Lot 72
  • 72

Stendhal, Henri Beyle dit

Estimate
4,000 - 6,000 EUR
Log in to view results
bidding is closed

Description

  • Stendhal, Henri Beyle dit
  • Lettre autographe [à Félix Faure ?]. Dresde [Sagan], 16-19 juillet 1813.
  • ink on paper
4 p. in-4 (245 x 196 mm), sur un bifeuillet de papier vergé. Filigane "Vander Ley". Signée "Chasteller", l'un de ses pseudonymes, qu’il utilisera dans Lucien Leuwen ; il a ajouté en tête de sa lettre : "Lettre commune à mon frère [son beau-frère] et à mes sœurs ainsi qu’à mon bon grand-père [Henri Gagnon qui devait mourir le 20 septembre 1813]."

Extraordinaire lettre écrite pendant l’épidémie qui sévit en Silésie où Stendhal exerça pendant quelques semaines les fonctions d’intendant du corps de cavalerie.



Parlant parfois de lui à la troisième personne, Stendhal décrit ses violents accès de fièvre, le travail énorme qu’il doit fournir, sans secrétaires compétents : "je suis un animal flambé", l’ennui qui l’assaille, l'absence de ce qui le nourrit : les arts, l'amour et l'amitié. Faisant allusion à ses sentiments pour le sexe féminin, il parle de la mystérieuse Jenny [Leschenault] pour qui il n’aurait pas été un bon "husband". Enfin, il recommande à son correspondant la discrétion et l’usage de codes pour parler de certaines personnes avant d’évoquer l’heureux sort de son ami italien Giovanni Plana, qui peut vivre "dans une solitude entière avec la musique, les poètes et les jardins. Cette grande âme fait à cette heure un voyage en Italie qu'il voulait faire avec moi. "



"J'ai cru avoir l'honneur d'être enterré à S[agan]. Il règne ici des fièvres nerveuses, pernicieuses, singulières, qui ont emporté 400 personnes depuis quelques mois. […] Je suis encore tout hébété du délire de cette nuit. J'ai été étonné du peu d'effet du voisinage de la mort, cela vient je crois de la croyance que la dernière douleur n'est pas plus forte que l'avant-dernière. […] J’ai été sur le point de brûler tout (mes vers) pour ne pas prêter à rire à mon second accès. Mais je n’ai pas encore désespéré tout à fait du sort de la République. Je lis Tacite, ou plutôt je radote sur Tacite. Tous ces militaires, nouvelles connaissances d'un mois se sont parfaitement conduits avec moi, franchise, générosité, attention, un million de fois mieux que s'ils eussent été des gens de lettres, ou telle autre classe de la société. Je n'en attribue pas moins ma maladie au hazard d'abord ou à la fermentation inaperçue des corps, 2° à l'ennui. Je me débatais comme un diable pour m'en délivrer. Je travaillais énormément mais ce travail n'occuppe pas toute ma force, si je n'ai pas quelque douce pensée, à chantonner entre mes dents, en fesant mes lettres officielles, je suis un animal flambé. […] Je vois par les lettres de Favier que l’idée que tu te fais de sa vengeance concentrée pour ainsi dire, ne lui semble pas juste. Si à un instant quelconque du jour, quand il était à Leipsick, on lui eut donné le pouvoir d’un dieu, il ne s’en serait servi pour autre chose que pour se transporter dans une grande ville d’I[talie]. La preuve qu’il n’y a pas de vengeance dans son affaire, c’est qu’il oublie les ennuyeux comme la colique. Huit jours après que le hazard l’a soustrait à leur voisinage, il a oublié jusqu’à leur nom. Son vrai malheur ici est l'absence totale des sensations qui le nourrissaient : les arts, l'amour ou son image, et l'amitié. Comme je n’ai aucun sentiment tendre ici, les filles me font horreur."



Poursuivant sa lettre le lendemain, il se dit accablé de travail, regrettant ses postes antérieurs en Italie : "J’ai l'expérience des 7 mois de travail de l'année dernière. Solitude absolue jusqu'à 6 h. alors, une société où l'on rie ou un bon opéra buffa. C'est parce que j'espère y trouver cela que j’aime les p. of R. et F." [les préfectures de Rome et de Florence ?]. Il achève sa lettre le 19 juillet, après une nouvelle visite du médecin : "J’ai honte de tout ce bavardage égoïste, mais considère que tu es mon seul conseil, que personne ne se doute de mon amour pour la tranquillité. Rien de nouveau. J'ai encore passé la journée d'hier dans le délire". 



Placé sous les ordres du général Latour-Maubourg, Stendhal était arrivé à Sagan, en Basse Silésie, le 10 juin 1813. Son état de santé le força à joindre Dresde et de là, il fut autorisé à rejoindre Paris avant de partir achever sa convalescence en Italie où il retrouva sa maîtresse, Angela Pietragrua.



Références : Stendhal, Correspondance générale, éd. V. Del Litto, Champion, 1998, t. II, n° 879.