Lot 6
  • 6

Corbière, Tristan

Estimate
10,000 - 12,000 EUR
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Description

  • Corbière, Tristan
  • Lettre autographe signée Ton Édouard qui t'aime de tout son coeur, à sa mère. Sans lieu [Saint-Brieuc], vendredi 15 juin [1860].
3 pp. in-8 sur papier bleu, adresse avec cachets postaux.

Catalogue Note

Charmante lettre autographe de Tristan Corbière, âgé de 14 ans, adressée à sa mère. Elle est inédite.

Édouard-Joachim Corbière est en classe de troisième au Lycée impérial de Saint-Brieuc. Après une jeunesse douillette à Morlaix, il se trouve plongé dans la vie spartiate du collège. La séparation lui pèse autant que la discipline et les vexations subies. Sa force de résistance, il la puise dans le contact maintenu par correspondance avec sa famille.
Il note en tête de la lettre : «J'ai laissé ma petite monnaie et mes timbres poste au dortoir et le pion ne veut pas me permettre d'aller les prendre»...
«(...) Je vais d'abord te rassurer sur mon prétendu panari [sic]. Avant-hier j'ai été trouver le médecin qui m'a dit que c'en était bien un mais que si je voulais le laisser percer il avorterait. J'ai eu du courage (...) et il m'a donné un petit coup de lancette qui ne m'a pas fait grand mal. Aujourd'hui mon doit [sic] se porte aussi bien que moi, seulement on m'a mis un peu de toile et je vais tous les matins me faire panser à l'infirmerie

Puis il évoque la journée de la veille : «Hier il ne faisait pas très beau mais tout de même nous avons fait une chouette promenade. Nous avons été voir les traveaux [sic] du chemin de fer. Il y avait 5 à 6 ouvriers qui charroyaient de la terre dans des brouettes comme Bhénan et voilà ce que c'était. Il y avait aussi des railles [sic] pour faire aller des charettes [sic] de terre mais ça ne fonctionne que les jours de fête. Pendant toute la promenade nous n'avons fait que parler de vous et du voyage à St Brieuc. Les Bazin sont d'avis que vous veniez aux courses, parce que c'est la plus belle saison, le moment où St Brieuc brille de tous [sic] son éclat parce que les rues ne sont pas tout à fait aussi désertes et enfin parce qu'il y a de belles fêtes.» Il pense qu'il vaut mieux venir de Morlaix en voiture qu'en diligence, en s'arrêtant à Guingamp et Plounévez. C'est à la fois moins fatigant, pratique (car Guingamp est à huit lieues de St-Brieuc) et, surtout qu'il «n'y a plus de danger à s'aventurer sur les routes maintenant que MON cheval et son camarade sont chouettement dressés».

Il se désole que «le gredin de chat» ait dévoré les pigeons ; «voilà ce que c'est que de ne pas fermer leur porte le soir. Vous verrez quand je serai là dans 53 jours si le chat ou n'importe quel autre mortel osera m'approcher. Oh, dis à papa de m'attendre pour tirer un coup de fusil au chat (...) ainsi j'aurais tant de plaisir à lui administrer son affaire, ce sera un avertissement pour les lapins de Coat-Congar et les merles de Launay»... Il se prépare au concours général, pour lequel il fait des thèmes latins : «je ne suis pas aussi prétentieux que l'année dernière et je ne vais pas essayer d'être le premier sur tous les lycées et collèges de France, ce n'est pas fait pour moi
Puis il propose à ses parents une liste des récompenses qu'il espère obtenir en fonction de ses résultats :
«Pour
1 accessit, j'aurai 5 fr.
2 accessit, j'aurai une paire de guêtres blanches et on mettra une bandouillière
[sic] en crin à mon fusil
3 accessit, tous ces derniers articles plus une lorgnette de fusil.
Pour 1 second prix, on me fera faire une paire de bottes comme quand j'étais petit, tu sais des bottes qui ne sont pas lourdes du tout.
Pour 1 premier prix ou 2 seconds prix, la permission de m'acheter une chique montre en argent avec ma bourse
.»(...)
«Ici la procession de fête Dieu a été bien triste. Nous avons été la voir, mais comme toujours on nous met en rang derrière tout le monde. Nous allons là pour faire : genoux terre!!!!!! et pour gober tous les Te Deum possibles. Mais il est temps que je te quitte car mon papier est rempli et je n'ai pas d'enveloppe. (...)»

Il a enfin inscrit au milieu de la page, en lettres capitales, «53 JOURS», soit la période qui lui reste à vivre à Saint-Brieuc. Il signe sa lettre, «Ton Édouard qui t'aime de tout son coeur», et ajoute, en post-scriptum : «Et la grippe de papa ? Elle n'est pas bien forte n'est-ce pas? Voilà le beau temps et ça va passer

La correspondance du collégien dévoile ses pensées, ses émotions, à l'époque où il écrit ses premiers vers. «Tous ceux qui s'intéressent à Corbière ont regretté que les lettres conservées du poète des Amours jaunes soient si rares» (P.-O. Walzer). De son âge mûr, une seule lettre complète nous est parvenue.