Livres et Manuscrits
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75 lettres autographes au comte de Vaudreuil entre 1792 et 1804.
Lot Closed
December 15, 01:32 PM GMT
Estimate
15,000 - 20,000 EUR
Lot Details
Description
ARTOIS, comte d', futur Charles X
75 lettres autographes au comte de Vaudreuil.
19 novembre 1792-17 juillet 1804.
Près de 160 pages in-4 et in-12 (235 x 190, 207 x 165 et 153 x 97 mm). Cachets de cire rouge ou noire. Emboîtage de toile bleue du début du XIXe siècle et chemise à rabats.
Petites et rares déchirures aux pliures. Encre parfois un peu passée et petits manques de papier par bri du cachet. Emboîtage très usé, dos brisé.
"Je ferai tête à l'orage, tant que j'aurai du sang dans les veines" (10 janvier 1794).
Émigré au lendemain de la prise de la Bastille, le comte d’Artois, jeune frère de Louis XVI et futur Charles X, confie ses craintes, ses projets et ses espérances au comte de Vaudreuil, exilé à Vienne puis à Londres, son indéfectible soutien qui l’a suivi en émigration.
Précieux témoignage sur la Révolution française et son retentissement auprès des cours européennes.
La nuit du 16 au 17 juillet 1789, le comte d’Artois quitte la France avec femme et enfants, suivi par le prince de Condé, les Polignac et le comte de Vaudreuil. Réfugié d'abord à Bruxelles, puis à Turin, chez son beau-père le duc de Savoie et roi de Sardaigne Victor Amédée III, à la cour du roi de Prusse à Hamm, à Saint-Pétersbourg où l’accueille Catherine II, en Hollande et enfin en Angleterre, Artois s’acharne à trouver le soutien des cours étrangères et cherche désespérément les subsides nécessaires à une contre-révolution. Il se félicite de l’attention que Catherine II de Russie porte à ses affaires et du secours pécuniaire qu’elle compte lui prodiguer. Il prépare avec Charles Alexandre de Calonne, l'ancien contrôleur du Trésor réfugié en Angleterre, un plan pour reconquérir la France.
Ces lettres illustrent toutes les arcanes de cette période troublée où la France se déchire, les coalitions se nouent et se dénouent, les tentatives de paix ou d’entente entre les puissances étrangères sont souvent des espoirs déçus.
Le soulèvement puis le siège de Toulon, les soubresauts incertains de la Vendée, les activités diplomatiques et politiques de l’Armée des princes, la réticence de l’Espagne, le soutien de Catherine II et de l’Angleterre, le siège de Nimègue, le sort du comte de Provence, futur Louis XVIII (qui prend le chemin de l’exil en juin 1791), celui des émigrés, les plans de campagnes et tant d’autres sujets émaillent cette riche et abondante correspondance.
Accablé, Artois songe à la vengeance et entend coûte que coûte sauver la monarchie. Au fil des années, l’horizon s’obscurcit et dans ses dernières lettres son ardeur d’autrefois fait place à la résignation.
Mais en dehors de la politique, il confie, sans détours, ses états d’âme à cet ami fidèle, dénonçant des "crimes inconnus aux démons" : les décapitations de Louis XVI, de Marie-Antoinette et de Madame Élisabeth ainsi que le projet de mariage de Madame Royale avec un sans-culotte. Leurs amours se dessinent en filigrane : celui que Vaudreuil porte à la duchesse de Polignac, et celui d’Artois pour Louise d'Esparbès de Lussan, comtesse de Polastron. Placée sous la protection de Vaudreuil, celle dont le prince tait le nom est cette "amie" dont il prend avidement des nouvelles dans chacune de ses lettres. La comtesse de Polastron meurt en 1804 et Artois perd le "seul objet" qui le rattachait au monde.
