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René Magritte 1898 - 1967
Description
- René Magritte
- La Grande table
- signé ; titré La Grande Table au dos
- huile sur toile
- 54,3 x 65,4 cm
- 21 3/8 x 25 3/4 in.
- Peint vers 1962-63
Provenance
Acquis auprès du précédent dans les années 1980
Exhibited
Tokyo, Le Musée d'Art de Mitsukoshi, Kobe, Le Musée d'Art de Hyogo & Fukuoka, Le Musée des Arts de Fukuoka, Rétrospective Magritte, 1994-95, no. 60
Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, René Magritte 1898-1967, 1998, no. 215
Barcelone, Fundació Joan Miró, Magritte, 1998-99, no. 55
Literature
Harry Torczyner, René Magritte : signes et images, Paris, 1977, no. 275, reproduit p. 148 (daté 1959)
David Sylvester (ed.), René Magritte, Catalogue raisonné, Anvers & Londres, 1993, vol. III : Oil Paintings, Objects and Bronzes 1949-1967, no. 964, reproduit p. 374
Robert Hughes, Les Essentiels de l'Art, Magritte, Gand & Amsterdam, 2001, reproduit p. 379
Condition
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Catalogue Note
Sur une plage de sable déserte, dans le jour clair et pur d’un ciel du Nord, une monumentale pomme en pierre, de la même pierre que les rochers qui ont envahi la plage. Peu de sol sous sa base, peu de ciel sur ses feuilles, cadrée très près des bords supérieur et inférieur de la toile, c’est la pomme de Magritte la plus grandiose depuis La Chambre d’écoute (1953). Est-ce un portrait, celui d’une pomme aux proportions parfaites et dont la peau serait en pierre, la représentation surréaliste d’un sujet sans face ni profil, le portrait d’une énigme ? Ou une nature morte, ayant réinventé les règles du genre : en plein air, taillée dans le roc, comme si la scène se passait au moment où le règne végétal apparaît victorieusement et glorieusement sur la terre. Une nature morte certes, et depuis toujours mais plus pour très longtemps. C’est enfin un paysage, avec ses masses, ses lignes de fuites, d’une luminosité magique, celle d’un ciel de haute montagne au bord de la mer. C’est La Grande Table de René Magritte, l’une des plus belles réalisations du peintre au moment d’entrer dans la dernière époque de son œuvre.
La Grande Table fait partie des tableaux pétrifiés que Magritte peint à partir des années 50 et qui formèrent l’un des corpus les plus riches et les plus passionnants de son œuvre d’après-guerre. Recherchant toujours plus de concision et d’efficacité pour créer toujours plus de mystère et rendre familière la collusion du visible des objets et de l’invisible des rêves, Magritte a trouvé dans le thème de la pétrification un système de représentation du monde où la vie n’aurait disparu qu’à la surface des choses mais où celles-ci garderaient une forme éclatante, une fraîcheur et une jeunesse retrouvées. Le physicien Albert V. Baez a salué en Magritte celui qui a découvert la beauté de la force gravitationnelle, en la rendant d’abord sensible, puis sensuelle, dans des oeuvres comme La Grande Table. D’autres, dont Magritte lui-même, eurent une interprétation plus métaphysique de ce nouvel âge de pierre : « Je ne connais aucune œuvre qui donne à ce point la sensation d’un univers en suspens, un univers où tout attend et rien ne bouge » (Roger Shattuck, Ceci n’est pas Magritte, Art Forum, September 1966, p. 35).
Ainsi, depuis les lettres-dolmens (L’Art de la conversation, 1950) ou les gigantesques chaises granitiques (La Légende des siècles, 1950) jusqu’à l’assomption du Château des Pyrénées (1959) en passant par le célèbre Journal intime (1955) conservé au MoMA, Magritte parcourt les années cinquante en pétrifiant tout ce qu’il peint. La première déclinaison minérale de la pomme, objet magrittesque par excellence, apparaît avec Souvenir de voyage (1950, cat 735) dans une composition proche de la Grande Table, mais sans la mer et sous un ciel de plomb. On la retrouve ensuite dans une série de tableaux intitulés La Parole donnée (1950, cat 747, 748). Puis la pomme pétrifiée disparaît du langage de Magritte pendant presque toute la décennie 1960 : le fruit a trouvé dans le décor d’une plage sa scène de prédilection mais désormais, les pommes de Magritte ont la peau verte et portent un masque : c’est le règne du Prêtre marié et de La Valse hésitation, titrés ainsi selon qu’il fasse jour ou nuit.
