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Valade, Léon
Description
- Valade, Léon
- Lettre à Camille Pelletan. Dimanche 24 octobre 1869.
Catalogue Note
Passionnante chronique du Parnasse où sont évoqués Charles Cros, Anatole France, Paul Verlaine, Leconte de Lisle, Nina de Villard.
Lettre de huit pages de Léon Valade au jeune Camille Pelletan, éloigné de Paris. Poète parnassien, républicain anticlérical, Léon Valade (1841-1884) était au coeur de la République des lettres : ses papiers conservés à Bordeaux en attestent. En tant que secrétaire, il animait le cercle des Vilains-Bonshommes et leurs dîners mensuels. Dans le Coin de table de Fantin-Latour (Musée d'Orsay), il figure parmi les huit convives aux côtés de Verlaine, Rimbaud et de Camille Pelletan (1846-1915). Ce dernier, archiviste et journaliste au Rappel, fit partie des Vilains-Bonshommes ; il deviendra ministre et président du parti radical.
«Passons aux Parnassiens, Vilains Bonshommes et autres francs-miteux. Beaucoup de nouvelles, les unes bonnes, les autres, hélas!, mauvaises...»
Charles Cros a giflé Anatole France...
«L'Othello qui couvait depuis quelque temps sous le teint olivâtre et sous les cheveux crépus de notre ami Charles, ce bon petit nègre si doux, a malheureusement fait éruption. Il y a quinze jours, en sortant d'une soirée chez Mme de C. [Nina de Callias], dans la rue, et à la suite d'une chicane quelconque, notre ami Charles a flanqué une calotte à notre ami France. Ni Verlaine ni Sivry, présents, n'ont pu empêcher cette catastrophe. Le lendemain, heure de l'absinthe, le café de Madrid voyait s'aboucher Pradelle, l'un des témoins de notre ami Cros, avec Racot, témoin de notre ami Anatole. (Verlaine, sollicité des deux parts, avait naturellement dû refuser). Cela s'est terminé sans une goutte de sang, mais assez mal tout de même.» Charles Cros ayant refusé de s'expliquer, Anatole France entend le poursuivre.
Valade transmet les amitiés de Blémont et rapporte que «Mérat travaille comme un colosse ; il a écrit plusieurs pièces de vers, plusieurs pages de son voyage ; il est surtout fier de s'être révélé comme prosateur et, naïf autant qu'un artiste peut l'être, répète à tout le monde comme Mr Jourdain qu'il fait de la prose. Jeanne et lui mènent toujours la vie inimitable d'Antoine et de Cléopâtre.»
«Le Parnasse contemporain a commencé sa publication ; la couverture saumon porte les noms des collaborateurs, parmi lesquels Nina tout à côté de France (ô châtiment !), puis Charles et Pradelle, deux bonnes recrues. Je déplore que tes scrupules de débutant t'aient empêché de te joindre à nous cette fois encore. La 1ère livraison, parue hier, contient exclusivement le Kaïn de Leconte de Lisle, une conception bravement irréligieuse et un superbe poème. Parles-en à Gautier, qui doit le connaître.»
Le jour précédent, il reçut la visite du peintre Penoutet (alias Michel de L'Hay, l'un des Zutistes) : «un superbe gas [sic] haut de cinq pieds 6 pouces, aux épaules robustement carrées, à la fine barbe blonde divisée en 2 pointes... (...) Penoutet toujours beau, mais qui ne sera plus exposé par une figure efféminée aux plaisanteries insultantes des voyous, et qui serait de force d'ailleurs à casser les mauvais plaisants sur son genou. Cabaner qui se ratatine, le pauvre cher vieux, l'a trouvé embelli, mais abruti... Je le crois seulement un peu empâté par la grasse vie de province qu'il menait depuis quatorze mois (...) mais, comme il le dit lui-même, quelques jours passés à Paris suffiront pour le dégraisser.»
«Verlaine continue à faire mon bonheur ; plus je le connais, plus je l'aime. Sauf certaines aberrations politiques, c'est un ange. Il illustre en ce moment les poésies de l'album [zutique?] d'un tas de petits croquis amusants au possible. Il est toujours heureux moralement et m'aime assez pour me mettre dans ses confidences.»
«Tu auras vu dans les journaux le traquenard où Simon et ton père se sont laissés entraîner par les agitateurs de Clichy. Je suis heureux de t'apprendre que ces violences ont été aussitôt suivies, dans la presse et dans l'opinion, d'une réaction vive en faveur des députés de la Seine (malgré leurs torts que tu ne nies pas plus que moi).»
Léon Valade termine par un poème, Triolets :
Hélas ! Quel grand vide tu fis !
Que tu me manques, ô Camille !
En laissant Paris, pour Memphis (...)
«Je t'embrasse à te faire crier, ton affectionné et absolument dévoué Léon Valade.»
La lettre est rédigée de manière charmante, avec des commentaires dans chacune des marges, précisant un point ou donnant d'autres nouvelles : l'absence de Pradelle, 'enterrement de Sainte-Beuve (auquel Valade n'a pu se rendre, se contentant d'y assister depuis son balcon), «mes compliments à Mme Colet ; elle ne pouvait choisir mieux son enfant d'adoption», une note sur la chance de Pelletan de vivre au soleil («en pleine chaleur et en pleine lumière. Nous gelons, nous, et combien j'aimerais mieux rôtir !»)...
L'une des notes s'adresse au journaliste en vue : «Je vais courir acheter Le Rappel et te lire avec délectation»...