Lot 137
  • 137

Verlaine, Paul

Estimate
8,000 - 10,000 EUR
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Description

  • Verlaine, Paul
  • Lettre à Jules Claretie. Le 8 janvier 1881. Lettre autographe signée P. Verlaine, 4 pp. in-8.
Lettre littéraire capitale, en réponse à l'éreintement de Sagesse par Jules Claretie.

Catalogue Note

Les ponts étant coupés avec Paris, le poète scandaleux et controversé s'était retiré près d'Arras. Il comptait sur la publication de Sagesse pour se réhabiliter. Il fut amèrement déçu : cinq articles ou entrefilets daignèrent faire mention de sa renaissance littéraire, Jean Moréas étant le seul à saluer le recueil. Pièces à l'appui, il convient de montrer que la fable, selon laquelle Claretie aurait aussi défendu Sagesse, est controuvée. Lié à Jules Claretie, depuis leurs rencontres dans le salon de Nina de Villard, il eut la surprise de découvrir l'article du chroniqueur du Temps : «Un rimeur à demi oublié que nous avons connu jadis exaspéré et paroxyste et qui revient – Paul Féval du Parnasse – couvert d'un cilice, converti, repentant des haïssables moeurs qu'il a pratiquées, dit-il, (...)» Le reste est de la même farine, si ce n'est que le perfide Claretie lui prête un mot qu'il faut citer encore pour saisir l'allusion à «la férocité musicale» du poète : «À la veille de l'entrée des Allemands dans Paris, cet affolé de Richard Wagner disait, d'un ton flegmatique et convaincu : - Enfin ! nous allons entendre de la bonne musique !»

«Permettez-moi de rectifier, entre nous, certains détails et de m'insurger doucement contre quelques allégations.
Que j'aie proféré en 1871 la férocité musicale dont il s'agit, c'est possible, bien que je ne m'en souvienne pas.
On dit tant de choses quelquefois, pour amuser la galerie, ou pour l'irriter, ou pour rien ! Le mieux, l'idéal, serait d'être un discret, un réservé, et c'est à quoi je crois être arrivé de prime saut, aujourd'hui que me voici, un absent. Là où on n'est pas, du diable si la pose ne prend pas ses droits !
Je tiens néanmoins à vous rappeler que j'ai fait mon devoir pendant le siège, et vous-même m'avez vu sous les armes, seul à peu près, de tous les employés de la Ville, très légitimement dispensés d'ailleurs du service militaire. (...)

Autre observation. Pourquoi traiter d'excentricité la publication de poésies qui traduisent aussi sincèrement quepossible l'état actuel de mon esprit ? De ma conversion je n'ai rien à dire à personne, c'est mon affaire à moi, mon bonheur privé, la fleur tardive de mon âme, qu'il m'appartient exclusivement de surveiller, de cultiver avec amour et prudence si je la veux voir se former en fruit de l'arrière-saison (...).

Dernier grief, dur celui-là. De ce que j'ai jeté aux orties la défroque voltairienne et fait voler par-dessus les moulins le lourd bonnet doctoral de l'athéisme d'Outre-Rhin, vous me voyez déjà pardonnant à l'affreux Joseph Prudhomme. (...) Ô que nenni, mon cher Claretie. Je persiste à haïr l'immonde fantoche comme il convient, perfecto odio, et si je ne le méprise, ne le bafoue, ne le voue pas à toutes les épithètes qu'il faut, et cela mieux que jamais, je ne veux l'aller dire à... Genève! Joseph Prudhomme, pour nous autres catholiques, mais c'est l'ennemi ! (...)

Sérieusement, relisez, quand vous en aurez le temps, le livre Sagesse, et j'ai confiance qu'en dehors de toute question d'opinion et de doctrine, vous y trouverez tout au moins un effort nouveau, une grande conscience littéraire, et quelque nouveauté dans les rythmes et les coupes.

J'ai changé du tout au tout comme individu, mais je m'honore d'être resté de coeur avec les poètes, jeunes encore à l'heure qu'il est, qui débutèrent dans le Parnasse de 1866. Ce groupe fut convaincu, tenace,ardent, et combattit le bon combat en toute bravoure et non sans quelque gloire. Il appartient à un espritcompréhensif et généreux comme vous de soutenir les vétérans de cette arrière garde du Romantisme,avant garde à son tour d'un art nouveau, mais traditionnel, notez-le bien - français, et chrétien, j'en ai la confiance assurée.»
(Correspondance générale de Paul Verlaine I, 2005, pp. 682-684, et pp. 979-980 pour les recensions de Sagesse que Michael Pakenham a également recueillies).