
ANNOTATIONS : quelques soulignements d’époque, à l’encre brune, à la généalogie des Rois de France
RELIURE FRANÇAISE DE L’ÉPOQUE. Daim vert, grand motif estampé en noir sur les plats (ou peut-être peint au pochoir), sur la tranche de gouttière : “Me Alain”. Boîte de maroquin brun à grand décor estampé
PROVENANCE : Jehan de L’Hospital avec sa signature ex-libris en plusieurs lieux : au premier contreplat : “Ce Livre appartient à Jehan de Lospital” et, au contreplat inférieur, “Je suis au controlleur Jehan de Lospital” suivi de sa signature “Lospital”. Sans doute s’agit-il de Jean de L’Hôpital, mort en 1578, Chevalier de l’Ordre du Roi, comte de Soissy et Gouverneur de François de France, duc d’Alençon (1555-1584) — Louis Quarré de Quintin (1698-1768 ; ex-libris armorié), Procureur général au Parlement de Bourgogne, l’un des plus fins collectionneurs de Dijon selon le Président de Brosses, qui rassembla une bibliothèque de plus de 20.000 volumes dans son hôtel particulier dijonnais — son cousin, Jean-Claude Perreney (1718-1810) — Charles Fairfax Murray (1849-1919). Ex-libris et étiquette de cote : n° 634. Sa vente : Catalogue of the Second Portion of the library of C. Fairfax Murray comprising early printed books of France, Italy and Spain, Londres, 18 mars 1918, n° 174. La reliure est alors décrite comme étant en “Spanish calf”. Aucune provenance n’est mentionnée. La page de titre est illustrée dans le catalogue : https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=uc1.b4925205&view=1up&seq=44&skin=2021) — Pierre Berès : 29 avril 1968, $ 7.000 (fiche d’achat manuscrite de Jorge Ortiz Linares jointe)
Aucun autre écrivain du XVe ne connut une aussi grande gloire littéraire ou ne fut autant admiré de son vivant qu’Alain Chartier. Poète et écrivain politique né à Bayeux vers 1385, Chartier fit ses études à l’Université de Paris et devint un conseiller et secrétaire influent du Dauphin, futur Charles VII. Il participa à d’importantes missions diplomatiques et déploya son talent et son zèle au service du souverain en tentant de mobiliser les Français en sa faveur. Considéré en son temps comme le père de l'éloquence française, sa renommée fut considérable jusqu'au XVIe siècle. Alain Chartier mourut en 1433, âgé de quarante-huit ans.
Si la déliquescence du « siècle » reste un thème privilégié dans nombre de poésies morales médiévales, cette poésie n’y déroge pas. Dans la grande envolée lyrique propre au premier texte, Le Livre de l’Espérance, Chartier encense son amour de la France, tout en faisant le triste (et vieux) constat de sa déchéance. Comme d’autres auteurs l’ont fait et le feront avant et après lui ─ on pense à Rutebeuf ─, il y déplore aussi la disparition d’une chevalerie des temps passés qui protégeait la France et lui faisait honneur.
La Belle dame sans merci commence par le célèbre vers Naguères chevauchant pensoye. Ce texte d’Alain Chartier, composé en huit cent vers aux alentours de 1424, fut une œuvre en vogue au XVe siècle puisqu’on en conserve une cinquantaine de manuscrits. Tournant autour de la notion de “femme fatale”, peu familière à l’amour courtois, et du drame de l’amant éconduit, le poème déclencha au long du XVe siècle une vive polémique. Une jeune femme ne pouvait être libre de toute passion et devenir sans Mercy. Vers 1450, le poème fut traduit en anglais par Richard Ros (né vers 1429), l’un des plus proches courtisans du roi Henri VI d’Angleterre, à la fois chevalier et poète. À l’époque du romantisme, cette traduction, qui avait conservé son titre original en français, inspira John Keats dans l’écriture de sa fameuse ballade de 1819 (“O what can ail thee, knight-at-arms”). Sa Belle Dame sans Merci, parente des sirènes d’Homère, de la Loreley de Heine (1824) et d’Apollinaire (1913), est encore aujourd’hui l’un des plus célèbres poèmes de la langue anglaise comme le montre la version de Ben Whishaw jouant Keats dans le film de Jane Campion (https://www.youtube.com/watch?v=ZyIKgFXjwDE). Encore aujourd’hui, des artistes contemporains comme Mariane Faithfull ou le chanteur Sting ont chanté ce poème (https://www.youtube.com/watch?v=6QkuyveMuDc). La Belle Dame sans Merci inspira aussi, et de multiples fois, les peintres les plus célèbres de la Confrérie préraphaélite comme Dante Gabriel Rossetti, F. B. Dicksee (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:La_Belle_Dam_Sans_Merci.jpg), J.W. Waterhouse, W. Crane etc. Rien d’étonnant alors à ce que Charles Fairfax Murray, assistant d’Edward Burne-Jones puis de William Morris, ait été séduit par cet exemplaire dans sa belle reliure médiévale de peau de daim peinte ou estampée. Il aima ce texte sous diverses formes puisqu’il possédait, outre celui-ci, quatre exemplaires des éditions de P. Le Caron et d’Antoine Vérard.
