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Manufacture royale de Sèvres Jean Hellot, Jean-Jacques Bailly
Description
- Manufacture royale de Sèvres — Jean Hellot, Jean-Jacques Bailly
- [Trois manuscrits de la main des chimistes]
Catalogue Note
Bailly, Jean-Jacques. Registre des procédés de couleurs pour la Porcelaine tendre de la Porcelaine dure de Sèvres Manuscrit de Bailly 17[85]. manuscrit autographe de 32 pages in-4 (241 x 184 mm), foliotées 2 à 16, broché, chaque feuillet paraphé par Rosset dans l'angle supérieur. Approbation révolutionnaire de Rosset sur la dernière page « Le 21 ventose an 4e (11 mars 1796) », titre de la main de Denis-Désiré Riocreux, premier conservateur du musée de Sèvres (à partir de 1824) au recto de la couverture, 31 feuillets blancs, réglés verticalement en rouge, cousus.
[Sur un feuillet volant :] "Recette pour faire un très Beau Rouge pour la porcelaine tendre et dure." [Sèvres, (vers 1780)]. 2 pages in-4.
"Composition des couleurs pour la Porcelaine dur". manuscrit de 32 pages in-4 (220 x 160 mm), broché, 4 feuillets (dont 3 blancs), sur papier bleuté, biffures et corrections éparses d’une autre main. A Sèvres, s.d. [avant 1796], écrit à l’encre brune au XVIIIe siècle. Approbation révolutionnaire sur la dernière page "Remis par Nous soussignés Directeurs le present au Citoyen Meraud chimiste a la Manufacture ce 3 vendemaire an 4e de la Republique Française" [23 septembre 1796], signé par Hettlinger et Salmon. Minimes déchirures sans manques, feuillets légèrement cornés.
ensemble exceptionnel de 3 manuscrits rédigés par les chimistes coloristes de Vincennes et Sèvres, dont 2 signés, livrant les secrets de la confection des couleurs qui composaient la riche palette en usage à la toute jeune Manufacture Royale. Ces cahiers de recettes sont les témoins de l'effervescence créée par la volonté royale de fonder en France une fabrique de porcelaine qui puisse rivaliser avec Meissen et Chantilly. Louis XV et Madame de Pompadour sont à l'origine du projet, cette dernière usant de son influence pour l’entourer des artistes les plus influents du moment.
En 1740 est créée la Manufacture de Vincennes, qui s'est installée dans les anciennes cuisines du Pavillon de la Reine. Des transfuges de Chantilly ont vendu leurs secrets, d'autres secrets sont volés et chèrement revendus à la nouvelle manufacture. Le monopole de la décoration à l'or est accordé par le roi en 1745, une faveur essentielle qui contribue à l'essor des porcelaines pouvant dès lors rivaliser avec les porcelaines dorées de Saxe. La manufacture obtient aussi le monopole sur la fabrication de la porcelaine, blanche ou peinte, dorée ou non. Le 8 octobre 1752, le roi en devient le propriétaire exclusif. La manufacture de Vincennes sera bientôt déplacée à Sèvres (1756), sur l'initiative de Madame de Pompadour, dans un bâtiment construit non loin de son château de Bellevue. Les efforts sont à leur comble pour créer une spécificité française.
les manuscrits des chimistes constituent le cœur du secret des inventions de la manufacture. Ceux-ci y notent leurs recettes, les perfectionnent, et les corrigent. Hormis le manuscrit de Hellot, d'une beauté plastique étonnante digne d'un calligraphe, les manuscrits portent ratures et ajouts et témoignent d'une science en constant perfectionnement, ainsi que de l'exigence de ses créateurs.
Le premier manuscrit intitulé "procédés pour composer les Emaux ou couleurs Vitrifiées servant à peindre la Porcelaine de Vincennes" est rédigé par le chimiste Jean Hellot (1685-1766), dès le mois de juin 1752.
Jean Hellot, qui compte parmi les plus grands chimistes du XVIIIe siècle, est particulièrement reconnu pour ses émaux colorés. Il est reçu à l’Académie des Sciences en 1735. En 1751, à la mort de Jean Henry Louis Orry de Fulvy, la manufacture, alors une entreprise privée dirigée par Charles Adam, est réorganisée depuis Versailles : le 27 juin, le marquis de Courteille, Intendant des finances de Louis XV, confie à Jean Hellot la mission suivante, signée de Machault d’Arnouville, contrôleur général des Finances et garde des Sceaux : "l’intention du Roy étant de faire constater avec certitude les divers secrets concernant l’exploitation de la manufacture de porcelaine établie à Vincennes, sa Majesté a choisi et nommé pour y procéder le sieur Hellot, Directeur de l’Académie des Sciences, qu’elle autorise à cet effet à faire toutes les vérifications et expériences nécessaires."