Joseph-Hyacinthe-François de Paule de Rigaud, comte de Vaudreuil, (1740-1817), gouverneur de Saint-Domingue de 1753 à 1757, se distingua pendant la guerre de Sept ans en qualité d’aide de camp du maréchal-prince de Soubise. Dernier grand fauconnier de France, il fit partie du cercle de la reine Marie-Antoinette et du comte d’Artois auquel il s’attacha devenant son ami intime. Il fut député suppléant de Saint-Domingue à la Constituante en 1789. Rentré en France avec le comte d’Artois en 1814, il est fait pair de France et meurt en 1817.
Provenance : collection Roger Ross et Eric Bongartz.
Référence : correspondance publiée dans l’ouvrage de Léonce Pingaud, Correspondance intime du comte de Vaudreuil et du comte d’Artois pendant l’émigration : 1789-1815, II, Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1889.
Liège, ce 19 9bre 1792. "Il faudrait avoir la plume de Jérémie, mon cher Vaudreuil, pour donner une idée, de la position où nous nous trouvons depuis ton départ. J'espérais n'en pas être abattu ; mais je t'avoue que mon cœur en est cruellement déchiré.
Tu dois savoir mieux que moi les motifs qui empêchent la cour de Vienne de répondre au mémoire que j'ai écrit, il y a quatre semaines, à M. de Mercy [ancien ambassadeur d’Autriche à Paris]. Le comte Jules [de Polignac] en a la copie ; je l'ai chargé d'appuyer sur les articles les plus importants, et assurément il a fait tout ce qui a dépendu de lui. Mais le silence de l'Empereur nous jette dans des embarras affreux. MM. de Mercy et de Metternich nous ont fait avancer une somme de 87.000 francs, qui avait principalement pour but de soutenir le prêt des régiments ; mais, comme nous ne recevons plus un seul écu de nulle part, et que le roi de Prusse ne nous a pas encore donné les 100.000 francs qu'il m'avait promis il y a un mois, nous avons été forcés d'employer une partie de cette somme à empêcher de mourir de faim les plus malheureux de nos compagnies et à payer notre boulanger et notre boucher. Je dois dire que cela nous était possible, car le gouvernement de Bruxelles nous a fait remettre les 87.000 fr sans en fixer l'emploi.
Nous avons frappé à tant de portes où nous avions droit d'espérer de toucher quelques fonds ! Mais la défaite des Autrichiens et leur retraite vers la Meuse achèvent de détruire toutes nos ressources […] Nous remuons ciel et terre pour obtenir des fonds […] J'avais écrit à ce pauvre Calonne pour qu'il nous cherche des ressources ; mais, pour toute réponse, j'ai su que le malheureux avait été emprisonné pendant quelques heures pour une dette qu'il avait souscrite pour nous […]"
Düsseldorf ce 1er décembre 1792. L’éminence du procès de Louis XVI sème l’inquiétude.
"[…] nous sommes obligés de partir précipitamment, pour aller nous enterrer dans une petite ville de la Westphalie, mais nous sommes encore dans l'incertitude sur nos voyages, et nous avons reçu des nouvelles de Paris plus effrayantes que jamais. Le trop malheureux Roi doit être jugé à présent, et il est hors de doute qu'il sera condamné. Notre seul espoir est donc que la Convention mettra un sursis à son jugement, afin de le garder pour otage mais il est encore fort douteux que la Convention puisse le soustraire à la rage du peuple, quand même elle le voudrait. Je ne puis te rendre l'horreur que tout cela inspire. On ne dit pas un seul mot de la Reine, ni de ma pauvre sœur. Il est nécessaire que le duc de Polignac se prépare à presser fortement pour la reconnaissance de la régence, si le malheur arrive […]".
Hamm, ce 9 janvier 1793. Lettre écrite quelques jours avant la décapitation de Louis XVI.
"Depuis ma dernière lettre, mon ami, j'ai reçu celle que tu m'as écrite le 5 décembre, et Guébillon est arrivé le 5 janvier.
