Lot 12
  • 12

Très importante statue féminine, Sénufo, Côte d'Ivoire ou Mali, XIXe siècle

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Description

  • Très importante statue féminine, Sénufo, Côte d'Ivoire ou Mali, XIXe siècle
  • haut. 117 cm
  • 46 in
Cette statue féminine dogele (« pilon ») représentée debout, l'extrémité des jambes se fondant directement dans la base, impose magistralement l'exceptionnelle modernité - au sens artistique du terme - de sa conception. Les masses corporelles résumées à leurs volumes essentiels s'inscrivent puissamment dans l'espace, dans un jeu constant de résonances entre  les formes pleines et les vides. A cette construction parfaitement architecturée répond l'extrême fluidité des lignes, et la tension engendrée par la découpe en aplats courbes ou rectilignes rythmant les épaules, les mains et la coiffure. La tête offre la même intensité sculpturale, avec le beau contraste opposant le visage étroit, presque plat, aux traits minimalistes, et sa profondeur vue de profil, amplifiée par l'imposante crête sagittale à l'extrémité recourbée. Bois dur; superbe et très ancienne patine sombre, légèrement croûteuse.

Provenance

Collection Julius et Josepha Carlebach, New York, vers 1950
Acquise de Josepha Carlebach au milieu des années 1980

Literature

Reproduite et exposée dans :
Patton, Treasures, 2004, n.p., catalogue de l'exposition, National Museum of African Art, Smithsonian Institution, Washington D.C; 17 novembre 2004 - 15 août 2005

Condition

Good condition overall. Wear consistent with age and use within the culture. Crack to proper right side of torso, approximately 20cm, another two under proper right breast, approximately 5cm and 2cm. Crack to upper torso leading to neck, approximately 15.5cm, another to neck, approximately 9cm. Hairline crack to groin, approximately 6cm. Numerous hairline cracks (seemingly following the grain of the wood) to reverse, especially to back of lower legs. The base cracked through in part, but stable. The crack, which is at proper right, approximately 0.4cm at widest point.
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Catalogue Note

L'extraordinaire construction plastique - jouant à la fois sur l'utilisation du vide, la simplification des volumes à leurs formes essentielles et la fluidité des lignes - évoque en tout premier lieu les solutions artistiques développées par les artistes modernes au début du XXe siècle, dont en particulier l'œuvre sculptée d'Henri Laurens et d'Henry Moore. Par ailleurs, une photographie de l'atelier de Derain, datée de 1912-1913 (cf. Plisnier, introduction) présente parmi d'autres sculptures de sa collection une grande statue Sénufo, témoignant de l'intérêt d'un des «découvreurs » de l'art africain pour les solutions plastiques offertes par l'art Sénufo. 

Elle ne trouve en revanche, à ce degré d'accomplissement et de qualité, que peu d'équivalents dans le corpus de la grande statuaire Sénufo. Cette statue s'apparente, à la fois stylistiquement et iconographiquement, à la statue féminine de la collection Carlo Monzino, provenant des collections Louis Carré puis Charles Ratton, présentée en 1935 lors de l'exposition African Negro Art au Museum of Modern Art à New York (n°64). Cette unique référence comparative trouve son importance dans la date de sa première publication (1935). Avec la statue de Derain (photographiée dans son atelier en 1912-1913) et celles collectées par l'explorateur F.H. Lem dans la région de Sikasso au début des années 1930, elle constitue l'une des rares statues Sénufo sortie d'Afrique avant le milieu des années 1950 - époque de la découverte, à proximité du village de Lataha (centre du pays Sénufo), des statues abandonnées par les villageois à la suite de leur conversion au culte Massa. Bien que la date de collecte de la statue de la collection Brian et Diane Leyden -entrée dans la collection Carlebach dans les années 1950 - demeure inconnue, il est légitime de l'associer non pas à la même main mais très probablement au même atelier que la statue Monzino (ex. Louis Carré et Charles Ratton), ayant œuvré, vraisemblablement avant la fin du XIXe siècle.

A la rareté de son style et de son exceptionnelle qualité répond celle de son type. En effet, selon Till Förster (communication personnelle, juillet 2007), « cette statue de grande qualité relève d'un groupe d'objets uniquement utilisés par deux petits sous-groupes Sénufo. Dans les anciens ouvrages, ce type de sculpture est décrit comme « rythm pounder » - terme faisant référence à leur utilisation dans les rites funéraires. Les celibele (nommés jeli en Manding et dieli en français) possédaient en particulier ce type de statue, qui intervenait dans le cadre de leur poro. Les celibele n'étaient pas d'origine Sénufo et parlaient un dialecte Manding. La plupart d'entre eux, venant des régions connues sous les noms de Worodugu et Koyara, n'étaient pas musulmans et possédaient leur propre société du lo ou poro[1], qu'ils abandonnèrent dans la seconde moitié du XXe siècle, lorsqu'ils se convertirent peu à peu à l'Islam.

