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Tête, Fang, Gabon
Description
- Wood with oily
- haut. 53 cm
- 20 3/4 in
Provenance
Collection Louis Carré (inv. n° 1094), acquis avant 1933
Collection Charles Ratton (inv. n° 7719)
Collection Gaston de Havenon (1904-1993), New York
Paris, Drouot Montaigne, Quay (de) et Lombrail, 30 juin 1994, "Collection Gaston de Havenon", n° 35
Collection privée, France
Paris, Hôtel Drouot, Quay (de) et Lombrail, 23 avril 1997, n° 109
Alain de Monbrison, Paris
Collection Claude Berri, Paris, acquis en 2007
Transmis par descendance
Exhibited
New York, Museum of Modern Art, African Negro Art, 18 mars - 19 mai 1935, photographié par Soichi Sunami lors de l'installation de l'exposition
Socle de Kichizô Inagaki (1876-1951)
Literature
Baumann et Westerman, Les Peuples et les Civilisations de l'Afrique, 1970, couverture
Perrois, La statuaire Fañ, Gabon, 1972, mémoire ORSTOM n° 59, p. 328
Catalogue Note
Le 24 octobre 1934, James Johnson Sweeney annonçait au marchand et collectionneur parisien Louis Carré qu’Alfred Barr, directeur du Museum of Modern Art (MoMA, New York), venait de lui confier la direction de la première grande exposition dédiée par une institution américaine, à l’art africain (Fonds Louis Carré, Musée du quai Branly-Jacques Chirac). En quelques mois, avec la collaboration de Louis Carré et de Charles Ratton, Sweeney parvint à réunir plus de cinq cent œuvres majeures pour ce qui allait devenir la plus importante et audacieuse exposition de son temps : African Negro Art (MoMA le 18 mars-19 mai 1935). Dans les fiches documentaires qu’il joint à l’envoi des cinquante-quatre œuvres provenant de sa collection, Louis Carré prend soin de mentionner leur provenance et leur participation aux expositions parisiennes qui avaient ouvert la voie à un regard artistique sur les « arts lointains » : Exposition d’art africain et d’art océanien (galerie du théâtre Pigalle, 1930), Exposition de bronzes et ivoires du royaume de Bénin (musée d’ethnographie du Trocadéro, 1932), et Sculptures et Objets : Afrique noire – Amérique ancienne – Mélanésie, Polynésie (Chez Louis Carré, 2 bis Villa Guibert, 1933).
L’exposition de 1933 chez Louis Carré mentionnée dans la notice de cette tête Fang est une première. Montrées dans un cadre et selon une présentation moderniste, les œuvres d’Afrique, d’Océanie et des Amériques sont sélectionnées sur les critères du naturalisme et de la virtuosité artistique. La presse et le monde de l’art célèbrent la qualité des pièces, et le débat sur l’intégration des « arts sauvages » au musée du Louvre, initié dès 1920 par le critique d’art Félix Fénéon, est relancé. Le communiqué de presse qui accompagne l’exposition vante l’ensemble du Gabon – dont cette tête Fang constitue l’apothéose – comme l’un des plus éminents corpus présentés : « Plusieurs statuettes et têtes des Pahouins. Les pièces de cette provenance sont peut-être les plus recherchés des [arts] africains. Les Pahouins […] sont en effet d’extraordinaires sculpteurs ».
La mention « Collection Marion » se rapporte très vraisemblablement à Georges Marion, qui avait également acquis, au Gabon, la célèbre statue Fang Mvaï de la collection Pierre Guerre. Selon la légende familiale, dans l’une des dernières lettres adressées à son épouse, Marion écrivit ne pas avoir trouvé l’or espéré, mais « un trésor qui un jour sera beaucoup plus précieux ».
añgokh-nlô-byeri, l’impérieuse « tête entière de l’ancêtre »
Par Louis Perrois
Ethnologue et historien de l'art, spécialiste des arts de l'Afrique équatoriale
Les Fang (appelés aussi « Pangwe » ou « Pahouins »), pratiquaient jusqu’au moins les années 1920, un culte aux ancêtres familiaux, connu sous le nom de byeri, dont les expressions plastiques sont des représentations symboliques des défunts sous la forme de statuettes de bois (eyema byeri = « l’image du byeri »), mais aussi de têtes seules.
Ces têtes en bois, à long cou pédonculé étaient appelées añgokh-nlô-byeri [litt.= « la tête entière de l’ancêtre »]. Dans les musées et les collections privées occidentales, les têtes seules sont beaucoup plus rares que les statues en pied et souvent d'une remarquable qualité de finition ; quelques-unes, dont celle-ci, étant incontestablement des chefs-d’œuvre. Si les statues représentent un ancêtre sexué de façon ostentatoire (homme ou femme), les têtes seules en revanche sont évidemment moins identifiables à cet égard - les coiffures à tresses ou à coques (nlô-ô-ngo) pouvant être indifféremment portées par les hommes ou les femmes.