Nous ne renverrons le courrier qu'après avoir connu définitivement le sort du Roi. Les dernières nouvelles sont un peu plus rassurantes, et il paraît que la fermeté qu'il a témoignée à ses deux interrogatoires a fait une grande impression sur le peuple. Mais son affreuse position est toujours la même, et nos alarmes sont loin d'être dissipées […]".
Pétersbourg, ce 25 mars 1793. Artois séjourne à Saint-Pétersbourg où il est reçu par Catherine II. Il berce l’idée d’un débarquement en Normandie.
"Tu verras, mon ami, par l'extrait ci-joint de mon journal, mes craintes et mes espérances. Dieu veuille que je ne sois pas dans l'erreur ; mais les dernières surpassent de beaucoup les premières, et, si nous ne sommes pas trahis par l'Angleterre, ce que je ne dois pas craindre, je vois déjà vingt vaisseaux russes et une bonne armée faisant voile pour nous aller déposer sur les côtes de la Normandie […]".
Pétersbourg, ce 19 avril 1793. À la veille de son départ pour l’Angleterre le comte d’Artois recommande à Vaudreuil la plus grande discrétion et se félicite du soutien de Catherine II.
"[…] L'impératrice met tant de grâces dans tout ce qu'elle fait, et elle prend un tel intérêt à nos affaires, qu'elle est, en vérité, aussi contente et aussi heureuse que moi-même. Elle m'a dit et répété plusieurs fois qu'elle répondait de tout, et que les petites difficultés qui existent encore d'après les demandes de l'Angleterre seraient promptement et facilement dissipées. Mais elle ne craint que la cour de Vienne ; elle la croit détestable sous tous les rapports, malgré les changements du ministère, et comme elle a su le départ du duc de Laval, elle m'a spécialement recommandé non seulement de ne rien dire, mais même de paraître plutôt inquiet, affligé, et surtout impatienté de ne rien terminer […] Enfin, enfin, je sens que je marche au bonheur, et ce qui me donne une grande confiance, c'est que l'impératrice en est convaincue comme moi ; mais elle prévoit que j'aurai beaucoup à travailler, et elle m'a promis qu'elle me donnerait par écrit, avant mon départ, toutes ses idées sur la conduite que je devrai tenir. Je te jure que, surtout depuis quelques jours, je ne la regarde plus que comme un ange […]".
Pétersbourg, ce 19 [avril 1793] (soir). Il vient d’apprendre que Dumouriez s’est rallié aux Autrichiens, qu’il tente de renverser la Convention et de mettre Louis XVII, alors prisonnier au Temple, sur le trône.
"[…] Dieu sauve le Temple, mais j’ai bien peur".
Hamm, ce 17 juillet 1793. Artois s’apitoie sur le sort de Marie-Antoinette à la Conciergerie.
"[…] Comme je suppose qu'on n'aura pas parlé à ton amie la cruelle situation de la Reine, je veux te dire séparément ce que nous avons appris hier. La malheureuse victime est toujours à la Conciergerie dans un cachot infâme, on lui a donné cependant une femme pour la servir. Les fédérés, qui accourent pour l'exécrable fête du 10 août avaient d'abord demandé qu'on ne donne point de suite au procès de la Reine, et qu'on la ramène au Temple mais il parait que cette bonne volonté momentanée n'a pas eu de suites. Les lettres sont du 9 il n'y avait pas encore eu d'interrogatoire, le courage de la Reine se soutient de la manière la plus éclatante. Tous ces détails sont déchirants cependant les dernières lettres peuvent donner un peu d'espoir. Ma sœur et les enfants sont toujours au Temple, ni mieux ni plus mal […] Mon cœur est déchiré de toutes ces horreurs mais ce qui me fait le plus de mal est de ne pas être à portée de servir ma trop malheureuse famille […]".
Hamm, ce 23 août 1793. "[…] L'horizon comme tu le dis est toujours bien embrouillé, les nouvelles de Paris sont cependant plus rassurantes pour la Reine, et cela nous donne de l'espoir […]".
