Lot 45
  • 45

STATUE, BÉTÉ, CÔTE D'IVOIRE |

Estimate
700,000 - 1,000,000 EUR
bidding is closed

Description

  • haut. 64 cm ; 25 1/8 in

Provenance

Collection René Buthaud (1886-1986), Bordeaux, avant 1950
Olivier Le Corneur et Jean Roudillon, Paris
Henri Kamer (1927-1992), Paris
Collection Marceau Rivière, Paris, acquis ca. 1975

Exhibited

Paris, Galerie Le Corneur Roudillon, Collection d'un amateur : Art nègre. 1920-1950, 17 mai - 8 juin 1968
Paris, Galerie Kamer, Qualité, 6 novembre - 13 décembre 1975
Paris, Musée Dapper, Chefs-d'œuvre inédits de l'Afrique noire, octobre 1987 - mai 1988
Paris, Ecole Supérieure Internationale d'Art et de Gestion, Art Africain, 23 avril - 3 mai 1991
La Flèche, Château de Carmes, Arts premiers de Côte d'Ivoire, 11 janvier - 3 mars 1997 / Nogent-Le-Rotrou, Musée municipale du Château Saint-Jean, 8 mars - 28 avril 1997
Turin, Galleria d'Arte Moderna, Africa. Capolavori da un continente, 2 octobre 2003 - 15 février 2004
Paris, Musée Dapper, Signes du corps, 23 septembre 2004 - 3 avril 2005
Monaco, Grimaldi Forum Monaco, Arts of Africa. 7000 ans d'art africain, 16 juillet - 4 septembre 2005

Literature

Le Corneur et Roudillon, Collection d’un Amateur : Art nègre. 1920-1950, 1968, p. 64, n° 51
Kamer, Qualité, 1975, p. 64-65, n° 46
Berjonneau, Sonnery et allii, Chefs-d'œuvre inédits de l'Afrique noire, 1987, p. 203, n° 175
Rivière et Lehuard, Art Africain, 1991, n° 9
Bete figures and a selection of Guro figures, The Africa albums, 1996, n° VI
Boyer, Girard et Rivière, Arts premiers de Côte d'Ivoire, 1997, p. 56-57 et 129, n° 40-41
Bassani, Africa. Capolavori da un continente, 2003, p. 209 et 356, n° 3.37
Falgayrettes-Leveau, Signes du corps, 2004, p. 152-153
Bassani, Arts of Africa. 7000 ans d'art africain, 2005, p. 293 et 296, n° 6c
Neyt, Trésors de Côte d’Ivoire, 2014, p. 88, n° 55

Catalogue Note

Kolé, « Statue féminine » des Bété Par Marguerite de Sabran

La statuaire est extrêmement rare en pays Bété. Elle reflète, dans la remarquable individualité de chacune de ses œuvres, l’identité complexe d’un peuple exempt de tout pouvoir centralisé et dont la mosaïque de groupes occupe le centre-ouest de la Côte d'Ivoire. Sa compréhension, à l’image de l’histoire du peuplement en pays Bété, se heurte aux différentes versions de ses origines, aux mouvements migratoires qui ont régulièrement bouleversé la région depuis le XVe siècle, à la difficile conquête et “pacification” coloniale, et à l’absence d’étude de terrain avant les années 1960 – époque où son usage avait disparu. Entrée dans la collection de l’illustre céramiste René Buthaud à l’époque de l’entre-deux-guerres et célébrée dans les ouvrages et les expositions depuis sa révélation, en 1968, cette œuvre s’impose parmi les témoins les plus significatifs de ce précieux corpus.

