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Voltaire -- Richard de Ruffey
Description
- Voltaire -- Richard de Ruffey
- 61 lettres manuscrites au président de Ruffey. 1754-1777.
Provenance
Catalogue Note
Bibliophile et collectionneur, homme d’une grande culture, académicien puis vice-président à l’Académie des Sciences de Dijon, Germain-Gilles Richard de Ruffey fut essentiellement pour Voltaire un homme de confiance et un homme de conseils. Il est aussi un homme d'influence, en sa qualité de Président de la Chambre des Comptes de Bourgogne de 1735 à 1757. Ruffey a pour amis proches, outre Voltaire, Charles de Brosses, et Buffon. Il est enfin l’auteur d’un recueil de portraits cruels sur ses contemporains académiciens, L’Histoire secrète de l’Académie.
Son histoire personnelle est tragique : il meurt à la fin de la Grande Terreur, le 18 septembre 1794, qui lui aura pris son fils, décapité quelques mois auparavant, et sa belle-fille emportée par la folie suite à cette perte. Richard de Ruffey avait auparavant perdu sa fille, promise à Buffon mais amoureuse de Mirabeau, la célèbre Sophie des Lettres à Sophie, qui se suicide en septembre 1789.
les lettres peignent un tableau vivant de la vie quotidienne de voltaire et madame Denis dans leurs demeures successives, dont on suit les acquisitions et les transformations : Prangins, les Délices, et Ferney.
elles couvrent les 23 dernières années de la vie de voltaire, 23 années d’exil durant lesquelles Voltaire recherche un lieu de retraite et refait sa vie, s’installant d’abord à Prangins, puis aux Délices, et trouve enfin Ferney (janvier 1755) : « Il est vrai, Monsieur, que j’ai loué pour quelque temps une des plus jolies campagnes du monde auprès de Genève. Je ne sais si j’aurais pu en trouver une aussi agréable auprès de Rome. Mais je n’ai choisi cette campagne, qu’en qualité de malade, et parce qu’elle m’approche d’un médecin en qui Madame Denis dit que je dois avoir confiance. » [Il s’agit de Tronchin]. Voltaire achète Ferney, s’y installe et rénove : « je ne me mêle point de réformer les mauvais livres qui pleuvent dans Paris, mais bien les maisons où je loge » (7 janvier 1759). Une partie importante de la correspondance est consacrée à l’acquisition de Ferney, aux travaux qu’il y entreprend, comme à l’obtention des privilèges et droits féodaux qui y sont attachés, et qu’il doit demander au Roi… Il les obtient le 29 juin 1759 : « permettez moy pour toutte nouvelle sure de vous dire que le Roy m’a accordé tous les privilèges attachez a ferney autrefois et qui etaient perdus pour moy. » « Cest une très grande grâce », reconnait-il le 21 juillet suivant. Voltaire devient seigneur de Ferney, comte de Tournay, et gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, prétentions nobiliaires qui le ravissent, ce qui fait se gausser Paris. … Il écrit L’Orphelin de la Chine : « mon corps a fait un effort en se transportant à Gex (…) mon âme en a fait un autre en barbouillant une tragédie chinoise. » (23 août 1755).
Il reçoit ses acteurs préférés, Mademoiselle Clairon, et surtout Lekain : « les vieux magistrats de Genève sont venus l’entendre dans ma retraite, et la sévérité de Calvin a cédé au plaisir » (4 avril 1755). Il cultive son jardin, en particulier les roses que lui envoie Ruffey : « Je viens de recevoir Monsieur et de faire planter vos jolis roziers de bourgogne. Jy ay mis main, je les ai baptisez (sic) de votre nom, ils s’appellent des Ruffey » (3 mai 1759). Il commente les affaires politiques, le maréchal de Richelieu, Mirabeau et la parution de sa « Théorie de l’impôt » (16 janvier 1761), les querelles religieuses à Paris et les torts causés par les Jésuites, l’affaire Decroze, ou encore la prise de Port-Mahon (12 avril 1756)… et toujours ses problèmes d’argent, et sa santé.
Il commente la santé de mademoiselle Corneille, nièce du Grand Corneille, qu’il a recueillie, les soins qu’il lui donne et l’échec de son mariage (14 janvier 1763), les opuscules de Frédéric II « dont on ne parle plus », et, s’amusant toujours à se moquer de Rousseau, il signe ici quelques attaques particulièrement mordantes : « Ce polisson s’est avisé d’écrire sur l’éducation, mais auparavant il eut fallu qu’il eut eu de l’éducation luy meme. » (29 juin 1762, à la publication de l’Emile) ; il fustige ses « paradoxes et ses contradictions politiques », ironise sur La Nouvelle Héloïse, et conclut : « ce petit bonhomme a voulu être singulier, et ne sera jamais que singulier » (21 juillet 1762). La morsure la plus personnelle est écrite le 18 janvier 1766 : « Rousseau est un grand fou, un méchant fou et un malheureux fou… » Il proclame enfin sa supériorité en ajoutant : « Je me suis occupé pendant deux mois à jeter de l’eau sur les charbons ardents qu’il avait répandus dans Genève » (18 janvier 1766).
l’ensemble est accompagné de trois lettres de la main de madame denis au président de Ruffey (mars 1759, 4 novembre 1762, et s.d. 1765), dont l’une montre avec quelle ardeur elle soutenait Voltaire dans sa brouille et ses démêlés financiers avec le président de Brosses auquel il a acheté Tournay, terre voisine de Ferney, en viager. Voltaire mourut quelques mois seulement après de Brosses et eut à supporter sa vie entière les tracasseries juridiques de ce contrat, considéré aujourd’hui encore comme abusif. Le « président » (titre fictif) de Brosses habite Dijon, tout comme le président de Ruffey qui le reçoit régulièrement, tandis qu’il conseille aussi Voltaire. Les références à de Brosses, dont il dénonce plusieurs fois les « persécutions » sont nombreuses, et piquantes. C’est cette brouille sévère qui causa l’échec cuisant de la candidature de De Brosses à l’Académie française.
Dans la dernière lettre qu’envoit Voltaire au président de Ruffey, datée du 30 octobre 1777, Voltaire ironise sur sa mort (qui survient le 30 mai de l’année suivante) et s’inquiète de « mourir dans une terre étrangère ».
Si la majorité des lettres sont de la main de Voltaire, on reconnait aussi celle de deux secrétaires, dont le fidèle Wagnière.
cette puissante correspondance fut conservée dans la famille de ruffey jusqu’aujourd’hui. La correspondance connut une parution très partielle en 1819 dans un recueil de lettres se rapportant à l’Académie de Dijon (Lettres inédites de Buffon, Rousseau, Voltaire… adressées à l’Académie de Dijon, publiées par C.X. Girault, 1819). Elles figurent toutes dans l’édition de la Correspondance de Voltaire (Bibl. de la Pléiade, 1993) accompagnées de la provenance Cunisset-Carnot, du nom de leur premier possesseur, qui les avaient acquises au fils du président de Ruffey. Cette correspondance n’a jamais quitté la famille Cunisset-Carnot depuis. 7 lettres, dont certaines étaient adressées au juge de Ruffey, fils du président, ne firent pas partie de cette transaction.