Livres et Manuscrits
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Lot Closed
June 30, 12:17 PM GMT
Estimate
18,000 - 24,000 EUR
Lot Details
Description
RONSARD, PIERRE DE
ODE DES ESTOILLES AU ROY. [1573]. MANUSCRIT.
3 pages sur un bi-feuillet in-folio (355 x 200 mm). Encre brune sur papier vergé filigrané du monogramme de Jacques et Nicolas Lebé (papetiers actifs entre 1566 et 1610). Conservé dans une grande chemise avec mention manuscrite de la fin du XVIIIe siècle. Chemise de demi-maroquin noir (Devauchelle).
Traces de pliures.
Copie mise au net à l’époque pour Ronsard d’une version inédite, et jusque-là inconnue, de l’Ode des Estoilles au Roy, publiée en 1575 sous le titre Les Estoilles à Monsieur de Pibrac.
Ce manuscrit est la seule copie existante du texte initial avant que le poète ne le réécrive en le “politisant“ afin de l’adapter aux évènements et d’en faire une pièce de circonstance.
Première version de ce poème composée vers 1573 et dédiée à Charles IX. Il s’agit d’une imitation en vers français de l’hymne de Michel Marulle, Stellis, dédié au même roi. Quelques mois plus tard, au début de l’année 1574, alors que la France connaît un bouleversement politique, Ronsard remaniera ce texte en s’écartant de son modèle initial : il l’augmente de 4 dizains et en modifie le dédicataire, car Charles IX, mort le 30 mai 1574, avait laissé le trône à son frère, le duc d’Anjou et roi de Pologne, devenu Henri III. Cette seconde version est dédiée à Guy de Pibrac, conseiller du nouveau roi, poète et proche de Ronsard. C’est cette version retouchée qui fut publiée en 1575 chez Gabriel Buon dans le recueil Les Estoilles à Monsieur de Pibrac, et deux responses à deux Elegies envoyées par le feu Roy Charles à Ronsard, Outre, une Ode à Phoebus, pour la santé dudit seigneur Roy. Puis un discours au Roy Henry troisiesme à son arrivée en France. L’ode est reprise en 1578 dans la cinquième édition des Œuvres collectives, puis en 1584 dans la cinquième partie des Œuvres collectives sous le titre Hynne des Estoilles au sieur de Pibrac.
Le ronsardien François Rouget, qui a longuement étudié les manuscrits de travail de Ronsard (recopiés ou écrits sous sa dictée par ses secrétaires, puisqu’il n’existe aucun manuscrit autographe du poète), et en souligne l’importance dans la genèse de l’œuvre du poète, a confirmé le caractère inédit de ce document.
Julien Goeury a disséqué ce manuscrit dans un long article, relevant minutieusement toutes les variantes par rapport à la version imprimée. Il conclut, dans le sillage de F. Rouget, à une copie de présentation réalisée pour Ronsard, peu de temps après sa composition, vers 1573. "On constate que 71 vers de la version imprimée sont identiques à ceux de la version manuscrite, alors que 54 vers ont été en partie réécrits et que 36 autres ont été ajoutés ou supprimés […] Tout cela ne cadre pas avec la démarche d’un poète indélicat qui confondrait imitation et plagiat, mais bien à une démarche d’auteur, ce que l’examen des variantes, caractéristiques de la manière ronsardienne ; tend par ailleurs à confirmer en tous points. À partir du moment où l’on cautionne l’authenticité de cette version manuscrite il ne peut alors s’agir que d’une version antérieure à la date de composition supposée (début 1574) de la version publiée en 1575".
Cette première version manuscrite de l’ode, imitée de Marulle, apporte "la preuve que le travail qu’il accomplit depuis plusieurs décennies à partir de cette veine lyrique issue de l’Antiquité, transmise par l’humanisme italien […], ne peut être envisagé en dehors de l’usage - immédiat ou différé, qu’il réserve à ses poèmes manuscrits ou imprimés. Ces derniers sont en effet les agents actifs de sa carrière à la cour " (Julien Goeury).
La découverte de ce manuscrit révèle un Ronsard opportuniste, poète de cour n’hésitant pas à remodeler avec habilité son texte afin de plaire au souverain.
Référence : Julien Goeury, "La piste aux Estoilles. Réflexions sur la genèse d’un hymne de Ronsard et le sens de sa réécriture à partir d’une copie manuscrite inédite", in Bibliothèque d’humanisme et Renaissance, t. LXXIX, 2017, n° 3, p. 599-617. – François Rouget, Ronsard et le livre, étude de critique génétique et d’histoire littéraire, Droz, 2010.