En 1964, William Fagg faisait figurer, parmi les "Cent chefs-d'œuvre" de l'art africain exposés au palais du Louvre, la statue féminine Bété du musée des Civilisations de Côte d’Ivoire (inv. N° 50.2.229). Dans le catalogue qui l’accompagne, Fagg souligne le « peu de renseignements au sujet [des Bété] » et « la rareté des spécimens classés de leur art » (Fagg, Afrique. 100 tribus, 100 chefs-d’œuvre, 1964, p. 18). Aujourd’hui encore, les publications qui mentionnent la statuaire Bété s’appuient presque exclusivement sur les premières recherches de terrain. Denise Paulme, dont les recherches se sont concentrées, au nord, sur la zone de Daloa, concluait qu’ils n’y « exercent pas d’activité esthétique, sculpture ni peinture » (Paulme, Une société de Côte d’Ivoire hier et aujourd’hui : les Bété, 1962, p. 10). Holas, dont les enquêtes incluaient également la région de Gagnoa, à la pointe orientale du pays Bété, identifia cette statuaire, « classée parmi les chefs-d’œuvre de l'art traditionnel africain », à la représentation d’une aïeule défunte : autrefois, à la veille d’un enterrement, les héritiers mâles taillaient un morceau de bambou à la mesure du corps de la défunte ; ce dernier était conservé par le plus proche parent et porté par une danseuse conduisant le cortège des pleureuses lors des fêtes commémoratives. « Cette représentation était parfois remplacée par une figurine sculptée sur bois, appelée kouéi [ou kolé] ou yousrokpo selon telle ou telle fraction. Ce dernier cas, pourtant, se présente rarement chez les Bété » (Holas, L’image du monde bété, 1968, p. 67 et 135, à propos d’une statue « trouvée dans les environs de Ouragahio », au nord de Gagnoa).

La représentation presqu’exclusivement féminine de la statuaire – comme ici - fait émerger le rôle éminent de la femme chez certains des quatre-vingt-seize groupes composant le peuple Bété. Si leur organisation est généralement fondée sur la patrilinéarité, Dozon souligne que, chez les « Bété de Gagnoa », auxquels il limita son enquête, trois de ces groupes partagent l’institution du matriclans (lele), originaire des Gban voisins et sporadiquement diffusée vers le sud, en pays Bété et Dida. Le nom de ces matriclans « est celui des six ancêtres féminines […], figures mythiques donnant lieu à une grande variété de récits : pour ainsi dire, chaque narrateur produit sa propre version » (Dozon, La société bété, 1985, p. 103). Plutôt que le portrait commémoratif d’une défunte, il est donc très vraisemblable que les statues Bété évoquent l’une de ces entités mythiques, dont l’image exalte les canons de la beauté féminine. Cet idéal féminin, que le penseur et artiste Frédéric Bruly Bouabré, d’origine Bété, nommait Ba-Wonon (« la plus belle femme soudanaise » : « haute taille, front large, long cou, puissants mollets, le corps paré de scarifications - livre, musée, du corps humain ») est nuancé, dans ce corpus sculptural hautement distinctif, par l’individualité artistique de leur auteur et par l’influence exercée, selon son village d’origine, par les styles limitrophes : Guro au nord, Dan-Guéré à l’ouest et Dida au sud-est.

Les jambes courtes, tout en puissance, accentuent ici l’élan du torse, rythmé de face par le mouvement des côtes et des clavicules, et, au dos, par l’étirement de la colonne vertébrale. A la tension des volumes répond la dynamique linéaire des ornements tégumentaires. Le regard, dont l’éveil est accentué par les motifs concentriques, ainsi que la bouche entrouverte sur les dents taillées en pointe, l’apparentent au célèbre masque de la collection Tzara et à celui acquis par l’adjudant Filloux non loin de Gagnoa (Goy, Côte d'Ivoire. Premiers regards sur la sculpture. 1850-1935, p. 188). Cette œuvre majeure de la Collection Marceau Rivière manifeste, dans la prégnance du visage et de la pose, dans la prestance du buste et l’attention portée aux signes de beauté, la majesté de son sujet et le génie de son auteur.

