Lot 101
  • 101

Jean-Honoré Fragonard

Estimate
25,000 - 35,000 EUR
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Description

  • Jean-Honoré Fragonard
  • Couple dans un parc
  • Pinceau et lavis brun sur pierre noire
  • 227 x 173 mm ; 9 by 6 5/8 in

Provenance

Vente anonyme, 6 mars, 1899, n°31 ;
Collection de Madame Rahir, Paris ;
Collection de Mlle X., Paris ;
Collection Camille Groult, Paris ;
Vente Ader, Paris, Galerie Charpentier, 9-10 juin 1953, n°7

Exhibited

Fragonard, Pavillon de Marsan, Paris, 1921, n°200
Exposition de Dessins de Fragonard
, Galerie Seligmann, Hôtel Sagan, 9-30 mai 1931, n°93

Literature

A. Ananoff, L'OEuvre dessiné de Jean-Honoré Fragonard : 1732 - 1806. Catalogue raisonné, Paris, 1961, vol. I, p. 156, n°356, vol. II, Addenda, Paris, 1963, p. 308, n°356, fig. 367.

Condition

Laid down. Overall in very good condition. A few brown stains, more visible in the upper section of the sheet. Wash and chalk remain strong and vibrant. Contre collé sur un montage. Très bon état de conservation dans l'ensemble. Quelques tâches brunes un peu plus visibles dans la partie haute de la feuille. Quelques décolorations. Le médium, le lavis restent très puissant et vibrant.
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Catalogue Note

 « Pour apprécier à sa mesure le génie de Fragonard, il ne suffit pas de connaître son œuvre de peinture 1».


Peu d’artistes auront aussi rapidement suscité un intérêt pour leur œuvre graphique que Fragonard.
On savait déjà qu’un goût de la collection du dessin était apparu dès le vivant de l’artiste et que les dessins n’étaient plus considérés comme des outils tendant vers une œuvre finie, mais comme des objets à part entières à collectionner, à acheter, à se disputer. Les premiers catalogues de vente des années 1770-1780, prouvèrent ainsi la présence accrue d’amateurs de dessins prêts à payer davantage pour une œuvre graphique que pour une peinture2.
« Un vrai connoisseur […] voit dans un croquis la manière de penser d’un grand maître, pour caractériser chaque objet avec peu de traits » écrivait l’historien académicien Dezallier d’Argenville dès 17623. On s’intéressait donc autant à la genèse de l’œuvre qu’à l’œuvre achevée, et l’on chérissait ce dessin qui montrait la première idée, la fougue et l’ingéniosité d’un artiste. Fragonard, et son trait fiévreux, avait tout pour conquérir ces amateurs en quête d’un lien direct avec la pensée intime de l’artiste.

Notre dessin présentant ces trois personnages brossés rapidement, ces cascades tremblantes et perdues dans une végétation foisonnante, incarne parfaitement les qualités qui avaient fait le succès de l’artiste. On y voit son penchant pour les scènes galantes et gentiment polissonnes, avec ce couple enlacé, surpris par un indiscret, tout comme sa façon d’insérer des ornements dialoguant avec la scène. Ainsi voit-on ce charmant putti accoudé sur une fontaine, déjà présent dans bien des peintures et dessins de Fragonard, à commencer par ses plus célèbres, comme l’Escarpolette4 ou La Poursuite5. Cette représentation allégorique d’un Amour en pierre, joufflu et potelé, symbolise parfaitement la dérision de Fragonard qui matérialise l’érotisme palpable de ses scénettes par des statues de pierre observant la scène avec une même émotion naïve.