Hamm, ce 18 septembre 1793. "[…] Les nouvelles de Paris sont toujours bien cruelles, et bien alarmantes sur le compte de la Reine, cependant il y a du retard, et cela me donne un peu d'espoir. Cependant les arrestations se multiplient, et dieu sait où les crimes s’arrêteront […] Je ne te parle pas des nouvelles des armées, tu les sais aussi bien que moi la défaite des Hollandais et l'échec du duc d'York me font de la peine, et m'inquiètent pour plus d’une raison, tu sauras encore cela avec le temps.Si tu as vu les conditions auxquelles la ville de Toulon a ouvert ses portes, tu n'en auras pas été enchanté mais néanmoins cet événement doit être heureux, et Lyon résiste toujours aux scélérats. La Vendée existe toujours de même elle sera bien utile avec le temps […]".
Hamm, ce 24 octobre 1793. Huit jours après la mort de la reine Marie-Antoinette, le comte d’Artois songe à la vengeance. Le comte de Provence, dit "Monsieur", régent depuis la mort de Louis XVI, tourne ses espoirs vers Toulon, ville royaliste aux mains des Anglais.
"[…] Ce courrier-ci n'est que pour notifier le cruel événement du meurtre de la Reine. Tu sais Ies torts que je pouvais avoir à reprocher à cette trop malheureuse femme, mais dans ce moment-ci j'ai tout oublié, et mon cœur a plus souffert que je ne puis te l'exprimer. Je l'ai tant aimée, et elle fut si aimable pour moi. Mais ce qui augmente encore ma douleur, c'est de penser à celle que ton amie [Gabrielle de Polignac ] éprouvera. Pauvre petite je ne lui écrirai que par son fils, je lui ferai mal, mais dis-lui que mon cœur est bien digne du sien […] D'Havré [Joseph Anne Auguste Maximilien, duc de Croÿ d’Havré, avait émigré en 1792 en Espagne où il représentait le comte de Provence jusqu’en 1795]
mande à Monsieur qu'il peut aller à Toulon mais il paraît que l'Angleterre s'y oppose. Ce grand objet va être discuté
[…]".
Hamm, ce 27 octobre 1793.
"[…]
Monsieur adresse à Las Casas la copie des lettres qu'il a reçues du duc d'Havré mais comme l’Espagne a recommandé le plus absolu secret, il est possible, il est même probable qu'il ne t'en parle pas, ni à Jules non plus. Mais je connais mes amis et leur discrétion ainsi je te confie que l’Espagne approuve que Monsieur aille à Toulon y exercer la régence, qu'il faut qu'il ait l'air de prendre son parti de lui-même, enfin, qu'il faut qu'il n'en prévienne les cours d'Angleterre, de Vienne et de Berlin qu'au moment où il partira pour aller s'embarquer à Gènes. Tout cela est excellent, mais doit dans rester le plus grand secret […]".
Hamm, ce 6 novembre 1793. "[…] Paris est un gouffre plus exécrable que jamais, il est impossible de se faire une idée de tout ce qui s'y fait et de tout ce qui s'y invente. Je vous envie si vous ne recevez pas tous les papier infernaux aussi exactement que nous. Il faut cependant les lire pour être au courant, mais ils sont déchirants. Mes inquiétudes sur ma sœur [Madame Élisabeth] sont loin de diminuer, enfin imagine-toi que ces infâmes pensent à marier la petite Madame [Madame Royale, fille de Louis XVI, future duchesse d’Angoulême et belle-fille de Charles X] avec un sans-culotte. Tout cela est une suite de crimes qui étaient inconnus aux démons. La vengeance céleste éclatera sur ces monstres, mais rien ne réparera les atrocités qui se commettent tous les jours. Les papiers ont parlé d'une grande victoire remportée sur nos braves de la Vendée. Mais la manière même dont les scélérats ont raconté leurs prétendus succès, les inconséquences qu'ils ont mêlées […]".
