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François Lemoyne
Description
- François Lemoyne
- Jeune femme à la fontaine
- Huile sur toile
Provenance
Vente anonyme, Paris, Hôtel Drouot, 10 décembre 1980 (inclu sans accord des propriétaires dans la vente reproduit en couverture, retiré et non présenté à la vente);
Par descendance jusqu'à l'actuel propriétaire.
Catalogue Note
Formé par son beau-père le peintre portraitiste Robert Levrac-Tournières puis par le peintre Louis Galloche, François Lemoyne remporta le prix de Rome en août 1711 avec Ruth glanant dans les champs de Boz (œuvre aujourd'hui disparue). L'état des finances royales ne permit malheureusement pas au lauréat de partir pour l'Italie où il ira plus tard en 1723. Il fut reçu à l'Académie Royale en 1718 avec pour pièce de réception un sujet d'histoire, Hercule tuant Cacus (Ecole Nationale des Beaux-Arts), qui le rendit célèbre et lui apporta de nombreuses commandes. En 1719-20, il comptait déjà parmi ses élèves François Boucher et Charles-Joseph Natoire.
Le tableau que nous présentons est une œuvre qui figure dans le catalogue raisonné de Lemoyne rédigé par Jean Luc Bordeaux qui n'en connaissait l'existence que par une photographie dans un catalogue de vente de 1980.
Il s'agit d'une jeune femme lavant du linge à la fontaine, qui serait une replique d'une composition de l'artiste comportant le même modèle féminin accompagnée d'un Turc qui la surprend au second plan. Le catalogue raisonné répertorie deux versions de cette composition aux deux personnages, dont la version originale a du être réalisée autour de 1721-1723. Monsieur Bordeaux pense qu'il existe probablement une troisième version signée de cette composition qui serait donc la première réalisée par l'artiste. Au vu du succès de ce sujet qui a été gravé, il suggère que notre tableau a très probablement été peint par Lemoyne, après son retour d'Italie en 1724, pour répondre à une commande spéciale d'un client qui ne souhaitait que la partie féminine de cette composition, où l'on retrouve la jeune demoiselle peinte avec beaucoup de soin dans une matière très grasse, typique du travail du grand peintre. Ce tableau ne peut pas être un fragment puisque dans la composition aux deux personnages, le turc se situe derrière le bras de la jeune femme.
Jean-Luc Bordeaux date notre tableau autour de 1725-1726 période riche en tableaux de chevalet, qui marque un tournant dans la carrière de Lemoyne. En effet, en 1725 le peintre avait exposé à l'Académie huit tableaux qui furent très remarqués. Bien qu'il n'y présenta aucune composition religieuse, il reçut plusieurs commandes pour des églises, notamment pour Saint Eustache et pour Saint Louis de Versailles. Le duc d'Antin, directeur général des Bâtiments Royaux et protecteur de notre artiste depuis 1718, organisa en 1727 un grand concours de peinture qui visait à récompenser le plus grand peintre de la période. Selon les études qui ont été réalisées sur ce concours, il semble qu'il ait été suggéré au duc d'Antin de l'organiser afin de faire gagner Lemoyne et ainsi légitimer la commande qui lui sera faite pour le plafond du Salon d'Hercule à Versailles. Lemoyne gagna ex-aequo le concours avec Jean François de Troy, mais obtint le chantier de la décoration du Salon d'Hercule à Versailles comme prévu et un poste de professeur associé à l'Académie. Ce concours et les grands travaux décoratifs de Versailles marqueront une apothéose dans la carrière de l'artiste, triomphe qui malheureusement le mènera au suicide en 1737, quelques mois après avoir été nommé premier peintre du Roi Louis XV.
Cette œuvre qui a été réalisée entre les deux grands événements marquants de la carrière du peintre présente une matière typique, un coup de pinceau rapide, sur et gras ainsi qu'une douceur particulière dans le visage et dans l'attitude de son modèle. La palette chromatique est caractéristique de ce qu'il fait après son retour d'Italie. Tout au début du siècle dernier, Paul Mantz décrivait Hercule et Omphale, le fameux tableau du Louvre, que François Lemoyne peint en Italie de la manière suivante : « dans Hercule et Omphale son pinceau s'était fort éclairci... L'artiste garde toujours de la chaleur dans les ombres ; il multiplie les demi-teintes ambrées et un peu cuites ; mais l'ensemble est clair, les carnations ont des fraîcheurs fleuries, et çà et là on voit au milieu de tons blonds jouer des tons roses ». La description de cette gamme chromatique est très proche de ce que l'on peut voir sur notre tableau.
Nous remercions Jean Luc Bordeaux de nous avoir confirmé l'authenticité de cette oeuvre qu'il considère comme très largement de la main du Maître sans exclure une légère participation de l'atelier. Le tableau sera inclu dans le supplément du catalogue raisonné de François Lemoyne actuellement en préparation par le professeur Bordeaux.