Le paysage grandiose en arrière-plan nous rappelle quant à lui le choc que fut l’Italie sur le jeune peintre. On relève en effet que ces paysages abondamment lavés d’encre furent beaucoup réalisés autour des années 1760, après la découverte par Fragonard des vues puissantes de Tivoli6. L’exposition de 1931 avait d’ailleurs intitulé notre dessin « paysage d’Italie». Pourtant sa géographie fantasque ne la rattache pas directement à un paysage local. Même si une ancienne méthodologie tendait à séparer  ses « dessins d’après nature » de ses « dessins d’après un modèle intérieur », « la distinction n’est pas si tranchée » nous rappelait l’historien François Fosca7. Car en effet, on pourrait s’aventurer à reconnaître les escaliers poétiques de Tivoli perdus dans la cascade à l’arrière-plan, mais il serait difficile d’y retrouver également ces peupliers hors de toute mesure.
Ce paysage n’est donc certainement pas une observation minutieuse de la Nature, mais il est bien au-delà. Par sa liberté formelle, il définit d’ailleurs parfaitement les qualités imaginatives de Fragonard. L’artiste brillait encore davantage dans les compositions sans entrave que lui permettait le papier que dans les toiles déjà un peu plus « assagies » qu’il réalisait après recherches… 

C’est effectivement par le dessin qu’on perçoit le « triomphe de Fragonard 8», et c'est d'ailleurs cette citation de Portalis qui inspira le titre de l'exposition de cette année des dessins de Fragonard au Metropalitan Museum, Drawing Triumphant.  Notons pourtant que la première exposition consacrée à un Fragonard dessinateur n’eut lieu qu’en 19319, et qu'elle était organisée par un autre grand antiquaire et marchand parisien, Germain Seligmann (1893-1978). Notre dessin y figurait déjà, sous le numéro 93,  prêté par la veuve du collectionneur Edouard Rahir (1862-1924)10. Pour la première fois on affichait officiellement le talent si vanté de l’artiste pour ce médium et notre lavis répondait alors entièrement aux définitions qu’en avait tiré les frères Goncourt. Dans leur ouvrage, l’Art du XVIIIe, les Goncourt avaient en effet classé les dessins de Fragonard par médium, et si les sanguines étaient ses « performances tactiles », ses lavis bruns quant à eux « ne prenaient d’une couleur que la vapeur » montrant « l’admirable éparpillement du jour11».

1- Louis Réau, Fragonard, sa vie et son œuvre, Bruxelles, 1956, p. 95.
2- Perrin Stein, introduction au catalogue d’exposition, Fragonard Drawing Triumphant - Works from New York Collection, [cat. Exp.], Metropolitan octobre 2016 – janvier, New York, 2017 p. XII.
3- Antoine-Joseph Dézallier d’Argenville, Abrégé de la vie des plus fameux peintres, vol. 1, p. lxj. 
4- Jean-Honoré Fragonard, Les Hasards heureux de l’escarpolette, huile sur toile, 81x64 cm, Wallace Collection, Londres, peinture réalisée entre 1767-1769.
5- Jean Honoré Fragonard, La Poursuite, huile sur toile, 317 x 215 cm, Frick collection, partie des quatre panneaux pour le salon de la Du Barry à Louvenciennes, inv. 1915.1.45.
6- Drawing Triumphant, p. 133.
7- François Fosca, Les Dessins de Fragonard, Paris, 1954, p. XV.
8- « Le dessin, voilà le triomphe de Fragonard », écrivait Portalis, cf, Roger Portalis, Honoré Fagonard, Sa vie et son œuvre, vol. 2, Paris, 1889, p. 187.
9- Ouvrage collectif, Fragonard Drawing Triumphant - Works from New York Collection, [cat. Exp.], New York, The Metropolitan Museum of Art, 2016-2017, p.5
10- Exposition de dessins de Fragonard 9 – 30 mai 1931, ancien hôtel de Sagan, rue Saint Dominique, fondation de la Maison de Santé du Gardien de la Paix, MM Jacques Seligmann et fils, cat. 93 « paysage d’Italie » p. 48 (prêté par Madame Rahir)
11- Jules et Edmond de Goncourt, L’Art du XVIIIe siècle, t. II, Paris, 2007, p. 212.