Hamm, ce 10 janvier 1794. Toulon est tombée aux mains des républicains.
"[…] il s'en faut que les affaires de l'Europe prennent une tournure heureuse. L'évacuation de Toulon et celle de l'Alsace étaient déjà de grands malheurs, mais ce qui m'affecte le plus sensiblement, c’est que les nouvelles de l'armée royale sont bien affligeantes. Ces braves paysans perdent tous leurs chefs ils sont séparés, dispersés, et il en tombe des milliers entre les mains des tigres que nous avons pour ennemis.
Lord Moïra [Francis Rawdon-Hastings, chargé de commander un corps composé en partie d'émigrés français, destiné à secourir les Vendéens] est encore à Jersey, mais il est plus que probable que son expédition est manquée. Enfin je puis dire hardiment que l'Europe est perdue sans ressource, si on suit encore le même système […] Si Perpignan est pris, comme je l'espère, cela peut ramener bien des choses mais nous ne jouons pas heureusement […]".
Hamm, ce 13 février 1794. "[…] Je persiste dans mon opinion, et des lettres de d'Havré du 15 et du 20 janvier me prouvent clairement que je dois me tenir en union avec l'Angleterre […] Je t'envoie le passeport de Mme Le Brun [Mme Vigée Le Brun qui séjournera en Russie de 1795 à 1801], qui sert en même temps de certificat et une lettre pour d'Esterhazy. Je réponds qu'elle sera bien reçue, et je suis charmé qu'elle fasse ce voyage […]".
Hamm, ce 29 mars 1794. "[…] Rien de nouveau aux armées. L'intérieur est toujours en fermentation, cependant Robespierre a complètement le dessus et les autres qu'on vient d'arrêter périront sûrement. Rien d’officiel sur la Vendée, mais toujours des espérances […]".
Hamm, ce 19 mai 1794. La mort de Madame Elisabeth, sa sœur, guillotinée le 10 mai 1794, le plonge dans un profond désarroi.
"[…] Tu ne m'en voudras pas, mon ami, d'avoir été si longtemps sans nous écrire, hélas je prévoyais le malheur affreux dont j’étais menacé, mais le coup ne m'en a pas moins déchiré le fond du cœur. Les monstres, les tigres, Dieu permettra-t-il enfin que je puisse les déchirer, C'est tout mon espoir, et c'est ce qui soutient mes forces […]".
Hamm, ce 26 mai 1794. Évocation de la bataille de Tourcoing et la défaite de l’armée coalisée.
"[…] Tu sais sûrement les malheurs du Piémont, je ne conçois pas où cela peut aller pour L’Italie. Monsieur est à Parme ou à Vérone, en attendant toujours les ordres de l'Espagne. Monsieur a la certitude physique et morale que l'Angleterre ne s'opposera à rien de ce que l'Espagne voudra faire tu peux compter sur cela […] Les revers éprouvés en Flandre se répareront sûrement, mais ils retardent tout, et en même temps le ministère anglais est absorbé par la découverte de la conjuration qui aurait eu des suites si dangereuses […]".
A Germenzeg près de Kranenbourg, ce 24 septembre 1794. L’armée anglaise est derrière la Meuse.
"[…] Nous sommes derrière la Meuse, et nous la défendrons si on ne nous attaque pas trop en forces, ou bien si M. de Clerfayt n'est pas obligé de se retirer sur le Rhin. Car, dans les deux cas, nous passerions sûrement le Wahal, et nous ferions bien car les troupes sont fatiguées et il serait difficile de rien entreprendre d'important cette année, d'ailleurs la Basse Meuse est bien couverte par des places et par des inondations. Il existe beaucoup d'accord entre M. de Clerfayt et le duc d'York, ainsi les opérations seront bien combinées, et les résultats doivent en être favorables […]".
Au quartier général de l'armée anglaise, près de Nimègue, ce 8 octobre 1794.