Kolé, Bété "female figure"

By Marguerite de Sabran

Statuary is extremely rare in the Bété region. The statuary reflects, in the remarkable individuality of each of its pieces, the complex identity of a people free of any centralized power and which mosaic of groups occupies the west-central part of Ivory Coast. Research on this subject, as on the history of settlement in the Bété region, has been hampered differing versions of their origin. Migratory movements that have regularly disrupted the region since the 15th century, the difficult colonial conquest and "pacification", and the absence of field studies before the 1960s make a chronology difficult to construct. This particular figure joined the collection of the illustrious ceramist René Buthaud during the interwar period and is celebrated in books and exhibitions since 1968. It is one of the most significant examples of this precious corpus.

In 1964, William Fagg included among the "Hundred Masterpieces" of African Art on display at the Louvre Palace, the Bété female statue of the Museum of Civilization of Ivory Coast (inv. N° 50.2.229). In the accompanying catalogue, Fagg points out the "limited information about the Bété" and the "rarity of the classified specimens of their art" (Fagg, Afrique100 tribus, 100 chefs d’œuvre, 1964, p.18). Even today, the publications that mention the Bété statuary are based almost exclusively on early field research. Denise Paulme, whose research focused on the Daloa area in the north, concluded that they "do not pursue any aesthetic activity, sculpture or painting" (Paulme, Une société de Côte d'Ivoire hier et aujourd'hui: les Bété, 1962, p.10). Holas, whose investigations also included the Gagnoa region at the eastern end of the Bété country, identified this statuary, "classified among the masterpieces of traditional African art", as a representation of a late grandmother. In the past, on the eve of a funeral, the male heirs carved a figure of bamboo the size of the deceased's body. It was kept by the next of kin and carried by a dancer leading the procession of the mourners during the commemorative celebrations. "This representation was sometimes replaced by a figurine carved on wood, called kouéi [or kolé] or yousrokpo according to this or that fraction. The latter case, however, rarely occurs among the Bete" (Holas, L'image du monde bété, 1968, pp.67 and 135, about a statue "found in the vicinity of Ouragahio", north of Gagnoa).

 

The almost exclusively female representation of statuary – highlights the eminent role of women in some of the ninety-six groups that make up the Bété people. Though their organization is generally based on patrilineality, Dozon points out that, among the "Bété de Gagnoa", to whom he limited his investigation, three of these groups share the institution of the matriclan (lele), originating from neighbouring Gban and occasionally spread towards the south, in the Bété and Dida countries. The names of these matriclans "are those of the six female ancestors [...], mythical figures giving rise to a wide variety of stories: each narrator, so to speak, produces his own version" (Dozon, La société bété, 1985, p.103). Rather than the commemorative portrait of a deceased woman, it is therefore very likely that the Bété statues evoke one of these mythical entities, whose image exalts the standards of female beauty. This feminine ideal, which the thinker and artist Frédéric Bruly Bouabré, of Bété origin, called Ba-Wonon ("the most beautiful Sudanese woman": "great height, wide forehead, long neck, powerful calves, body adorned with scarifications – which are the book, the museum of the human body") is nuanced. In this highly distinctive sculptural corpus, the artistic individuality of the artist combines the influence exerted, according to its village of origin, with the neighbouring styles: Guro in the north, Dan-Guéré in the west and Dida in the southeast.

The very powerful short legs accentuate the slimness of the torso, punctuated from the front by the movement of the ribs and clavicles, and, at the back, by the stretching of the spine. The tension of the volumes is matched by the linear dynamics of the tegumentary ornaments. The gaze is accentuated by the concentric patterns as well as the half-opened mouth and the pointy teeth. These decorative elements  resemble those of the famous mask of the Tzara collection and that acquired by Warrant Officer Filloux not far from Gagnoa (Goy, Côte d'Ivoire. Premiers regards sur la sculpture. 1850-1935, p.188). This important figure from the Marceau Rivière collection shows, in the importance of the face and pose, in the poise of the bust and the attention paid to the signs of beauty, the majesty of its mythical subject and the genius of the artist who created the form.