Contrairement aux statues en pied, qui étaient dévoilés lors des rites d’initiation, les têtes añgokh-nlô-byeri demeuraient soigneusement cachées dans la chambre du chef de lignage, tout au fond de sa case. Elles étaient régulièrement enduites d'huile de palme et de poudre de ba (mélange d'huile et de bois de padouk pulvérisé, cet enduit rouge étant, comme les plumes de perroquet de même couleur qui les ornaient, le signe du sacré).
Toutes les têtes fang añgokh-nlô-byeri dont on connaît plus ou moins précisément la provenance par des documents d’archive (ceux du Père Trilles par exemple) ont été trouvées chez les Fang du Sud, c’est-à-dire les Fang de l'Estuaire du Gabon, ceux des vallées du Como, du Remboué, de l'Okano et de l'Abanga enfin les Fang Betsi du sud du Woleu-Ntem et de la rive droite de l'Ogooué. Bien que beaucoup plus rares, elles ont coexisté dans cette region, depuis très longtemps, bien avant le XIXe siècle, avec la tradition de la statuaire en pied, et leur prodigieuse qualité sculpurale atteste d’une maturation technique perpétuée de génération en génération.
Résumées à l’interprétation sculpturale de la seule tête ancestrale, ces têtes ont fasciné, dès les années 1910-1920, les plus éminents précurseurs de l’art Africain, tels que Joseph Brummer, Paul Guillaume, Carl Einstein, André Lefèvre ou encore Jacob Epstein.
Une brillante singularité
Cette exceptionnelle sculpture se présente comme un visage au front proéminent en quart de sphère, déterminant une face en « cœur » allongée vers une bouche aux lèvres fines, étirée en avant, selon la « moue » Fang caractéristique, les yeux en « grain de café » autrefois ornés de plaques métalliques. Le classicisme sensible de l’imposant visage, jouant sur les formes épurées et la tension des courbes, tranche avec la remarquable abstration de la coiffe. A la ronde bosse se substitue, au dos, la transcription en aplat de la coiffe à tresses « ekuma », agencée en cinq arcs de cercle se déployant de part et d’autre de la tresse axiale. L’impact graphique s’amplifie par l’orifice transversal servant à la fixation d’un décor de plumes aseñ, et par très délicate frise en cauris stylisés en petits losanges qui orne, à l’instar de l’emblématique tête de la collection Barbier-Mueller, le rebord du bandeau à deux longues tresses latérales cernant le visage. Si, comme pour d’autres spécimens de têtes à tresses de la rive droite de l’Ogooué, cette structure volumétrique de la coiffe correspond probablement à un usage prioritairement frontal de l’objet, la brillante singularité de son interprétation révèle la vision et le talent de son auteur.
Tandis que la patine rappelle les rites honorifiques qui lui ont été rendus, les parties érodées résultant de prélèvements qui permettaient d’entrer en correspondance étroite avec les ancêtres, renforcent la prégnance de sa beauté minimaliste. Célébration impérieuse de l’ancêtre originel et des prémices de la reconnaissante des Arts Africains, ce chef-d’oeuvre traduit magistralement la beauté universelle de l’art Fang.
“Human head borne on a high cylindrical neck. The coiffure arranged in parallel folds. […] French Congo. Pahouin […] Exhibited: l’Afrique Noire, at Louis Carré’s, Paris, 1933. Former Marion Collection. Louis Carré Collection, Paris, no. 1094. Description of the work addressed by Louis Carré to James J. Sweeney, 1935
On 24 October 1934, James Johnson Sweeney informed the Parisian art dealer and collector Louis Carré that he had been asked by Alfred Barr, director of the Museum of Modern Art (MoMA, New York), to curate the first major exhibition dedicated to African art by an American institution. (Fonds Louis Carré, Musée du quai Branly-Jacques Chirac). Within a few months and with the help of Louis Carré and Charles Ratton, Sweeney had gathered together more than five hundred major pieces for what would become the most important and audacious exhibition of his time: African Negro Art (MoMA 18 March -19 May 1935). In the paperwork accompanying the shipment of the fifty-four pieces from his collection, Louis Carré made sure to mention their provenance and their inclusion in the earlier Parisian exhibitions that had paved the way for the new artistic outlook on the "distant arts": Exposition d’art africain et d’art océanien (galerie du théâtre Pigalle, 1930), Exposition de bronzes et ivoires du royaume de Bénin (musée d’ethnographie du Trocadéro, 1932), and Sculptures et Objets: Afrique noire – Amérique ancienne – Mélanésie, Polynésie (Louis Carré, 2 bis Villa Guibert, 1933).
