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Pierre-Denis Martin dit Le jeune ou des Gobelins
Description
- Pierre-Denis Martin dit Le jeune ou des Gobelins
- L'arrivée à Paris, Place Royale, de l'ambassadeur vénitien Alvise II Pisani, le 22 novembre 1699
Huile sur toile
Provenance
Commandé par Alvise II Pisani ;
Resté dans les collections de la famille;
Vente Anonyme, Maître Semenzato, Venise, 8 décembre 1981; Acquis à cette vente par l'actuel propriétaire
Literature
R.Gallo, i Pisani e i palazzi di S.Stefano e di Strà, Venise, 1945, p.159 in "Inventario, Stima e Divisione...di effetti e mobili di ragione promiscua del sig. Francesco zio, e Francesco nipote Pisani...tra gli altri mobili ed effetti che erano nel palazzo di Strà" réalisée par le marchand Marsilio Minio le 10 avril 1809, n°39 ;
G. Toscano, Venise en France: la fortune de la peinture vénitienne, Ecole du Louvre, Istituto veneto di scienze, lettere ed arti, 2004, reproduit p.82 (comme anonyme français autrefois attribué à Carlevarijs);
S. Tipton, "Diplomatie und Zeremoniell in Botschafterbildern von Carlevarijs und Canaletto", Zentralinstitut für Kunstgeschichte, Munich, 2010.
Condition
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Catalogue Note
Notre tableau illustrant l'arrivée, à Paris, de l'ambassadeur vénitien Alvise Pisani, le 22 novembre 1699, est un témoin précieux d'un genre éminemment rare : la « peinture diplomatique ». Ce genre apparait au XVIIe siècle lorsque de nombreux usages diplomatiques -comme le protocole, la pompe cérémonieuse, les échanges de présents- deviennent de plus en plus établis et codifiés, faisant écho à l'application stricte de l'étiquette à la cour de Louis XIV.
Pierre-Denis Martin (1663 -1742), dit Martin des Gobelins, est rompu au genre de la « peinture diplomatique ». Il est membre de cette dynastie de peintres talentueux, formé dans l'atelier de Van der Meulen, dont est également issue Jean-Baptiste Martin, dit « Martin des Batailles ». Sa longue collaboration avec la prestigieuse manufacture des Gobelins lui vaudra son surnom et lui assurera le titre de « Peintre Ordinaire du Roi ». La visite en France de l'empereur Pierre Ier de Russie lui permettra de s'attirer ses grâces, et de s'enticher du titre de « Pensionnaire du Roi [de France] et de Sa Majesté Czarienne ».
Sous le magistère de Van der Meulen, Martin des Gobelins a perfectionné son approche de la figure équestre, des carrosses et des équipages aux riches livrées. Son passage de la peinture militaire à la peinture diplomatique s'est fait aisément. On lui doit une vue de la Réception de l'ambassadeur français, Pidou de Saint-Olon, auprès du sultan du Maroc, Moulay Ismael, le 19 juin 1693 (vente Christie's 17 décembre 1999, lot 73), une Sortie de l'ambassadeur de la Sublime-Porte, Mehmet Effendi, de l'audience accordée par le roi, aux Tuileries, le 21 mars 1712 mais également le départ de Louis XV après le lit de Justice tenu dans la Grand-Chambre du Parlement de Paris, 12 septembre 1715, le cortège Royal traversant la cour de la Sainte-Chapelle, ces deux dernières vues étant conservées au Musée Carnavalet.
Le déroulé de la journée du 22 novembre 1699 nous est connu par une missive adressée par Alvise Pisani au Doge et au Sénat Vénitien, cinq jours après son entrée à Paris et le renouvellement de ses lettres de créances. Il y décrit la foule nombreuse et diverse qui se masse autour de son chemin, le défilé des carrosses rutilants, l'amitié que lui fait le Maréchal de Choiseul en lui ouvrant la route, la présence des équipages des princes du sang ; Orléans, Condé, Conti. Cette ambiance contrastée, où la liesse populaire se mêle à la solennité des carrosses dorés et armoriés est fidèlement rendue par l'artiste.