"[…] Les intentions de l'Angleterre sont telles que nous pouvons le désirer et c’est une grande consolation pour l'avenir. Je suis également content de la réception qu'on me fait à l'armée, mais le sort des émigrés est désespérant, et tu n'as pas d'idée de ce qu'il me fait souffrir. Le comte d'Hector [Hector organisa, en vue de l’expédition de Quiberon, un régiment d’environ 600 hommes] a obtenu un corps de canonniers marins, cela placera beaucoup d’officiers et c'est toujours une ressource […] Je sais aussi que l'Angleterre est contente à présent de l'Espagne, c'est toujours bon […]".
Au quartier général près d’Arnheim, ce 5 décembre 1794. Artois se félicite des bonnes nouvelles de Vendée, espère que le sort de la France se décidera prochainement et pleure la mort du cardinal de Bernis.
"[…] Ma position est encore bien incertaine, je n'ai d'assurance sur rien pas même sur le moyen d’exister, mais j’ai de grandes espérances sur ce dernier point, et en même temps j'ai de puissants motifs pour me flatter que l’Angleterre marche bien, avec courage et avec bonne foi. Tu me diras que tu seras toujours inquiet sur cet objet, et je pourrai bien partager une partie de tes craintes, mais ce qui te fera autant de plaisir qu’à moi et ce que je confie à ta discrétion, c’est que, depuis quelques temps, on reçoit très souvent des notions aussi sûres qu’avantageuses sur les armées royales de Poitou, de Bretagne et même de Normandie. Les sentiments de ces excellents paysans pour leur Roi et pour nous sont toujours les mêmes, leurs forces augmentent journellement, ils prouvent confiance dans les intentions de l’Angleterre, et j'ai la certitude qu'on leur a déjà fait secours en munitions et grains, en avoine, et même en argent […] On rassemble des forces considérables. M. Moïra a repris le commandement, et tout me porte à espérer que le commencement du printemps sera l'époque qui décidera du sort de la France et celui de l’Europe […]".
Deventer, ce 13 janvier 1795. Retraite de l’armée anglaise en Hollande.
"[…] Il parait que les Autrichiens n’ont pas pu se maintenir en avant d'Arnheim et c'est là ce qui a décidé la retraite, mais la vraie, et même la seule cause de tout ceci, c'est la gelée, elle est plus forte que jamais à présent. Je suppose que nous allons avoir un peu plus de repos à présent. Depuis dix jours nous avons changé six fois de quartier, mais la perte de la Hollande est un affreux malheur et Dieu sait l'influence qu'il peut avoir en Angleterre […]".
Edimbourg, ce 3 juin 1796."[…] L'incertitude où on est sur le Rhin comme ici est cause que Roll ne m'a rien apporté de bien important. Il est cependant sûr que si on veut profiter de la présence du Roi à l'armée de Condé on peut en tirer le plus grand parti mais est-il permis d'espérer que la vérité puisse jamais se faire entendre, voilà ce dont je doute […]".
Edimbourg, ce 6 juin 1796. "[…] J'ai fait remettre aux ministres une bonne note militaire et politique que j'ai composée de moitié avec le comte de Caraman. J'y demande de grands moyens j'en démontre la nécessité pour l'Europe comme pour la France […] Du reste nous n'avons rien de France, rien de Paris, rien d'Allemagne, rien d'Italie, rien sur le sort du Roi. Je ne me permets pas encore de réfléchir, je n'en aurai que trop le temps […]".
Edimbourg, ce 14 juin 1796. Après avoir quitté Vérone, Louis XVIII rejoint l’armée de Condé qui était alors à la solde de l’Autriche, mais Vienne exige qu’il s’en éloigne.
"[…] Je n'ai point de nouvelles du Roi depuis qu'il est à Rothenbourg, je suis fâché qu'il ait été obligé de quitter l'armée, mais au moins il en est à portée […]".