The 1933 exhibition at Louis Carré's residence was the first of its kind. Displayed in a modernist manner and setting, pieces from Africa, Oceania and the Americas were selected based on criteria of naturalism and artistic virtuosity. The press and the art world celebrated the quality of the pieces, and the debate on the integration of the "savage arts" in the Louvre museum, originally initiated by art critic Félix Fénéon as early as 1920, was revived. The press release of the exhibition praised the Gabon ensemble, with the present Fang head at the heart of the display, as one of the most important corpora presented: "Several Pahouin statuettes and heads. Pieces from this source are perhaps the most sought after of African [arts]. The Pahouins [...] are indeed extraordinary sculptors.
The mention of the "Marion Collection", supplied in 1935 by Louis Carré to James J. Sweeney, most likely refers to Georges Marion, who also collected the famous Fang Mvai statue from the Pierre Guerre collection. According to family legend, in one of the last letters to his wife, Marion wrote that he had not found the gold he hoped for, but rather "a treasure that one day will be much more valuable".
Añgokh-nlô-byeri, the imperious "full head of the ancestor"
By Louis Perrois
Ethnologist, Art historian and Equatorial African art specialist
The Fang (also called "Pangwe" or "Pahouins"), practiced a cult of family ancestors, known as byeri until the 1920s. They produced these artistic expressions as symbolic representations of the deceased ancestor in the form of wooden figures (eyema byeri = "the image of the byeri"), but also as standalone heads.
These wooden heads, with their elongated necks, were called añgokh-nlô-byeri [litt.= "full head of the ancestor"]. They are much rarer than the standing figures and often boast beautiful detailing, with some, especially this one, being unquestionable masterpieces. While the stand alone figures represent an obviously gendered ancestor (male or female), the standalone heads are less identifiable in this respect - braided or lobed (nlô-ô-ngo) coiffures can be indifferently worn by men or women.
In contrast to the full-scale sculptures, which were unveiled during the initiation rites, the añgokh-nlô-byeri heads remained carefully hidden in the depths of the lineage chief's house, where they were regularly coated with palm oil and ba powder (a sacred mixture of oil and pulverized padauk wood that produced a red coating, similar to the parrot feathers that adorned them).
The origins of all the Fang añgokh-nlô-byeri heads are more or less accurately known from archival documents (those of Father Trilles for example). They were discovered among the Southern Fang, i.e. the Fang people from the Estuary of Gabon, the valleys of the Como, the Remboue, the Okano and the Abanga, and along, the Fang Betsi from the south of the Woleu-Ntem and the right bank of Ogooue. Although much rarer, these heads have existed in this region, alongside the tradition of full scale statuary, since well before the nineteenth century and their prodigious sculptural quality attests to a technical maturation perpetuated from generation to generation.
Pared down to the sculptural interpretation of the sole ancestral head, these heads were a source of fascination, from the 1910s and 1920s onwards, for the most prominent early dealers and collectors of African art, including Joseph Brummer, Paul Guillaume, Carl Einstein, Andre Lefèvre and Jacob Epstein.
A magnificent singularity
This exceptional sculpture presents itself as a face with a prominent quarter-sphere forehead, delineating a "heart shaped" face tapering down towards a mouth with thin lips, pulled forward, in the characteristic Fang "pout" below the "coffee bean" eyes, formerly adorned with metal plates. The delicate classicism of this imposing face, playing on the clean lines and tension of the curves, contrasts with the remarkable abstraction of the coiffure to the rear, where the round is replaced by a flat depiction of the "ekuma" braided coiffure, arranged in five arcs unfolding on either side of the axial braid. The graphic impact is amplified by the transverse hole used to affix an aseñ feather decor, and by a very delicate cowrie frieze, stylized as small diamond shapes, that adorns the edge of the two long lateral braids forming a band around the face, similar to the emblematic head of the Barbier-Mueller collection. Like other examples of braided heads from the right bank of the Ogooue, the volumetric structure of the coiffure probably corresponds to a primarily frontal use of the object and the brilliant singularity of its interpretation reveals the vision and talent of its author.
While the patina recalls the honorary rituals practiced in its name, the eroded parts, resulting from the extractions that allowed for close correspondence with the ancestors, heighten the impact of sculpture’s minimalist beauty. A masterful celebration of the original ancestor and of the budding recognition of African Arts, this masterpiece beautifully conveys the universal beauty of Fang art.