Jamais perdu en mer, Collection Jean-Paul Morin
Jamais perdu en mer, Collection Jean-Paul Morin
Auction Closed
October 14, 03:50 PM GMT
Estimate
40,000 - 60,000 EUR
Lot Details
Description
POUPÉE KACHINA TIPONI, HOPI (OU PAR EXTENSION PUEBLO), ARIZONA
haut. 54 cm ; 21 ¼ in
Pièce inédite, ancienne collection française
Collection privée, Suisse
Geneste, Mickeler, Kachina : Messagers des Dieux Hopis et Zuñis, 2011, p. 30-37, et p. 138-145 n° 29
Fin du XVe-première moitié du XVIIe siècle (1487-1651)
Rapport d’analyse C14 du laboratoire MSMAP (Bordeaux)
« L’examen visuel de la pièce montre assez lisiblement une torsion presque imperceptible des fibres de bois de la sculpture, ce qui augurait déjà d’une très grande ancienneté avant la réalisation d’un test C14. Par ailleurs, on distingue une tache blanchâtre qui part de la base de la sculpture pour remonter un peu plus haut, sur la surface du corps de l’idole, qui peut faire songer à une remontée de sels minéraux à l’intérieur des fibres du bois résultant de la submersion de la partie basse de l’œuvre survenue obligatoirement à plusieurs reprises au cours d’une période s’écoulant sur plusieurs siècles. D’autres spécialistes consultés évoquèrent quant à eux une dissolution et une diffusion dans le bois de la couche de kaolin de recouvrement, au cours d’une longue période multiséculaire et à la suite d’une remontée d’eau dans l’endroit d’entreposage de l’œuvre.
Les tests de surface entrepris ayant validés de façon absolue les conclusions de l’examen d’analyse au carbone 14, nous pouvons donc indiquer que nous nous trouvons bien en présence du Kachina Tiponi en bois tubulaire potentiellement le plus vieux du monde, avouant quatre à cinq siècles d’âge. Il s’agit donc vraisemblablement là d’une sorte de « mère » de tous les Kachina », que les Hopi désignent sous le terme de « Mère de tout » (en anglais, Mother of all). Nous pouvons, pour notre part, indiquer raisonnablement que cette imposante sculpture de 54 centimètres, portant une tableta et une cape noire se devinant au travers des différents restes de sa polychromie, est un Kachina Mana associé à la fécondité, à la pluie et aux récoltes. Sa taille le destine obligatoirement à un temple. Il est surmonté par une coiffe à gradins symbolisant les nuages (les « escaliers du ciel ») et, au-delà, la pluie régénératrice annonçant la promesse de récoltes abondantes.
Le visage est sculpté, montrant clairement un beau profil, les yeux encore marqués par une polychromie noire sur fond blanc. Le haut du crâne révèle une succession de trous aménagés de main d’homme et où venaient se ficher les pennes de plumes probablement d’aigle. Le corps tubulaire se développe dans une belle verticalité, dans le port hiératique traditionnel des grandes idoles d’autel. Il n’y a ni bras ni jambes, puisque l’abstraction est la règle prééminente de toutes les œuvres maîtresses de l’art premier. Sur le corps, au dos, se devine une cape jetée sur l’épaule comme une étole.
Un examen minutieux au microscope et différentes analyses chimiques montrent clairement diverses strates dans le décor de l’œuvre. Passant outre l’infime pollution moderne liée au XXe siècle et à ses usages, on peut alors apercevoir la superposition successive de plusieurs décors tout au long des siècles, selon l’affectation de l’idole. Une poudre rouge est visible en deux ou trois points sur le corps tubulaire et une tentative de restauration moderne fut sans doute effectuée par une amplification de l’intensité du vert de la coiffe grâce à une légère reprise du pigment ancien à base de carbonate de cuivre avec une couleur vert clair ajoutée au XXe siècle, cela sans doute à l’occasion du passage dans diverses collections ou sur le marché de l’art.
Encore plus intéressante est la lecture des trois ou quatre phases de décors appliqués sur la statue au cours des quatre à cinq siècles passés et qui ont été observés au cours de l’examen scientifique diligenté par nos soins auprès du laboratoire MSMAP, à Bordeaux. En effet, l’étude de la caractérisation de la polychromie de ce Kachina Tiponi et de son altération au cours des siècles a parfaitement démontré que cette statue de kiva a connu plusieurs phases dans l’élaboration de son décor. Une première phase a pu correspondre à un corps tubulaire enduit de couleur ocre jaune, teinte retrouvée partiellement sur la partie inférieure du corps de la poupée.
