Lot 54
  • 54

Flaubert, Gustave

Estimate
5,000 - 7,000 EUR
Log in to view results
bidding is closed

Description

  • Flaubert, Gustave
  • Lettre autographe signée à Louise Colet. [Croisset,] nuit de samedi 2 h. [octobre 1847].
  • ink on paper
4 p. in-8 (210 x 136 mm), sur un bifeuillet. Signée d'un paraphe.

Belle lettre sur l'écriture et le "rude exercice" de Par les champs et les grèves.



Flaubert indique lui avoir renvoyé par le chemin de fer différents documents, dont La Jeunesse de Goethe [une comédie de Louise Colet datant de 1839] et les papiers Praslin [rassemblés par Louise à la suite de l’assassinat de la duchesse de Praslin par son mari en août 1847]. Puis il s’inquiète de la grossesse de la comédienne Rachel, qui devait jouer dans une pièce de Louise Colet et qui donna effectivement naissance à un fils en janvier 1848"Comment vas-tu, chère amie. Que devient le corps et l’âme ? Pégase et le pot au feu ? Je veux dire l’art et la vie. J’ai été assez vexé pour toi de l’engrossement de Rachel. Que décides-tu ? Si j’ai un conseil à te donner c’est d’attendre qu’elle ait pondu son enfant pour lui donner le tien. — On n’a presque pas d’exemple d’une pièce jouée par elle qui soit tombée. Si sans elle ton œuvre triomphe avec elle le succès sera plus complet". Il lui suggère de demander conseil à des gens plus compétents que lui : "En fait de succès et de chutes à prédire je n’y entends goutte. J’aurais en poche l’Hamlet de Shakespeare et les Odes d’Horace que j’hésiterais à les publier. Mais tout le monde n’est pas tenu d’avoir sur l’intelligence du public le préjugé que j’en ai".



Puis il parle de la rédaction de Par les champs et les grèves : "Sache donc que je suis harassé d’écrire. Le style qui est une chose que je prends à cœur m’agite les nerfs horriblement. Je me dépite, je me ronge. Il y a des jours où j’en suis malade et où la nuit j’en ai la fièvre. Plus je vais et plus je me trouve incapable de rendre l’Idée. – Quelle drôle de manie que celle de passer sa vie à s’user sur des mots, et à suer tout le jour pour arrondir des périodes. — Il y a des fois il est vrai où l’on jouit démesurément mais par combien de découragements et d’amertumes n’achète-t-on pas ce plaisir. Aujourd’hui par exemple j’ai employé 8 heures à corriger cinq pages et je trouve que j’ai bien travaillé. Juge du reste — c’est pitoyable. — Quoi qu’il en soit j’achèverai ce travail qui est par son objet même un rude exercice. Puis l’été prochain je verrai à tenter St Antoine. Si ça ne marche pas dès le début je plante le style là, d’ici à de longues années. Je ferai du grec, de l’histoire, de l’archéologie, n’importe quoi toutes choses plus faciles enfin. Car je trouve trop souvent, bête la peine inutile que je me donne". Il explique comment lui et Du Camp procèdent pour cette écriture à deux plumes, conscient qu’un tel ouvrage sera difficile à publier.



Après avoir assuré Louise qu’il ira voir sa pièce lorsqu’elle sera montée, et avoir fait allusion à Phidias [le sculpteur Pradier] et à son ami Doroszko [médecin homéopathe, d’origine polonaise], Flaubert achève plus tendrement sa lettre : "Adieu, ma vieille amie. Dis-moi que tu es sinon heureuse du moins calme. Le bonheur est un mensonge dont la recherche cause toutes les calamités de la vie, mais il y a des paix sereines qui l’imitent, et qui lui sont supérieures peut-être. Adieu encore je te serre tendrement les mains — en dedans — et je t’embrasse sur l’âme". En 1847, Louise Colet multipliera les démarches pour faire jouer son drame, Madeleine, refusé par la Comédie française en 1848. Elle le fit publier en feuilleton dans La Presse en 1850, sous le nouveau titre de Une famille en 1793, mais il ne fut jamais représenté.



Provenance : Colonel Daniel Sickles (IV, novembre 1990, n° 1109).



Référence : Correspondance, Pléiade, I, p. 474.