Si La Grande Table opère un retour de Magritte à une image qu’il n’avait plus reprise depuis dix ans, c’est pour prolonger le cycle du Prêtre marié dont les innombrables variantes (tableaux et gouaches) composent un répertoire inépuisable et infini de nuances de ciels et de lumière autour des deux inamovibles fruits masqués. Magritte fait ici tomber les masques comme pour montrer que l’énigme de sa composition n’en était pas la seule beauté : c’est même sans sa partenaire et sans son fameux loup que le Prêtre marié va toucher l’état de grâce. Dans La Grande Table, la délicatesse de l’harmonie bleue, grise, rose et or de la palette, la clarté avec laquelle le chaos des rochers vient se disposer sur la partition du paysagiste, l’effet grossissant d’une lumière si pure qu’on croirait voir l’air toucher la surface de la pierre et ourler celle de la mer, tout témoigne d’un bonheur de peindre à son apogée. La Grande Table est ainsi l’un des tableaux les plus radieux de René Magritte parce qu’il marque l’aboutissement d’une des séries les plus marquantes d’un peintre que la répétition incantatoire des sujets n’a jamais autant rapproché du plus grand peintre moderne de série : Claude Monet. Il n’y a donc aucune coïncidence à trouver dans les lignes ardentes publiés par Clémenceau lors de la première exposition des Cathédrales de Monet en 1895 le plus beau panégyrique qu’on puisse écrire sur la splendeur d’un tableau comme La Grande Table :
« La pierre est dure et résistante sous le poids des siècles. La masse tient bon, solide dans l’estompe de brume, attendrie sous les ciels changeants, éclatant en poudreuse fleur de pierre dans l’embrasement du soleil. Fleur de pierre vibrante inondée de lumière de vie, offrant aux baisers de l’astre ses troublantes volutes de joie, et faisant jaillir la volupté de vivre des caresses d’un rayon d’or sur un peu de poussière » (Révolutions de Cathédrales, La Justice, édition du lundi 20 mai 1895).
On a deserted sandy beach, lit by a pure, bright Northern sky, there sits a monumental stone apple, of the same stone as the rocks that dominate the shoreline. With little ground beneath its base and little sky above its leaves, tightly cropped at the top and the bottom of the canvas, it is Magritte’s most majestic apple since La Chambre d’écoute (1953). Is it a portrait of a perfectly proportioned apple with a skin of stone, a surrealist representation of a subject with neither face nor profile, the portrait of an enigma? Or a still life, reinventing the rules of the genre: in the open air, carved into the rock, as if the scene is taking place at the moment when the vegetable kingdom first gloriously appeared on the earth. A still life, certainly, that has been there forever but will not be there much longer. Lastly, it is a landscape, with its masses, its flowing lines, its magical luminosity, an Alpine sky at the seaside. It is La Grande Table by René Magritte, one of the painter’s most beautiful creations from the time when he was moving into the final period of his œuvre.
La Grande Table is one of a series of petrified canvases that Magritte paints from the 1950s on which constitutes one of the richest, most fascinating periods of his post-war career. Always seeking greater conciseness and efficiency in order to create more mystery and familiarise the viewer with the collusion of visible objects and invisible dreams, in the theme of petrification Magritte found a way of representing a world whose objects seem devoid of life at the surface but who are nevertheless bursting with form, freshness and rediscovered youth. The physicist Albert V. Baez credited Magritte with discovering the beauty of gravitational force, by making it first tangible, then sensual, in works such as La Grande Table. Others, such as Magritte himself, preferred a metaphysical interpretation of this new Stone Age: “I know of no work that conveys to such an extent the sensation of a suspended universe, a universe in which everything lies in wait and nothing moves” (Roger Shattuck, Ceci n’est pas Magritte, Art Forum, September 1966, p. 35).
Thus, from the dolmen-letters (L’Art de la conversation, 1950) or the gigantic granite chairs (La Légende des siècles, 1950) right up until the Château des Pyrénées (1959), via the celebrated Journal intime (1955) housed at MoMA, as Magritte journeyed through the 1950s he turned everything he painted to stone. The first mineral depiction of an apple, that quintessential Magritte object, appeared in Souvenir de voyage (1950, cat 735) in a composition similar to La Grande Table, but without the sea and under a leaden sky. It reappears in a series of paintings entitled La Parole donnée (1950, cat 747, 748). Then the petrified apple disappears from Magritte’s vocabulary for the most part of the 1960s: the beach remains his preferred backdrop for the fruit but from now on Magritte’s apples have green skin and wear a mask: this is the time of the Prêtre marié and La Valse hésitation, titled according to whether it is day or night.
If La Grande Table represents Magritte’s final return to an image that he would not revisit for a decade, it also heralds the dawn of the Prêtre marié cycle whose innumerable variations (both oils and gouaches) constitute an inexhaustible repertoire with infinite nuances of sky and light around the two ubiquitous masked fruit. Magritte allows the masks to slip to show that the enigma of his composition is not its only source of beauty: even without his partner and without the famous mask the Prêtre marié nevertheless attains a state of grace. In La Grande Table, the delicate, harmonious blue, grey, pink and gold of the palette, the clarity with which the rocky chaos is dispersed across the landscape, the magnifying effect of a luminosity so pure that we almost believe we can see the air touch the surface of the stone and mix with that of the sea, all point to the joy of a painter at the peak of his talents. La Grande Table is also one of René Magritte’s most radiant works because it marks the zenith of one of the most striking series by a painter whose incantatory repetition of subject matter echoes the greatest modern series painter: Claude Monet. It is thus no coincidence that it is in the passionate texts that Clémenceau wrote for the first exhibition of Monet’s Cathedrals that we find the finest compliment we could bestow on the magnificent La Grande Table: “The stone is hard and resistant under the weight of centuries. The mass holds up well, solid in the blur of the mist, tenderised beneath the changing skies, bursting into powdery stone flowers in the embrace of the sun. Vibrant stone blossom bathed in the light of life, responding to the celestial kiss with joyful, cloudy spirals, highlighting all of life’s sensuality with the caress of golden sunlight on dust” (Révolutions de Cathédrales, La Justice, Monday 20th May 1895).