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Joseph-Siffred Duplessis
Description
- Joseph-Siffred Duplessis
- Portrait de Christoph Willibald Ritter von Gluck
- Porte une signature, localisation et date en bas à gauche J.S. Duplessis / pinx parisis 1775
- Huile sur toile
Provenance
Condition
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Catalogue Note
« Que voulez-vous, quand je tiens la nature, elle me tient à son tour et nous ne pouvons plus nous quitter » écrivait Duplessis et peut-être résumait-il ainsi son art du portrait naturaliste bien éloigné des pompeuses effigies des époques passées.
En 1775 le peintre Joseph-Siffred Duplessis (1725 – 1802) jouissait déjà du privilège des artistes du Roi et pouvait alors accrocher ses toiles dans la cour carré du Louvre. Le Salon de l’Académie royale de peinture et de sculpture de cette année-là fut d’ailleurs dominé par la présence du peintre qui dévoila, outre des portraits de grands hommes de son temps, le portrait du jeune Roi Louis XVI, fraîchement intronisé, et celui du musicien le plus en vogue d’Europe, Christoph Willibald, chevalier von Glück (1714-1787).
Ce peintre provençal, remarqué et envoyé en formation à Rome pour y retrouver les grands artistes de sa contrée comme Pierre Subleyras (1699 – 1749) et Joseph Vernet (1714-1789), tenait son accession à cette future carrière parisienne de son immense talent, d’ailleurs vite décelé par l’entourage royal. C’est lui qui dès 1771 fut désigné pour exécuter le portrait équestre de la jeune dauphine Marie-Antoinette, encore adolescente, et l’étranger l’appela à nouveau en 1774 lorsqu’il entreprit le portrait du compositeur Glück.
Glück était certes né en Allemagne mais passa sa vie entre la Prusse et Paris participant ainsi à ce bouillonnement intellectuel de l’Europe des Lumières qui faisait voyager les idées des salons de Madame Geoffrin, à la cour de Frédéric II de Prusse en infléchissant au passage les dogmes de l’art officiel. Le succès de ce compositeur rayonnait dans tout Paris et ses opéras, qui libéraient le genre de la domination italienne, ouvraient les plus fiévreux débats. « On se divise, on s’attaque, comme s’il s’agissait d’une affaire de religion[1] » écrivait Marie-Antoinette à propos des nouvelles écritures musicales de celui qui fut, à Vienne, son professeur de chant. « Nous sommes tous Glück[2] » s’extasiait Voltaire dans une lettre de 1774 à Nicolas de Lisle ou alors « Glück vient nous enseigner à Paris. Nos Orphées viennent d’Allemagne[3] » envoyait-il encore au Roi, Frédéric II de Prusse. Le succès de son opéra tiré des Métamorphoses avait en effet frappé la vie parisienne. On en donna plus de quarante-sept représentations lors de l’année 1774 et encore, celles-ci furent interrompues par la période décente de deuil qui succédait à la mort de Louis XV.
Glück triomphait et Paris le lui rendait en offrant au Salon suivant l’année de son Iphigénie, deux versions de son visage. Le portrait de l’Allemand fut ainsi modelé par le sculpteur Jean-Antoine Houdon (1741 – 1828) en même temps que peint par Duplessis entre 1774 et 1775. Le buste de Houdon présentait un compositeur, non plus inspiré par les muses, le regard détaché et fixant au-delà du spectateur un idéal mélodieux et poétique, mais dans la fièvre d’une inspiration romantique. Ces deux portraits si différents organisèrent pourtant deux écoles naturalistes de représentations de la figure artistique, et pour chacune d’elles, promises à une certaine postérité.
La composition de Duplessis montrant un artiste frappé par l’émotion d’une inspiration mais traité dans un vérisme fort peu consensuel allait se retrouver dans bien des peintures de son époque. « Je n’ai jamais rien vu de beau et de vrai à ce point-là » écrivait Mlle Julie de Lespinasse lorsqu’elle découvrit la version viennoise du portrait dans l’atelier de Duplessis en 1774.
Ce naturel de l’expression plut, et Elisabeth-Louise Vigée-Le Brun en fit une citation directe dans son portrait du compositeur italien Giovanni Pasiello en 1791 (aujourd’hui conservé à Versailles) qui semblait imiter non seulement la pose inspirée, mais jusqu’aux vêtements de Glück. Egalement, le portrait du compositeur François-Joseph Gossec par Antoine Vestier (de 1791 également) ne marqua sa temporalité que par son costume d’académicien, car reprenant exactement la pose inventée par Duplessis. Désormais, et grâce à Duplessis, l’artiste s’élèverait de sa condition non pas en présentant un physique avantageux et séduisant, magnifié par un peintre prévenant, mais en exposant l’intériorité d’une passion créatrice capable d’élever les âmes vers cet Homme nouveau que créait le XVIIIe siècle.
Cette proximité nouvelle que créait Duplessis avec l’artiste en l’installant dans un naturel enlevé, emporta l’adhésion. D’autres, que Glück lui-même, voulurent orner leurs intérieurs d’une pareille figure des arts, les inspirant sans les toiser. Notre peinture répondit au désir de cette société préférant un salon peuplé d’artistes, d’encylopédistes, présents ou suggérés plutôt qu’impressionnée par des gouvernants glorifiés. Le buste d’Houdon de cette année 1775 fut reproduit et envoyé dans les milieux intellectuels d’Europe (le prince de Saxe, Karl August en installa un exemplaire dans sa bibliothèque de Weimar) et le portrait de Duplessis put également être reproduit par l’artiste pour répondre à une commande privée.
La version que nous proposons procède du génie de Duplessis mais rappelle l’habitude de ce grand peintre du XVIIIe siècle, fortement sollicité et engagé à répondre aux nombreuses demandes. Réclamé à la suite du salon, Duplessis exécuta alors les majeures parties de ce portrait mais en délégua certains détails à son atelier. Ainsi paraissent légèrement différents et plus faibles ou moins finies, comparés à la version de Vienne, les détails du fauteuil, d’une partie de l’habit, du clavecin et de son ornementation d’oves. Evidemment, le portrait expressif du musicien et sa main gauche traitée dans un subtil raccourci ne peuvent qu’être rapportés à l’artiste, à lui seul.
La lettre qu’il enjoignit au comte d’Angivillier soulignait bien cette productivité importante qui ne cédait d’ailleurs jamais à la qualité : « Désespérant de rien faire de mieux sur vos portraits que j’ay depuis longtemps, je prends le parti de vous les renvoyer tels qu’ils sont ; un des deux est pour vous (…) il est tout entièrement d’après nature et l’autre est simplement la copie (…) cependant comme en fait de portraits la ressemblance est le premier mérite et qu’il est inévitable qu’on la cherche sans croire la tenir, qu’il ne se trouve pas des différences dans deux tableaux faits ainsi, vous choisirés celuy qui vous paroitra moins mal à cet égard[4]. ».
[1] Lettre du 19 avril 1774 de Marie-Antoinette à sa sœur à Vienne, in W. Sauerländer, Essai sur les visages des bustes de Houdon, MSH (éd.), Paris, 2005, p. 23
[2] Lettre de Voltaire à Jean-Baptiste Nicolas de Lisle du 30 mai 1774 in W. Sauerländer, Essai sur les visages et bustes de Houdon, MSH (éd.), Paris, 2005, p. 23.
[3] Lettre de Voltaire à Frédéric II de Prusse du 10 août 1774
[4] J. Belleudy, Joseph-Siffred Duplessis, Paris, 1913, p. 90