Lot 42
  • 42

Roberto Matta et Victor Brauner

Estimate
500,000 - 700,000 EUR
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Bidding Closed

Description

  • Roberto Matta et Victor Brauner
  • Innervision
  • huile sur toile
  • 145 x 196 cm ; 57 x 77 1/8 in.

Provenance

Roberto Matta
Par descendance au propriétaire actuel

Exhibited

Paris, Galerie du Dragon, 1956, n.n.
Munich, Kunsthalle der Hypo-Kulturstiftung & Vienne, Kunsthaus, Matta, 1991-92, no. 9 (titre erroné)
Marseille, Musée Cantini, Matta, Du surréalisme à l'histoire, 2013, no. 46

Literature

Jean Dausset, 'Victor ... Imperator' in Victor Brauner, Milan, 1995

Condition

The canvas is not lined; it is slightly buckling towards the corners and could perhaps benefit from re-stretching. Close examination reveals minor abrasion and losses to the extreme edges, along with a few light surface scratches. There are some surface accretions notably in the grey screen in the upper right. There is a 1cm loss towards the lower left corner with two small spots of retouching that fluoresce under UV light in the same area. Otherwise, this work is in very good condition.
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Catalogue Note

"L'amitié est le feu de leurs travaux.

Mon père me disait souvent que le premier public c'est l'ami.
Cette personne que l'on ne veut pas épater mais motiver.

Cela est flagrant dans la série des travaux à 4 mains.
Il ne reste de cela que quelques dessins et deux tableaux.
L'un est au Centre Pompidou, un grand Victor avec un petit Roberto dedans.
Et l'autre est devant vous : un grand Matta avec un petit Brauner dedans.

Ce tableau est particulièrement visionnaire de ce que le monde deviendra lorsque nos esprits seront monopolisés par les écrans.

Et le petit rayonne plus que le grand.
Car le grand autorise le petit à briller.

C'est cela aussi l'amitié: permettre à l'autre d'illuminer d'avantage.
L'art nous sert à cela, quand il est là."

(Ramuntcho Matta, juin 2011, à propos de l’amitié qui unissait Victor Brauner à son père Roberto Matta)

Cette toile monumentale de 1956 est le fruit d’un travail de collaboration entre Roberto Matta et Victor Brauner. Les deux peintres, tous deux exclus du groupe surréaliste, étaient unis par une profonde amitié et partageait une aspiration commune : éveiller la sensibilité du spectateur afin de lui permettre de dépasser le monde des apparences et d’accéder à une réalité cachée.

Innervision est le pendant d’Intervision, œuvre également peinte à quatre mains l’année précédente et désormais conservée au sein de la collection du Musée National d’Art Moderne. Toutes deux furent exposées à la galerie Dragon à Paris en 1956.

Fidèle au principe surréaliste du "cadavre exquis", dans lequel mots et images se trouvent assemblés collectivement, on retrouve dans ces deux œuvres collaboratives à la fois le style personnel de Matta et celui de Brauner. Ainsi que le souligne Didier Ottenger, “même lorsque le peintre roumain occupe la télévision ou l’écran de cinéma, c’est encore à lui, à ses personnages, que revient le rôle du voyeur enthousiaste ou contemplatif. Les figures de Victor Brauner sont comme ses tableaux : autonomes et silencieux. À l’opposé, celles de Matta bruissent et s’animent. Ses images dardent leurs lignes de force droit vers le spectateur […]. Cette confrontation, davantage que le croisement anecdotique de deux destins, nous éclaire sur la nature des regards de Brauner et Matta" (Didier Ottenger, in Victor Brauner dans les collections du Musée National d’Art Moderne (cat. exp.), Paris, 1996, p. 42).

Cependant, derrière la juxtaposition de leurs interventions respectives, l’œuvre d’un troisième artiste apparait selon le concept du third mind élaboré des années plus tard par l’écrivain culte de la Beat Génération William S. Burroughs et l'artiste Brion Gysin. En effet, selon les auteurs du livre éponyme, la synthèse du travail de deux artistes peut aboutir la formation d’une troisième personnalité artistique, indépendante des deux premières selon la règle 1+1=3.

A compter des années 1950, Roberto Matta travaille de plus en plus sur des toiles de grand format, sous l’influence du cinéma mais aussi de ce nouveau média dominant : la télévision. L’impact de ces progrès technologiques et de l’avènement de l’ère télévisuelle sur l’humanité est le thème principal de ces deux œuvres : Intervision et Innervision. Le motif récurrent de l’écran structure la composition, créant des espaces définis qui délimitent la contribution de chacun des deux artistes. Dans Intervision, la figure anthropomorphique présente sur l’écran relève de l’intervention de Matta tandis que Brauner est à l’origine de l’assemblée de spectateurs captivés. Dans Innervision, les rôles sont symboliquement inversés : Brauner a peint à l’intérieur de l’écran ce visage placide de lune bleue entourée d’énigmatiques créatures marines, Matta ayant quant à lui représenté six cyclopes réagissant à la vision de l’écran par des gestes enthousiastes. La dynamique créée par l’inversion des rôles entre les deux œuvres tend à interroger les conséquences chez l'homme de ces technologies nouvelles. La différence de style troublante entre les deux artistes met quant à elle en lumière le rapport de force inégal entre transmetteur et receveur. C’est ainsi le pouvoir hypnotique et asservissant de l’écran qui semble ici dénoncé.

Dans le présent tableau, les étranges personnages peints par Matta, cyclopes semblant tout droit sortis d’une œuvre de science-fiction, ne sont pas sans évoquer les personnages des Morlocks du roman d’Herbert George Wells, La Machine à explorer le temps : une communauté de mutants vivants en exil de la société dans les égouts de New York et nous observant par écrans interposés avec beaucoup de passion, utilisant cet écran-tableau comme une véritable fenêtre sur le monde pour mieux le comprendre, comme la "paroi de verre" de Léonard de Vinci.

De son côté, la figure centrale peinte par Brauner, si caractéristique du vocabulaire plastique de l’artiste roumain et empreint d’une poésie toute personnelle, pourrait incarner une conscience supérieure, invitant le spectateur à aller au-delà de la réalité apparente. Pour reprendre les termes de Sarane Alexandrian, "Il est […] question pour Brauner de voler à la parole ses pouvoirs. […] Pour qu’un tableau soit visible, il ne suffit pas qu’il montre de belles apparences, il faut aussi qu’il dise des choses révélant un art de penser. "L’artiste est un proclamateur", dit Brauner, et fort de cette conception, il n’engendre jamais d’œuvre qui ne porte en soi quelque étrange et puissante vérité" (Sarane Alexandrian, in Victor Brauner l’Illuminateur, Paris, 1954).

Tandis qu’Intervision fit l’objet d’un don de Jacqueline Brauner au Centre Pompidou en 1983, Innervision est resté dans la collection de la famille de l’artiste jusqu’à ce jour et n’a jamais été présenté en vente.