Wassily Kandinsky

Galerie Fides, Dresde (en dépôt par l'artiste)
Nina Kandinsky (par descendance)
Bernard Maeght, Paris (don du précédent)
Collection particulière (acquis vers les années 1980)
Par descendance au propriétaire actuel

New York, Sidney Janis Gallery, Kandinsky, 1948, no. 9 (sous le titre Gay Triangle)
Paris, Galerie Maeght, Kandinsky, Bauhaus de Dessau, 1927-1933, 1965, no. 8
New York, Marlborough-Gerson Gallery, Kandinsky, The Bauhaus Years, 1966, no. 18
Saint-Paul, Fondation Maeght, Centenary Exhibition, 1966, no. 53
Albuquerque, Museum of Albuquerque, Early Twentieth Century European Masterpainters, 1977, no. 26

Will Grohmann, Wassily Kandinsky Life and Work, New York, 1958, p. 337, reproduit p. 372
Hans K. Roethel & Jean K Benjamin, Kandinsky Catalogue Raisonné of the Oil-Paintings, Londres, 1984, vol. II: 1916-1944, no. 854, reproduit p. 790

The board is sound and still in its original frame painted gold by the artist. The colours are fresh and luminous. Close inspection reveals light abrasion around the edges and minor paintlosses above the rectangular motif on the left and below the main triangle. There is some minor, stable shrinkage in the orange circle at the top of the composition. UV light reveals some retouching to the green background: in the upper part of the right edge; below the pink horizontal bar; to the left of the main triangle; in the top left corner; to the right of the red semicircle midway down the central motif; and scattered dots in the bottom right quadrant. Tiny spots also fluoresce in the orange disc at the top, otherwise this work is in good condition.
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" Un triangle provoque une émotion vivante parce que lui-même est un être vivant. C’est l’artiste qui le tue s’il l’applique mécaniquement, sans la dictée intérieure."

Wassily Kandinsky, 1935

Bunt Im Dreieck (Bigarrure dans le triangle) est l’un des plus remarquables exemples de la réflexion philosophique que mène Kandinsky sur la valeur spirituelle des formes géométriques et des couleurs au cours de ses années passées au Bauhaus. Peint en 1927, ce tableau marque un tournant décisif dans l'œuvre de Kandinsky. L’artiste, en raison de l’inflation galopante en Allemagne et de l’autorité croissante des extrémistes de droite qui voient en l’école de Gropius "un foyer dangereux du bolchevisme", a été récemment contraint de quitter Weimar pour Dessau, à l’instar des autres membres (professeurs et étudiants) du Bauhaus. Prenant ses distances avec les artistes ayant fait leurs les préceptes rationnels du Constructivisme russe ou du Suprématisme, Kandinsky place l’intuition et la spiritualité au cœur de sa démarche artistique. Sa peinture, comme en atteste Bunt Im Dreieck, se caractérise alors par le choix du lyrisme et de la simplification des formes : les formes immortalisées sont calmes, solennelles et de magnifiques dégradés de couleurs nuancent à nouveau ses tableaux.

Ces années-là sont pour le peintre celles des recherches sur l’interdépendance entre les formes et les couleurs primaires et sur les conséquences de ces relations en termes de spiritualité. Il associe ainsi à chaque forme une couleur (le jaune au triangle, le rouge au carré et le bleu au cercle), en y intégrant de nouveaux éléments sur la psychologie de la forme, cet axiome étant à la base de "Point-ligne-plan" publié en 1926. Dans ce texte, l’artiste élabore méthodiquement une théorie de l’abstraction où les éléments géométriques élémentaires, le point, la ligne, le plan, sont mis en relation. Tous ces éléments formels de l’œuvre évoquent chez le spectateur des sentiments différents que l’artiste analyse de manière quasi scientifique. Le graphisme bigarré de Bunt Im Dreieck retranscrit ces éléments avec brio : une multiplicité de formes colorées s’y déploie au cœur d’un majestueux triangle en lévitation sur un fond vert d‘eau aux subtils dégradés.

Au sein de ce nouvel alphabet plastique, le triangle occupe une place de prédilection. En atteste la réponse de Kandinsky à une "enquête sur l’art aujourd’hui" menée par les Cahiers d’art en 1935, où ce dernier s’explique sur l’art abstrait et sur son choix de formes géométriques simples pour exprimer ses impressions-émotions : "Un triangle, écrit-il, provoque une émotion vivante parce que lui-même est un être vivant. C’est l’artiste qui le tue s’il l’applique mécaniquement, sans la dictée intérieure. […] Mais comme une couleur "isolée", le triangle "isolé" ne suffit pas pour une œuvre d’art. C’est la même loi du "contraste". Il ne faut pas toutefois oublier la force de ce modeste triangle. C'est connu que si, l'on fait un triangle avec des lignes très minces, sur un bout de papier blanc, le blanc dans le triangle et le blanc autour deviennent très différents, ils reçoivent des couleurs différentes sans qu'on ait appliqué de la couleur. C'est en même temps un fait physique et psychologique. Et, avec ce changement de la couleur, change le "son intérieur". Si vous ajoutez alors encore une couleur à ce triangle, la somme des émotions augmente dans une proportion géométrique, ce n’est plus une addition mais une multiplication. "

Le lyrisme et la sérénité qui se dégagent de cette composition, ainsi que l’utilisation de formes géométriques simples n’est pas sans rappeler certaines œuvres de Paul Klee. Pendant leur séjour commun au Bauhaus de Dessau, les deux artistes liés par une solide amitié en arrivent parfois à des inventions picturales étonnamment proches, comme en témoigne Ruhende Schiffe (Voiliers au repos), exécuté en 1927. On y retrouve la même liberté de ton, la même fraîcheur de coloris, les mêmes éléments géométriques qui caractérisent Bunt Im Dreieck. Outre cette parenté stylistique, la douceur acidulée du damier multicolore en lévitation de Bunt Im Dreieck, ainsi que ses vibrants dégradés atmosphériques, annoncent déjà les prémisses de l’œuvre parisienne de Kandinsky.