Ce volume d’Alain Chartier présente en outre un célèbre poème de François Villon, intitulé La Ballade de bon conseil, composé après l’été 1461 et formé de trois strophes carrées, c’est-à-dire chacune formée de dix vers de dix syllabes chacun, dont c’est ici la première.
« Hommes failliz bersaudez de raison
Desnaturez et hors de congnoissance
Desmis du sens comblez de desraison
Folz abusez plains de descongnoissance
Qui procurez contre vostre naissance
Vous submettans a detestable mort
Par laschete las que ne vous remort
Lorriblete qui a honte vous maine
Voiez comment maint jeunes homs est mort
Par offenser et prendre autruy domaine. »
Pendant l’été 1461, François Villon avait été enfermé dans les geôles de la ville de Meung-sur-Loire, puis libéré grâce à l’amnistie donnée par le jeune Roi Louis XI, les 2 et 3 octobre 1461, lors de son passage dans cette ville. La Ballade de bon conseil, sans doute écrite à Paris ou dans quelque village des environs, est celle d’un homme qui sort de prison, aspire à la réforme de ses mœurs et restaure pour lui-même une “morale” qu’il ne suivra, en réalité, pas. Dans la dernière strophe, Villon invoque saint Paul et l’épître aux Romains lorsque l’apôtre évoque la paix sociale et la nécessaire tempérance des hommes.
"Sans doute Villon revenait-il à Paris, comme tout criminel enfin libre, dans l’idée de commencer une autre vie. Du moins est-ce là ce qu’exprime cette ballade dite de bon conseil, texte exhortant en apparence de jeunes voyous, mais adressé en réalité à des hommes pieux et cultivés (...) auxquels Villon se présente comme un ex-criminel amendé et qui mérite d’être réadmis dans la société des gens de bien (...) ses espérances de réinsertion furent déçues. Son évolution de la bonne volonté à la frustration, voire au désespoir, se reflète dans la Ballade de Fortune. Un autre texte montrant cette évolution est Le Testament, l’œuvre la plus importante de Villon, qui a dû être commencée en novembre-décembre 1461. Il contient en quelque sorte l’essence de la vie du "pauvre Villon", comme il se voit de plus en plus” (Gert Pinkernell).
La Ballade de bon conseil avait été publiée la première fois dans le Grand Testament en 1489, l’année même de sa publication parallèle dans la première édition des Fais d’Alain Chartier par Pierre Le Caron, en 1489 aussi. Qu’elle se trouve répétée ici en 1498 souligne l’importance que la communauté des lecteurs accordait à la poésie de François Villon. On notera aussi qu’il signe la dernière strophe de cette Ballade par un acrostiche de son nom formé par les initiales de chacun des vers.
Les éditions incunables d’Alain Chartier sont d’une grande rareté. Une seule édition incunable est recensée par ABPC, celle de The Curial par William Caxton (Westminster, c. 1483) (Londres, 22 juin 1988). Depuis 1977, le seul et unique exemplaire recensé par RBH est celui de l’ancienne collection Pierre Bergé (Paris, 11 décembre 2015, n° 5, €205.000 avec les frais, en reliure du XVIIIe siècle).
BIBLIOGRAPHIE
ISTC ic00426000 — G. Bechtel, Catalogue des gothiques français 1476-1560, C-273 — H. W. Davies, Catalogue of a collection of Early French Books in the Library of C. Fairfax Murray, Londres, 1961, t. II, pp. 967-972, n° 634 (cet exemplaire) — Goff C-426 — HC 4911 — GW 6558 — cf. BMC VIII, p. 142 (qui est un état hybride, avec l’initiale “L” à une seule tête) — CIBN C-269 — Tchemerzine, II, pp. 282 et 287 — D. Hillard, “Histoires de L”, Revue française d’histoire du livre, n° 118-121 [2003], pp. 89-90 — J. MacFarlane, Antoine Vérard, Londres, 1899 — E. J. Hoffman, Alain Chartier, Genève, 1975, p. 287
A very fine copy of one of the great texts of 15th century literature, from the collections of Charles Fairfax Murray and Quarré d’Aligny, in a superb contemporary binding.
Bello ejemplar de uno de los grandes textos de la literatura del siglo XV : Les Fais de Alain Chartier.
Su belle dame sans mercy, inspira a John Keats para uno de sus poemas más bellos. Incluye la ballade de bon conseil de François Villon.
Ejemplar de Charles Fairfax Murray, figura notable del prerrafaelismo inglés.
Antigua colección Quarré d’Aligny.
Maravillosa encuadernación medieval en piel de ciervo pintada o impresa.
ISTC ic00426000 — G. Bechtel, Catalogue des gothiques français 1476-1560, C-273 — H. W. Davies, Catalogue of a collection of Early French Books in the Library of C. Fairfax Murray, Londres, 1961, t. II, pp. 967-972, n° 634 (cet exemplaire) — Goff C-426 — HC 4911 — GW 6558 — cf. BMC VIII, p. 142 (qui est un état hybride, avec l’initiale “L” à une seule tête) — CIBN C-269 — Tchemerzine, II, pp. 282 et 287 — D. Hillard, “Histoires de L”, Revue française d’histoire du livre, n° 118-121 [2003], pp. 89-90 — J. MacFarlane, Antoine Vérard, Londres, 1899 — E. J. Hoffman, Alain Chartier, Genève, 1975, p. 287