Lettre autographe, à Stendhal. Paris 25-28 mai [1832]. 3 p.1/2. Mérimée lui décrit ses soirées "spermatiques"
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May 11, 05:00 PM GMT
Estimate
5,000 - 7,000 EUR
Lot Details
Description
Mérimée, Prosper
Lettre autographe à Stendhal. Paris 15-28 mai [1832].
3 pages ½ in-4 (260 x 204 mm). Pli central en partie fendu, petite déchirure angulaire restaurée.
LES SOIRÉES "SPERMATIQUES" DE MÉRIMÉE.
Très belle lettre, témoignant de la complicité et de la liberté d’esprit qui unissent les deux écrivains.
Tout d’abord, il rassure Stendhal [en poste à Civitavecchia], quelque peu inquiété par le Vatican à cause de son libéralisme, en lui affirmant qu’il a à Paris "des amis qui répondront de la bonne encre à Nettiber [anagramme de Bernetti, sous-secrétaire d’état au Vatican] s’il s’avise de se plaindre de Dominique [un des pseudonymes de Stendhal]", puis il lui renvoie une lettre de leur ami commun, le naturaliste Victor Jacquemont, arrivée avec beaucoup de retard du Cachemire (pour Jacquemont, voir lot 174).
Puis il est question de l’épidémie de choléra qui sévit à Paris, Mérimée ayant été chargé de surveiller les mesures sanitaires prises à l'Hôtel-Dieu : "le tout a été fort ennuyeux et ne montrait que trop la bassesse du respectable public que vous connaissez. La panique a été grande surtout lorsque les gens à voitures ont commencé à sentir des coliques. On ne se voyait plus on ne buvait plus de vin de champagne et les bordels chômaient". Il critique allègrement l’impudence des médecins au début de l'épidémie, de Philippe Ricord à Dupuytren, se disputant les malades, "pauvres diables livides qui allaient crever", annonçant leur guérison avant d’avoir essayé le moindre remède, ou même confondant un patient avec un autre.
Après une incise littéraire pour vanter les romans d’Edward Bulwer-Lytton, bien supérieurs à ceux de Walter Scott, Mérimée décrit ses soirées : "Afin de faire diversion au choléra j’ai vu beaucoup de mauvaise société depuis quelques tems. Je ne parle pas de quelques soirées éminemment spermatiques passées avec des filles qui prenait toutes les attitudes les plus compliquées, de ces attitudes que vous vous plaisiez à dessiner sur votre garde-main dans la rue de Richelieu à l’horreur de notre vertueux ami Stritch. Ce que j’appelle mauvaise société c’était des soirées chez une fille entretenue d’un high style, en compagnie de personnes de la même profession. C’est fort amusant et bien supérieur (sur beaucoup de points) à la bonne compagnie. 1° Ces femmes sont jolies 2° elles ne sont pas bêtes. 3° il y en a une qui chante admirablement bien des polissonneries non ordurières. 4° elles sont aussi élégantes que les dames du monde, et ne parlent jamais des intérêts terrestres qui ennuyent si prodigieusement les infortunés qui fréquentent encore Ancilla [surnom de Mme Ancelot]. Nous jouons aux jeux innocens, à la savatte, broche en cul &c. avec force embrassemens, quelques attouchemens réprimés d’ailleurs. […] Vous ne vous ennuieriez pas si vous étiez à Paris".
Reprenant sa lettre quelques jours plus tard, il précise que le seul remède contre le choléra c’est "de s’en foutre carrément, de ne pas forniquer après dîner et de tenir le ventre chaud. Item, garder le lit aussitôt qu’on a la courante". Et Mérimée de juger avec ironie la vie sentimentale de certaines femmes, comme la princesse Belgioso dont l’air "blue" lui déplaît : "Quand on lui fait la cour et qu’on lui demande la permission de la grimper elle se récrie sur la saloperie et dit qu’elle ne peut aimer un homme qui a des goûts aussi bas. Si on insiste elle consent, puis vous ferme le lendemain sa porte à tout jamais", ou bien la comtesse Giuccioli "qui m’a paru femme d’esprit et ce qui est plus une bonne couille de femme". Il termine sa lettre le 28 mai suivant, en donnant des nouvelles de Jacquemont revenu à Dehli, puis du climat politique, entre le ministre des Affaires étrangères et Dupin, Thiers ou Guizot qui refusent de s’incorporer, de façon isolée, dans la pourriture actuelle. Enfin, il suggère à Stendhal de soigner un peu son écriture, ayant passé deux jours à étudier sa dernière lettre !
Cette lettre ne fut pas immédiatement envoyée à Stendhal, mais jointe à celle du 19 janvier 1833 (voir lot suivant).
Référence : HB : suivi de XIX lettres à Stendhal, Prosper Mérimée. Slatkine, 1998.
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