Le travail sur les couleurs de Hellot fut sans aucun doute déterminant dans le choix de Louis XV de faire de la manufacture une propriété royale.
Après deux chapitres consacrés aux fondants et aux mordants, indispensables pour la cuisson des couleurs et notamment des fonds sur la porcelaine tendre, ce manuscrit de juin 1752 dresse l’inventaire des couleurs utilisées à cette date. Hellot y ajoute les secrets des couleurs qu’il a lui-même élaborées, notamment son beau bleu de cobalt, également nommé bleu parfait, au sujet duquel il écrit : "il fait un bleu si vif à l’emploi qu’il m’a paru éteindre les plus belles couleurs même le pourpre". Hellot décrit le procédé de son rouge "qui a bien réussi au four de peinture en juin 1752 et qui est plus beau que le rouge de Vincennes". Sont également relevées les recettes pour les différents fonds. Au total, 130 couleurs décrites avec une grande précision et comprenant ses instructions pour les fondants et les mordants. Ces recherches mèneront à l'élaboration du célèbre fond bleu céleste que Louis XV choisira pour son service livré à Versailles en décembre 1753.
On ne connait que trois carnets de Hellot, aujourd'hui conservés aux archives de la manufacture de Sèvres. Ils traitent de ses secrets de composition concernant les pâtes, les couvertes et l’or (Archives de Sèvres, Y49-51bis et Y72).
Le deuxième manuscrit "Registre des procédés de couleurs pour la Porcelaine tendre de la Porcelaine dure de Sèvres." fut rédigé par Jean Jacques Bailly. Fils d’un peintre sur éventail, Bailly entre à la Manufacture de Vincennes dès 1746 et travaille en étroite collaboration avec Hellot. Il est encore en charge de l’atelier des couleurs à sa mort en 1790. Il donne dans ce manuscrit les recettes de ses 11 bleus, 9 jaunes et 23 verts à la date de 1785 (dont celui qui fut utilisé pour le service du comte d’Artois), et le brun qu'il conçut pour le comte d’Angervillier, directeur de la manufacture de 1780 à la Révolution. "Vous prendré des pointe de cloud de fere a cheval vous les mettré dans une curcuvite et vous mettré de lhuile de vitriolle desus jusquel surnage Et lesser un cardheur. Mette de leauchode pardesus Et faite la Bouillir pandant 2 heur du feux [...] Prenes du Bonnassiée anglois ou lime fine que vous feré bien Rougire au grand feu de Charbon, le charbon de forge etant [en]core meilleur il faut même un soufflet a deux vant pour le faire Rougir à blan […] Vous le voyes fondre comme du Beurre et le receve dans une assiette de faire ou tole quand il est froi vous le trouve tout calciné… Evité la [tres] mauvaise odeur qui est dangereuse de vous suffocquer […] c’est ce qui fait le plus Beau Rouge".
Rosset, signataire de l’approbation délivrée au "Citoyen Meraud" en 1796, fut peintre à la manufacture avant d’en devenir secrétaire (1795-1800). Le "Citoyen Meraud" était membre d’une famille d’artistes employés à Sèvres. L’approbation témoigne de la sécurité exemplaire avec laquelle le secret des recettes des couleurs était conservé.
Le troisième manuscrit, dont l'auteur est resté inconnu, est un manuscrit de travail, sans mise au propre, témoignant des tâtonnements et constantes révisions des recettes. Il donne des instructions sur la composition de 100 couleurs pour la porcelaine dure. Il reprend en abrégé nombre des formules de Bailly et contient des formules antérieures, signalant ainsi le respect fondamental à Sèvres du savoir-faire des inventeurs de cette institution. Il porte les signatures de Hettlinger et de Salmon, à l'occasion de la remise de ces recettes au chimiste Meraud en 1796.
Jean Jacques Hettlinger, géologue né en Suisse, est nommé inspecteur et co-directeur de la manufacture en 1785, poste qu’il occupe jusqu’en 1803. Jean François Hylaire Salmon, son co-signataire, fut lui aussi co-directeur, et trésorier entre 1774 et 1804. Bien que la manufacture soit passée aux mains de délégués du gouvernement pendant la Révolution, Hettlinger et Salmon restèrent en charge de la production, dans une période très tourmentée pour la Manufacture de Sèvres dont les commandes avaient fondu comme neige au soleil.