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Jean-Baptiste Oudry
Description
- Jean-Baptiste Oudry
- Le chien qui porte à son cou le diner de son Maître
Signé et daté en bas à gauche JB Oudry / 1751
- Huile sur toile
Provenance
Vente anonyme, Me Etienne Ader, Paris, Hôtel Drouot, 15 juin 1942, n° 32
Exhibited
De Watteau à Cezanne, Genève, Musée d'Art et d'Histoire, 1951, n° 48
Literature
J. Locquin, Catalogue raisonné de l'œuvre de Jean-Baptiste Oudry peintre du roi (1686-1755), Archives de l'Art français, non publié, (1912), VI, Paris, H. Champion, n°. 394;
H. Opperman, Jean-Baptiste Oudry (1686-1755), Université de Chicago, non publié, (1972), vol. 2, cat n° P73, p. 358
Catalogue Note
Ce tableau illustre une fable de Jean de La Fontaine Le chien qui porte à son cou le dîner de son maître (Livre VIII, fable 7) :
Nous n'avons pas les yeux à l'épreuve des belles,
Ni les mains à celle de l'or :
Peu de gens gardent un trésor
Avec des soins assez fidèles.
Certain Chien qui portait la pitance au logis
S'était fait un collier du dîné de son maître.
Il était tempérant plus qu'il n'eût voulu l'être
Quand il voyait un mets exquis :
Mais enfin il l'était et tous tant que nous sommes
Nous nous laissons tenter à l'approche des biens.
Chose étrange ! on apprend la tempérance aux chiens,
Et l'on ne peut l'apprendre aux hommes.
Ce Chien-ci donc étant de la sorte atourné,
Un Mâtin passe, et veut lui prendre le dîné.
Il n'en eut pas toute la joie
Qu'il espérait d'abord : le Chien mit bas la proie,
Pour la défendre mieux n'en étant plus chargé.
Grand combat : D'autres Chiens arrivent ;
Ils étaient de ceux-là qui vivent
Sur le public, et craignent peu les coups.
Notre Chien se voyant trop faible contre eux tous,
Et que la chair courait un danger manifeste,
Voulut avoir sa part. Et lui sage : il leur dit :
Point de courroux, Messieurs, mon lopin me suffit :
Faites votre profit du reste.
À ces mots le premier il vous happe un morceau.
Et chacun de tirer, le Mâtin, la canaille,
À qui mieux mieux ; ils firent tous ripaille ;
Chacun d'eux eut part au gâteau.
Je crois voir en ceci l'image d'une ville,
Où l'on met les deniers à la merci des gens.
Echevins, Prévôt des marchands,
Tout fait sa main : le plus habile
Donne aux autres l'exemple. Et c'est un passe-temps
De leur voir nettoyer un monceau de pistoles.
Si quelque scrupuleux par des raisons frivoles
Veut défendre l'argent, et dit le moindre mot,
On lui fait voir qu'il est un sot.
Il n'a pas de peine à se rendre :
C'est bientôt le premier à prendre.
Oudry choisit ici de représenter un moment précis du récit, celui où, le chien s'en allant porter le diner à son maître se retrouve confronté à la convoitise de ses congénères avec lesquels il se bat pour défendre le bien. A travers cette fable, l'auteur délivre un message critique dénonçant la cupidité, l'envie et la corruption de la société de son temps. Cette morale, inhérente aux œuvres de La Fontaine, transparait dans notre tableau par la sauvagerie avec laquelle les deux animaux s'affrontent symbolisant la bassesse des sentiments dénoncés dans le texte. Cette interprétation témoigne du fait que le peintre avait certainement saisi toute la portée de l'œuvre de La Fontaine, partageant avec l'auteur cet intérêt pour le sujet animalier, métaphore de l'absurdité humaine. La violence de la scène et le regard avide que pose le dogue blanc tacheté sur le panier rempli de victuailles illustrent une certaine brutalité qui contraste avec les représentations habituelles de chiens de chasse par Oudry, éduqués et stoïques. Cette opposition se retrouve dans une œuvre de 1750 Deux dogues dans une cuisine se battant pour un gigot (Schwerin, Staatliches Museum) qui formait autrefois le pendant d'un tableau représentant Deux chiens gardant du gibier. La fable semble avoir particulièrement intéressé Oudry qui la reprend dans une autre composition, citée par Hal Opperman dans le catalogue raisonné de l'œuvre de l'artiste (voir opus cité infra n° P61).
Les Fables de La Fontaine connaissaient un succès considérable à l'époque d'Oudry qui en entreprit l'illustration par plus de deux-cent dessins, frontispice inclus, entre 1720 et 1750 ce qui suscita un grand nombre de commentaires et contribua à établir durablement l'image de l'artiste. Notre composition, également connue par un dessin conservé au département des Arts Graphiques du Musée du Louvre, s'inscrit d'ailleurs dans une série de cinq fables peintes par l'artiste, et exposées au Salon de 1751, parmi lesquelles on trouve, Le loup et l'agneau, Le renard et la cigogne et Le singe et le chat, Les Deux coqs aujourd'hui conservées pour les deux premières au Musée des Beaux-arts de Metz et pour les autres en mains privées.
Nous remercions Pierre Jacky de nous avoir confirmé l'attribution de l'oeuvre d'après un examen direct. Le tableau sera inclu dans le catalogue raisonné de Jean-Baptiste Oudry actuellement en préparation.