La Place Royale, cadeau d'Henri IV à sa « bonne ville de Paris », sert d'écrin majestueux à toutes les entrées solennelles des hôtes de la monarchie. Ce témoignage au sujet de l'entrée de Christine de Suède, en 1656, nous éclaire : «on la fit premièrement passer [par la place] comme par le plus beau lieu non seulement à Paris, mais qui soit en aucune ville du monde (...), il ne s'est jamais rien vu de si superbe». L'ambassade vénitienne d'Alvise Pisani ne déroge pas à la règle.
Martin des Gobelins nous livre ici une version « personnelle » de la Place Royale. La bichromie de la façade en brique et pierre est fortement atténuée pour inciter l'œil à se concentrer sur les ors des carrosses. Les toits, qui comptent pour un tiers de la façade, sont ici tassés par l'artiste afin de laisser une composition plus aérienne avec un vaste ciel. Enfin, l'artiste ajoute quelques ornements qui sont absents au naturel : fronton aux armes de France sur le Pavillon « de la Reine », fleurs de lys coiffant les crêtes de toits, balcons aux belles ferronneries dorées, un dôme (d'église ?) qui dépasse de la ligne des toitures. Même l'espace a été transformé : en accordant au premier plan un recul démesuré, Martin insiste sur la théâtralité du défilé et ce vide entre la foule et les carrosses agit comme une estrade, l'estrade du théâtre social. [1] Toutes ces modifications ne sont pas des erreurs, mais bien des choix précis de l'artiste pour orienter la lecture de l'œuvre ; pour « mettre en scène », au sens strict.
Cette vue de Paris est le premier volet d'une commande de quatre grands tableaux réalisés à la demande d'Alvise Pisani, et illustrant les moments forts de sa vie d'ambassadeur, avant qu'il n'accède à la fonction suprême, en 1734, en étant élu 114e doge de Venise.
Les autres épisodes sont : Le baptême d'Almoro, fils d'Alvise Pisani, dans la chapelle royale de Versailles, en 1701 peint par Guillaume Lemarchant (1673-1719), actuellement dans une collection privée vénitienne ; L'arrivée des ambassadeurs Erizzo et Pisani à Londres, en 1702, dû à Luca Carlevarijs (1663-1729) et conservé à la Bayerische Staatsgemäldesammlungen de Munich ; et enfin L'arrivée à Milan d'Andrea di Lezze et d'Alvise Pisani au Palais Ducal de Milan, pour recevoir le roi Charles III d'Espagne, en 1711, réalisé par un anonyme lombard et conservé au Musée de Milan.
Les Pisani, une des plus éminentes familles du patriciat vénitien, se sont toujours signalés comme des mécènes et des collectionneurs. Ces œuvres étaient certainement présentées dans un salon de réception de la Ca' Pisani, au quartier San Stefano, puis à la Villa Pisani de Strà, située sur le cours de la Brenta. En 1809, lors de la cession de la Villa Pisani à l'empereur Napoléon, un inventaire fut alors réalisé pour dénombrer les collections d'Almoro III Francesco Pisani et de son neveu ; notre tableau figure au n°39.
La mise en scène de Martin des Gobelins connaîtra un succès et une postérité immédiats : lorsqu'Alvise Pisani quittera Paris, son successeur, Alvise Mocenigo, demandera une copie quasi-identique de notre tableau, sur lequel il apposera ses propres armoiries sur les portes des carrosses. L'œuvre est aujourd'hui dans les collections du château de Versailles, en dépôt au Musée Carnavalet.
[1] A. Gady, De la Place Royale à la Place des Vosges, Action artistique de la ville de Paris, 1996