Livres et Manuscrits
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Horae beatissimae... Anvers, 1570.Reliure brodée de la Renaissance aux armes du duc d'Anjou.
Lot Closed
December 15, 02:10 PM GMT
Estimate
50,000 - 70,000 EUR
Lot Details
Description
[RELIURE BRODÉE]
Horae beatissimae virginis Maria, ad usum romanum repurgatissimae.
Anvers, Christophe Plantin, 1570.
In-8 (207 x 127 mm). Velours noir brodé de fils d’or sur plats de carton, broderie d’applique (écu et couronne) et broderie directe, armes du duc d’Anjou entourées du collier de l’ordre de Saint-Michel au centre des plats sur un fond à compartiments losangés chargés de fleurs de lys, double 𝛟 (pour François) aux angles, bordure d’encadrement composée de rinceaux, dos en long orné de fleurs de lys, de trèfles et quatre-feuilles, fermoirs en argent ornés de fleurs de lys et du double 𝛟 couronné, tranchefile bicolore, tranches dorées et ciselées, contregardes et gardes de papier (Reliure de l’époque). Aumônière de l’époque de velours cramoisi.
Mouillure affectant les marges inférieures des 15 premiers feuillets et celles du cahier V, petites rousseurs au dernier feuillet. Velours usé et lacunes. Manque un fermoir. Aumônière usée.
Rarissime reliure de la Renaissance brodée aux armes et au chiffre du duc d’Anjou.
Élégante et luxueuse édition, l’un des chefs-d’œuvre de Plantin, exécutée pour Philippe II, roi d’Espagne, entre le 13 mai et le 8 juillet 1570.
Exemplaire réglé.
Illustration : 17 remarquables gravures sur cuivre à pleine page par Jean et Jérôme Wierix et Peter Huys d'après Pierre van Der Borsch. Toutes, sauf l’Annonciation, sont signées "P.B." (Pierre van Der Borsch) et des initiales de J. Wierix ("I.H.W.") ou P. Huys ("P.H."). Vignette armoriée gravée sur le titre. Le texte, imprimé en rouge et noir, ainsi que les gravures, sont encadrés de ravissantes bordures mêlant fleurs, fruits et animaux.
Collation : 5 ff. blancs, a-g8 A-Y8, 30 ff. blancs.
Le célèbre imprimeur et libraire, originaire de Touraine, quitte la France vers 1548 pour s’établir à Anvers. Inquiété de nombreuses fois en raison de ses sympathies pour la religion réformée, et persona non grata aux yeux des Espagnols, Plantin va tenter de recouvrer les faveurs du très catholique roi d’Espagne. Il projette alors une édition savante des textes bibliques, la plus grande bible polyglotte du XVIe siècle. Son entreprise réussit et Philippe II lui accorde son soutien.
L’année où est imprimé ce livre, Plantin est nommé archi-typographe de Philippe II. Il imprime dès lors de nombreux livres religieux (missels, livres d’heures, bréviaires) dont le commerce fleurit dans toute l’Europe. Imprimeur de renom, Plantin est aussi un homme d’affaires habile, prudent et opportuniste dans un contexte politico-religieux houleux.
En 1582, il imprime le livre relatant les festivités données à Anvers lors de l’entrée du duc d’Anjou (La Ioyeuse & magnifique entrée de Monseigneur Françoys de France… en sa tres-renommée ville d'Anuers) ainsi que les lettres de ce prince, adressées au Parlement de Paris, relatives à la défense des Pays-Bas.
Exceptionnel spécimen de reliure brodée de la Renaissance aux armes de François de France, duc d’Anjou.
François de France (1555-1584), duc d’Alençon puis duc d’Anjou, est le dernier fils de Henri II et de Catherine de Médicis. Longtemps dans l’ombre de ses frères, et notamment d'Henri III, le "prince rebelle" participa activement aux guerres de Religion. Après le massacre de la Saint-Barthélemy, il prend la tête du parti des "Malcontents" composé de catholiques et de protestants modérés, dont le roi de Navarre, futur Henri IV, désireux de combattre l’absolutisme du pouvoir royal. Cette conjuration fomentée contre Henri III, dont Alençon contestait la légitimité depuis son accession au trône de Pologne, se conclut, le 6 mai 1576, par l’édit de Beaulieu, accordant une liberté de culte aux protestants. Le duc d’Alençon reçoit alors en apanage le duché d’Anjou.
Le rôle politique joué par l’ambitieux duc d’Anjou s’étend au-delà des frontières du royaume. Tandis que sévissent en France les guerres de Religion, le jeune frère d’Henri III tente de conquérir la couronne des Pays-Bas insurgés contre Philippe II d’Espagne. Choisi par Guillaume d’Orange comme protecteur de leur liberté, il est fait duc de Brabant. Mais la déroute de son armée lors de sa tentative fracassante de prise d’Anvers, en janvier 1583, voit ses espoirs de couronne à jamais dissipés.
Les armes du duc d’Anjou brodées sur les plats permettent de dater l’exécution de la reliure après 1576. D’autre part, ses armes peintes et finement enluminées sur le titre, recouvrant ostensiblement celles de Philippe II, témoignent de ses prétentions sur les Pays-Bas alors en rébellion contre la couronne espagnole.
Si les reliures brodées sont fréquentes au XVIe siècle, leur production va cependant décliner "dès 1532 avec l’arrivée de maroquins importés d’outre Méditerranée […] Dès lors, les reliures de cuir seront d’usage très général, sinon presque exclusif, et les reliures en tissus deviendront exceptionnelles. Cependant les reliures brodées continuent à être l’objet d’une production particulière et limitée […] Elles constituent toujours la couvrure de grand luxe des exemplaires d’auteurs, le plus souvent manuscrits, offerts à de très hauts dignitaires" (Sabine Coron & Martine Lefèvre, Livres en broderie. Reliures françaises du Moyen Âge à nos jours, p. 25).
