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Statue, Lumbu, Gabon
Description
- wood
- haut. 51 cm
- 20 in
Provenance
Literature
Grand-Dufay, Les Lumbu. Un art sacré. Bungeelëyibayisi, 2016, p. 252 - 259, n° 172
Catalogue Note
Par Charlotte Grand-Dufay
Historienne de l'art
Appelé nzighu chez les Lumbu, le chimpanzé révèle, dans son interprétation sculpturale, la prodigieuse inventivité de l’art du peuple Lumbu et la spécificité culturelle de son style.
Les Lumbu peuplent la façade maritime du Gabon et de l’actuelle République du Congo, et l’intérieur des terres dans la région de Sintoukola et de la frontière gabonaise. Peuple d’origine Bantu, autrefois intégré au royaume Kongo, puis de Loango, les Lumbu partagent avec les groupes Punu, Vili et Yombe voisins, une communauté d’origine et une variante régionale de la tradition Kongo.
Au sein de cette tradition, et pour chacun des peuples apparentés, Nzighu, le chimpanzé, est considéré comme le “grand esprit“ qui habite la forêt. On lui attribue des propriétés supranaturelles d’origine mythique : il est le frère de la grande divinité du Loango, Bunzi aux neuf seins, dont la mère est d’origine céleste. Au Loango et au Ngoyo, l’homme et nzighu entretiennent une relation privilégiée. Au XIXe siècle, le chimpanzé était ainsi considéré comme un animal de genre humain attaché à la royauté. C’est dans l’enclos sacré des rois de Loango que sa peau était conservée. Par ailleurs, le Pasteur Efraïm Anderson note sa présence dans trois contes Kota évoquant le mythe originel de Yele, petite fille de Nzambi Watanda, le Dieu du Ciel, qui fut enlevée par un chimpanzé.
Cet animal totémique d’origine mythique est notamment révéré pour sa faculté à établir une médiation magico-religieuse entre les hommes et les esprits. Selon un informateur Lumbu, dans le cadre du bwiti, le chimpanzé est une image totémique qui dote le Kombo - maître initiatique du bwiti - d’une agilité physique et surtout spirituelle ; incarnant la bravoure, il a le rôle de gardien et vigile du temple.
Cette statue incarne, dans la prodigieuse réinvention du sujet, l’origine mythique et les pouvoirs surnaturels conférés au nzighu. Si la tête reproduit la morphologie crânienne du chimpanzé, le corps transcende le naturalisme pour venir imposer une stylisation conceptuelle. La vue de face, et surtout celle de dos, résument le buste à une puissante forme en cœur. Dépourvu de pieds (disparaissant dans l’épaisseur de la base circulaire) et de cou, l’être mi-animal, mi-humain s’impose dans la fulgurance de son geste : la tête rentrée dans les épaules arrondies, les bras faisant corps avec le mouvement des jambes en flexion, les mains soulignant le ressort des genoux.
Certains de ses traits sont communs aux reliquaires Lumbu, notamment le triangle rouge sur le front, le bleu Guimet, les yeux en demi-cercle sertis de verre aux pupilles noires et la bouche ovale ouverte. Sa polychromie associe les trois couleurs fondamentales des œuvres sacrées Lumbu. Le blanc, qui couvre le crâne, les épaules, les bras et les mains, évoque cet ailleurs où résident les ancêtres. Extrait de la poudre du bois de padouk, le rouge, recouvrant les jambes et dont une bande tapisse le crâne et le torse, symbolise ici la puissance de l’animal, mais aussi sa vigilance et son dynamisme. Le bleu s’impose sur le visage et, au dos, sur les grandes oreilles. Ce bleu de “lessive“, le bleu de « Guimet » introduit par le commerce européen, fut récupéré par les Lumbu comme teinture pour les statues, les reliquaires et les poteaux de temple.
Peint des trois couleurs traditionnelles, nzighu devient une entité immatérielle douée d’une puissance considérable qui relève du sacré. Objet de prestige réservé à l’apanage du chef, il était conservé à l’abri des regards. Ce grand emblème de la forêt équatoriale, exhibé autrefois pour authentifier les droits seigneuriaux du clan Bagoyo ou Bivalongo, est à la fois unique en son genre et sculpturalement exceptionnel !
Nzighu, the “great spirit” of the forest
By Charlotte Grand-Dufay
Art historian
The Lumbu call chimpanzees nzighu, and their sculptural interpretation reveals the unique ingenuity of the art of the Lumbu people and the cultural specificity of their style.
The Lumbu live on the seafront in Gabon and in the current Republic of the Congo, as well as inland, in the Sintoukola region and at the Gabonese border. Bantu in origin, formerly inhabitants of the Kongo kingdom, then of the Loango kingdom, the Lumbu share with the Punu, Vili and Yombe neighbouring groups, a native community and a regional variant within the Kongo tradition.
Within this tradition, and for each related people, Nzighu, the chimpanzee, is regarded as the “great spirit” that lives in the forest. He is said to have supernatural abilities of mythical origins: he is the brother of the great divinity of the Loango, the nine-breasted Bunzi, whose mother is of celestial origin. In Loango and Ngoyo, Man and the nzighu have a special relation. In the 19th century, the chimpanzee was thus regarded as a human type of animal linked to royalty. Its skin was kept in the sacred enclosure of the Loango kings. Moreover, Pastor Efraïm Andersson points out its presence in three Kota tales evoking the original myth of Yele, the granddaughter of Nzambi Watanda, God of the Sky, who was kidnapped by a chimpanzee.
This totemic animal with its mythical origins was particularly revered for its faculty to establish a magic-religious mediation between men and spirits. According to a Lumbu advisor, within the bwiti, the chimpanzee is a totemic image which gives the Kombo - the initiation Master of the bwiti - a physical and, most of all, a spiritual agility; the personification of bravery, it is both the guard and watchman of the temple.
This statue, in the prodigious reinvention of its subject, embodies the mythical origins and the supernatural capacities conferred on the nzighu. Although the head reproduces the cranial morphology of a chimpanzee, the body transcends naturalism and shifts into conceptual stylization. The front view, and even more so, the rear view, pare down the bust to a powerful heart shape. Devoid of feet (which disappear into the thickness of the circular base) and of a neck, the semi-animal, semi-human’s striking stance is arresting: shoulders hunched, bringing the head into the rounded shoulders, arms in unison with the bent legs, hands underlining the spring of the knees.
Some of its features can also be found on Lumbu reliquaries, in particular the red triangle on the forehead, the Guimet blue, the half-circle eyes set with glass and black pupils, and the open oval mouth. Its polychromy associates the three essential colours of sacred Lumbu works of art. White, which covers the skull, the shoulders, the arms and the hands, evokes the remoteness where the ancestors reside. Red - extracted from padauk wood powder, and which covers the legs as well as a band across the skull and chest - here symbolizes the power of the animal, but also its vigilance and its dynamism. Blue is prominent on the face, and, to the rear, on the large ears. This “detergent” blue, “Guimet’s” blue, introduced by European trade, was used by the Lumbu as a dye for statues, reliquaries and temple pillars.
Painted in the three traditional colours, the nzighu becomes an immaterial entity wielding considerable power related to the sacred. An object of prestige, and the sole prerogative of the chief, it was kept hidden away from view. This large emblem of the equatorial forest, which used to be displayed to authenticate the seigniorial rights of the Bagoyo or Bivalongo clan, is both one of a kind and sculpturally exceptional!