Jamais perdu en mer, Collection Jean-Paul Morin
Jamais perdu en mer, Collection Jean-Paul Morin
Auction Closed
October 14, 03:50 PM GMT
Estimate
80,000 - 120,000 EUR
Lot Details
Description
MASQUE COMPLEXE YUP'IK, DELTA DU YUKON, ALASKA
haut. 22 cm ; 8 ⅔ in
Collection Joseph Chilberg, acquis in situ entre 1898-1899
Collection Jeffrey Myers, New York
Galerie Flak, Paris
Brown, Spirits of the Water : Native Art Collected on Expedition to Alaska and British Columbiq, 1774-1910, 2000, p. 166
Par Julien Flak
"Selon les conceptions et croyances eskimos, il existe plusieurs mondes parallèles que le chamane peut visiter. Ces mondes parallèles sont, dans l’art eskimo, souvent figures par des cercles concentriques.
Les cérémonies masquées occupaient une place prépondérante dans la vie quotidienne et la culture des peuples Eskimos. Elles étaient notamment organisées avant le départ des hommes pour la pêche ou la chasse en vue de se concilier les esprits gouvernant le monde animal.
Comme souvent dans l’art eskimo, ce masque offre plusieurs niveaux de lectures et d’interprétations :
Au niveau de la représentation formelle, ce masque évoque les ondes concentriques provoquées dans l’eau par un phoque remontant à la surface. Le cercle central dans lequel est figure le visage figure alors le trou dans la banquise par lequel les Eskimos pouvaient chasser et pêcher. D’après John. W. Chapman (Notes on the Tinneh Tribe of Anvik, Alaskay, 1970), ce type de masque figurerait une bulle d’eau emprisonnée dans la glace. Lors d’une cérémonie masquée observée en 1892 sur l’ile de Little Diomede (détroit de Béring) et rapportée par E.W. Curtis (chapitre « The Shaman and the Mask » dans Eskimo Masks, art & ceremony, 1967), le mythe suivant, mettant en scène le chaman Unguktunguk était illustre :
Après avoir bouché l’entrée de la maison avec un large morceau de glace percé en son milieu, Unguktunguk se fit happer par l’esprit du phoque. Il disparut par le trou dans la glace et reapparut par trois fois en poussant le cri du phoque. A sa quatrième apparition, un guerrier le harponna à la tête. Il se mit à saigner abondamment et disparut de nouveau par le trou, entrainant le harpon avec lui. Les hommes présents attirèrent de nouveau le phoque à eux en tirant sur la corde du harpon. Le chamane réapparut sous sa forme humaine, indemne et sans trace de blessure. Cette évocation de la chasse au phoque permettait d’assurer le succès des futures campagnes de chasse ou une pêche fructueuse.
Comme on l’a vu précédemment, les cercles concentriques figurent les mondes parallèles que le chamane, en revêtant ce masque, peut visiter lors de ses transes. Le visage central, mi-homme mi-animal figure vraisemblablement un esprit tunghak (appelé parfois « The Man on the Moon » ) qui guide, a l’aide de ses mains, les animaux marins (phoques, morses) vers le monde des hommes. Les Yup’ik faisaient danser ces masques pour se concilier cet esprit et s’assurer ainsi que les campagnes de pêche/chasse seront fructueuses.
Le masque, sculpté dans un bois de cèdre, figure un visage (mi-homme mi-oiseau) de forme circulaire entoure d’une succession de cercles concentriques et de sillons. A la circonférence du masque sont attachés des mains et des jambes fixées au masque à l’aide d’attaches en fanon baleine. Les trous de fixation que l’on retrouve sur la circonférence permettaient d’ajouter des ornements, en particulier des plumes. Ce masque laisse encore apparaitre notamment dans les anfractuosités des sillons des traces pigments rouges qui laissent supposer qu’il était à l’origine peint de couleurs vives.
A l’arrière du masque figure au niveau de la bouche un mors de préhension qui permettait au chamane / danseur masque de conserver le masque devant sa tête sans s’aide de ses mains ou de liens.
Il se dégage de ce visage un profond mystère et une grande poésie. Ce masque semble figurer un manifeste surréaliste à lui seul."