Il est difficile de savoir où a été exécutée cette reliure et d’en attribuer la réalisation à un quelconque atelier, à la différence des reliures en cuir pour lesquelles l’étude des fers permet une identification. "L’assimilation trop fréquente de la broderie ‘aux seuls ouvrages de dame’ […] a empêché d’y reconnaître l’intervention de brodeurs professionnels. Mais la principale cause est probablement d’ordre historique. À partir du XVIe siècle, la reliure de luxe n’est plus essentiellement une reliure d’étoffe, mais une reliure de peau, de préférence en maroquin" (Sabine Coron & Martine Lefèvre, op. cit., p. 23).
Cette précieuse reliure d’étoffe, accompagnée de l’aumônière destinée à la préserver comme c’était souvent l’usage pour les livres de piété, a pu être exécutée à Paris ou à Anvers puisque le livre est sorti des presses plantiniennes. Il pourrait s’agir d’une reliure de présentation pour le duc d’Anjou alors qu’il s’apprêtait à ceindre la couronne des Pays-Bas. Quoiqu’il en soit, elle témoigne du luxe et du raffinement de ce type de couvrure à la Renaissance, très en vogue chez les Valois depuis le milieu du XIVe siècle, et dont peu d’exemples sont parvenus jusqu’à nous.
Une provenance angevine
Ce livre d’heures servit de livre de raison à la famille Boissard depuis le milieu du XVIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe.
La première mention est la naissance, le 2 juillet 1661 de Louis de Boissard suivie de celle de Louise Rose de Boissard, le 18 septembre 1662. Tous deux enfants d’Isaac de Boissard, page de la grande écurie du roi, et de Claude du Hardas.
Suivent les naissances de leurs frère et sœurs : Françoise Charlotte, René César et Adrienne ainsi que celles des enfants de Jacques Isaac de Boissard et de Charlotte d’Orvault.
Les deux dernières mentions sont la naissance et le baptême, le 4 septembre 1768, Charles Isaac de Boissard, fils de Charles Isaac René de Boissard et de Anne Gabrielle de Caradeuc de La Chalotais ; et le mariage, le 26 juin 1783, de Marie Renée Félicité de Boissard avec Nicolas Joseph Victoire de Herté de Merville.
Selon la tradition familiale, ce livre d’heures aurait été donné par Charles IX à Louis II de Boissard (Mayaud, Troisième recueil de généalogies angevines et Revue historique et archéologique du Maine, 1997, p. 17-24). Les Boissard, famille angevine d’ancienne extraction, ont rendu des services à la couronne de France. "Demeurés catholiques mais non ligueurs, ils servent les rois légitimes pendant les guerres de Religion" (Mayaud, op. cit.).
Louis I de Boissard (mort vers 1569) avait été chargé, en 1568, par Jean de Léaumont, gouverneur de l’Anjou, "de lever une bande 300 arquebusiers & de les employer à résister aux entreprises de ceux de la religion prétendue Réformée" (La Chesnaye des Bois).
Son fils, Louis II de Boissard, fut maréchal du logis de Marguerite de France, sœur du duc d’Anjou qu’elle avait soutenu lors de la conjuration des Malcontents. "Suivant un certificat donné le 2 septembre 1590 par le comte de la Rochepot, lieutenant-général pour le roi au gouvernement d’Anjou, [il] rendit de grands services à Sa Majesté dans la réduction des places de-ça la rivière de Loire qu’il soumit à son obéissance. Un autre certificat, du 23 août 1592, donné par François de Bourbon, lieutenant-général des armées du roi, prouve aussi que Louis de Boissard rendit encore de grands services au siège de la ville de Mayenne où il se trouva" (La Chesnaye des Bois).
Provenance : mention légèrement postérieure à l’encre au contreplat "Heures de Henry 4" (le nom du roi est biffé) et en dessous est ajouté "Charles 9 quand il vint en Anjou" (mention vraisemblablement fautive compte tenu de la présence des 𝛟 de François, et du fait que ces deux souverains n’ont pas été duc d’Anjou). -- Famille de Boissard (livre de raison tenu à partir de 1661).
Référence : Voet, Plantin, 1368 ("the super de luxe-edition". Il précise qu’ayant imprimé ces Heures pour le duc d’Albe avec des bordures à chaque page, Plantin se devait de réserver un tirage plus luxueux encore pour Philippe II). -- Alès, 194. -- Bohatta ,1283. -- Lacombe, 586. -- Karen Lee Bowen, Wierix and Plantin A Question of Originals and Copies, juin 1997. -- Karen Lee Bowen, Christopher Plantin’s Books of Hours: Illustration and Production. Nieuwkoop, De Graaf Publishers, 1997, p. 112-122. -- Karen Lee Bowen et Dirk Imhof, Christopher Plantin and Engraved Book Illustrations in Sixteenth-Century Europe (Cambridge, Cambridge University Press, 2008), p. 107-121. -- Livres en broderie. Reliures françaises du Moyen Âge à nos jours, Bibliothèque nationale de France, 1995. -- La Chesnaye des Bois, Dictionnaire de la noblesse française, Paris, 1863, tome III, col. 423-425. -- Chaix d’Est-Ange, Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle, Évreux, 1906, tome V, p. 116-117. -- Bernard Mayaud, Troisième recueil de généalogies angevines, Nantes, [1983], "de Boissard" 1.