Edimbourg, ce 20 juillet 1796. Malgré son attachement à Calonne, le comte d’Artois déplore ses propos dans son récent ouvrage, Tableau de l’Europe en novembre 1793, publié à Londres en 1796.
"[…] je rends une justice complète au cœur et aux intentions de M. de Calonne, je conserverai toujours la reconnaissance que je dois à un homme qui m'a témoigné un grand zèle et un grand dévouement. Je ne parle pas des talents, ils sont connus. Mais tiens, mon ami, sois juste je ne puis en conscience ni avoir, ni témoigner un intérêt public à l'auteur du Tableau de l'Europe. Songe donc qu'aux yeux de tout le monde il attaque directement le Roi et les bases sacrées et fondamentales de la monarchie et de l'hérédité en France. Ce sont de cruelles erreurs […]".
Edimbourg, ce 14 août 1796."[…] Je ne te parlerai pas des affaires tu sais comme moi à quel point nous sommes en stagnation de ce côté-ci, et celui de l'Allemagne va de mal en pis. On nous fait espérer quelque chose du côté de l'Italie je le désire, mais je n'ose pas m'en flatter. D'ailleurs nous ne pouvons compter réellement que sur l'intérieur. On ne le néglige pas, et j'espère qu'il ira mais le nuage est encore bien épais, bien lourd, et le courage et la patience est certes le plus dur à porter sur les épaules […]".
Edimbourg, ce 29 août 1796."[…] Je ne crois plus du tout à la paix, et je ne serais pas étonné que ceci ne finit par une guerre générale de toute l'Europe, et, si cette guerre ne devient pas morale, elle ne sera terminée que par la dissolution totale de l'univers mais je veux encore me flatter […]".
Edimbourg, ce 28 octobre 1796."[…] Je suis inquiet de l’armée de Condé […]".
Londres, ce 23 avril 1804."[…] Il n'y a rien de nouveau depuis ton départ. On répand un changement de ministère comme certain. Quels seront les collègues de M. Pitt ? Je l'ignore. Que fera M. Pitt ? Je l'ignore également. Quant moi, je remplirai mes devoirs avec persévérance, peut-être même avec zèle, parce que Dieu me l'ordonne et que je dois lui obéir. Mais je sens chaque jour de plus en plus que le monde a complètement disparu pour moi il est si vrai, si profondément vrai que je n'y tenais que pour un seul objet [allusion à la mort récente de la comtesse de Polastron]. Pardon si je te répète ce que tu sais aussi bien que moi. Malgré le cruel état de mon cœur et de mon âme, ma santé est fort bonne. Je ne le conçois pas, et je crains que la Providence ne veuille prolonger mon supplice, mais je me soumets sans murmure à tous ses décrets, et j'espère que rien n'altérera ma résignation […]".
Londres, ce 11 juillet 1804. Évocation de l’exécution, le 25 juin 1804, du général chouan, Georges Cadoudal, commandant de l'Armée catholique et royale de Bretagne.
"[…] La mort du brave Georges et de onze autres n'est que trop confirmée, il est mort en héros fidèle et chrétien, et il n'en est que plus regrettable.
Tout ce que M. le duc d'Orléans t'a dit ne peut avoir aucun rapport quelconque à mon voyage. S'il a lieu, je persiste dans mon opinion, et je crois que j'ai raison, mais je t'en écrirai un peu plus […]".
Londres, ce 17 juillet 1804. Lettre écrite 15 ans, jour pour jour, après son départ de France.
"[…] D'ailleurs il est hors de mon caractère de vouloir faire pitié, et, quand je prends assez sur moi pour me trouver avec du monde, je renferme dans mon cœur ce qui le ronge chaque jour davantage. Hélas mon ami, il y a aujourd'hui quinze ans que nous nous éloignions de notre pays pour éviter une mort inutile. La vie m'était bien chère, alors, maintenant je n'existe plus que pour demander à Dieu d'abréger mon supplice et de me pardonner le bonheur dont j'ai joui […]".