Cette couleur a été obtenue à l’aide d’un pigment naturel identifié comme étant un arséniophosphate de calcium et de fer. Par la suite, une importante phase d’altération a entrainé la disparition presque complète de cette polychromie en raison d’une altération superficielle du bois, résultant elle-même de fissurations, d’un écaillage de surface et de l’écrasement, de l’ouverture et de la désolidarisation des canaux de bois, toutes choses qui ne peuvent se produire que sur une période de plusieurs siècles pour une œuvre de ce type.
Une deuxième phase débute par la mise en place, sur toute la surface de l’idole, à l’exception du motif semi-circulaire sur la tableta, visible sur l’avers, d’un enduit blanc à base de kaolinite broyée, probablement mélangée avec du gypse. Sur le corps tubulaire, la base paraît avoir été peinte en jaune à l’aide d’un mélange d’argile, mais aussi d’un pigment jaune naturel (hydroxyde de fer).
La manta (cape jetée au-dessus de l’épaule) trouve son expression dans une surface peinte en bleu-vert, grâce à une peinture associant de la malachite à une matrice silicatée à fine granulométrie (argile). Elle est encadrée par des bordures rouges constituées d’un mélange d’oxydes et d’hydroxydes de fer, de calcite broyée et d’une fraction minérale silicatée, de nature probablement argileuse. Sur la tête, la bouche est figurée par la même peinture rouge. Les traits noirs et les détails du visage, ainsi probablement que l’arrière de la tête, sont obtenus à l’aide d’un matériau associant une fraction minérale silicatée à un pigment de noir de carbone, en l’occurrence de la suie ou du noir de fumée. Ce même matériau sert à réaliser les contours du motif semi-circulaire sur la tableta. En face avant, l’intérieur du motif est alors peint en bleu-vert, à l’aide d’un agrégat associant des pigments vert et bleu de malachite et d’azurite (carbonates de cuivre) broyées à une fraction minérale silicatée à une fine granulométrie associée à un liant organique.
Une troisième phase pourrait correspondre à une amplification de la préciosité du décor de la manta par une adjonction de motifs verts et vert pâle. Les peintures utilisées alors sont pigmentées par de la malachite (carbonate de cuivre) mélangée à de la calcite broyée, plus une fraction minérale silicatée riche en fer (ocre).
La quatrième phase correspond à un changement notable de la polychromie puisque, entre autres choses, le masque aurait été modifié par l’application, sur la partie basse du visage et sur l’arrière de la tête, d’une épaisse couche picturale noire, associant du noir d’os et une fraction minérale silicatée (ocre) dans un liant organique. A une époque lointaine, le motif semi-circulaire de la tableta en face avant a été repeint par les Indiens en brun-vert à l’aide d’un matériau pigmenté par de la malachite, et la partie supérieure de la tableta elle-même peinte en noir. En revanche, en face arrière, le motif semi-circulaire bleu-vert et la partie haute de couleur blanche ne semblent pas avoir été repeints.
Du point de vue de la composition des peintures, en dehors des pollutions modernes clairement identifiées (traces de peinture vert clair et de peinture rouge vif), tous les autres pigments observés sont des pigments naturels. Mais le propos le plus intéressant de cette étude était de cerner tous les composants des pigments. Le kaolin est donc ici clairement identifié parmi les matériaux pigmentaires hopis, ainsi que l’utilisation de pigments naturels d’oxydes de fer et d’hydroxydes de fer. Pour ce qui concerne le pigment jaune contenant du fer et de l’arsenic, il faut noter aussi que ce dernier élément a été détecté dans les pigments traditionnels à base d’oxydes de fer trouvés dans diverses excavations sur les sites ancestraux hopis. L’étude approfondie du Tiponi par le biais d’une radiographie aux rayons X apprend en outre que l’œuvre dissimule une cache secrète, sous la forme d’une cavité aménagée, obturée par un bouchon de bois et enserrant un objet dont la silhouette géométrique (facettes cristallines) fait clairement penser à une turquoise, pierre vecteur de chance et de prospérité dans la culture indienne traditionnelle.
Notre conclusion est que, à l’époque de la conquête de la Méso-Amérique et des territoires mexicains, plus tard annexés pour une part par les Etats-Unis d’Amérique, seul le Vatican put se voir présenter une telle pièce, sans doute alors collectée par une mission religieuse, puis envoyée à Rome pour montrer concrètement la nature exacte des idoles païennes révérées dans le Nouveau Monde. Cette pièce est unique et, dans le monde, aucun autre du même type n’est détenue par un musée-à notre connaissance ».