Les celibele avaient une activité artisanale mais n'ont jamais pratiqué la sculpture. Ils commandaient les quelques œuvres en bois nécessaires à leur société du poro à des sculpteurs Sénufo voisins. Ces œuvres regroupent à la fois le masque central de leur société secrète et les statues debout, qu'ils désignaient simplement par le terme dogele (pilons). La plupart des autres objets nécessaires dans le cadre de l'initiation étaient réalisés en terre et détruits à la fin des rituels. Les statues accompagnaient les aînés défunts jusqu'à leur tombe. Elles étaient d'abord apportées sur l'aire de danse où intervenaient les membres initiés et les masques du poro et où le corps était enveloppé dans les tissus offerts en cadeau de condoléances [2]. Deux statues étaient disposées à la gauche et à la droite du corps. Puis, lorsque ce dernier était emmené à la tombe, elles précédaient les hommes portant le mort sur leurs têtes. Les initiés « martelaient » vigoureusement le sol, afin de « lisser » le passage difficile du statut de défunt à celui d'ancêtre. Etant donné la dimension très restreinte des groupements celibele, ces statues étaient rarement utilisées. Par conséquent, très peu des sculptures décrites dans les ouvrages comme «rythm pounders » étaient en réalité utilisées en tant que telles : la plupart d'entre elles sont en réalité des poro piibele (cf. lot n° 5). Ici en revanche, la très belle patine des bras et le fait que la base n'ait pas été abimée par les insectes et l'humidité démontre que cette statue a été utilisée comme statue pilon.

En tant que sculpture, cette statue est un exemple exceptionnel du style Sénufo septentrional. L'élégance des courbes dessinant le corps et les bras répond à la sérénité du visage et à la composition parfaitement équilibrée de la coiffe et des oreilles ; la courbure des épaules fait écho à la forme du bassin. Cette statue a vraisemblablement été exécutée dans un atelier situé dans l'extrême nord de la Côte d'Ivoire, probablement dans la région autour de Tingréla ou aux environs de Kadiolo, dans l'actuel Mali. La stylisation caractéristique du style Sénufo septentrionale est également présente dans le motif rectangulaire gravé dans le bas du dos - référence probable aux scarifications que reçoivent les femmes et les jeunes filles Sénufo lorsqu'elles tombent malades. Cette superbe statue féminine de la collection Brian et Diane Leyden, ayant conservé sa patine d'origine, est à placer non seulement parmi les très rares « rythm pounders » avérés, mais également parmi les chefs-d'œuvre incontestés de l'ancienne statuaire Sénufo et, plus largement, de l'art africain ».


[1] cf. Gilbert Bochet, « le poro des Dieli », in : Bulletin de l'Institut Français d'Afrique Noire, 21 (1959) : 21-61

[2] Une description détaillée du rituel a été publiée dans : Till Förster, «Smoothing the way of the dead : a Senufo rythm pounder », in : Yale University Art Gallery Bulletin, 2005 : 54-67

A SUPERB SENUFO FEMALE FIGURE, CÔTE D'IVOIRE OR MALI

This dogele (pestle) female statue portrayed standing, with the ends of the legs merging directly into the base, is a superb illustration of the exceptional modernity of conception.  The corporal masses, reduced to their basic volumes, occupy space in a powerful manner, based on a constant interplay between extremely fluid lines and the tension produced by the linear give rhythm to the shoulders, hands and hairstyle.  The head is treated with the same sculptural intensity, forming an appealing contrast between the narrow and almost flat face with minimalist features, and its depth seen in profile, amplified by an imposing sagittal crest ending in a curve.  It is made of hard wood, with a superb and very old patina, dark and slightly encrusted.

The extraordinary plastic construction created by the skilful use of negative space, the volumes simplified to their basic shapes, and the flowing lines bring to mind the artistic solutions developed by modern artists in the early 20th century, illustrated in particular by the sculpted works of Henri Laurens and Henry Moore. A photograph of Derain's studio, dated 1912-1913 (cf. Plisnier, Introduction) shows a large Senufo statue among other sculptures of the artist's collection, demonstrating Derain's interest in the plastic solutions offered by Senufo art. He was one of the artists who 'discovered' African art.

Few equivalent works in the corpus of large-scale Senufo statutes exist.  This statue is comparable, from both the stylistic and iconographic viewpoints, to the female figure from the Carlo Monzino collection, formerly Louis Carré and Charles Ratton collections, presented in 1935 at the exhibition on African Negro Art held in the Museum of Modern Art in New York (n° 64).  This reference is important because of the early date of its publication and exhibiton (1935), as it proves that, together with the statue belonging to Derain (photographed in his studio in 1913) and the one collected by the explorer F.H. Lem in the Sikasso region in the early 1930s, the Monzino figure is one of the very few Senufo statues to have come out of Africa before the middle of the 1950s. It was during the 1950s that large scale Senufo statues, abandoned by villagers after their conversion to the Massa cult, were discovered near the village of Lataha, in the centre of the Senufo country.  The exact collection date of the figure from the Brian and Diane Leyden collection is unknown, although it entered the Carlebach collection in the 1950s. The figure can justifiably be attributed to the same workshop as the Monzino statue (ex. Louis Carré and Charles Ratton), likely to have been active before the end of the 19th century.

In addition to its unusual style and exceptional quality, this category of statue is also rare. According to Till Förster (personal communication, July 2007), "this statue of excellent aesthetic quality belongs to a group of objects used by only two small sub-groups of the Senufo.  In the older studies, this type of sculpture is described as a "rhythm pounder", a term referring to their use in funerary rites.  The celibele (known as jeli in Manding and as dieli in French) possessed this particular type of statue, which was used in the context of their poro society.  The celibele were not of Senufo origin and initially spoke a Manding dialect.  Most of them came from regions known by the names of Worodugu and Koyara.  They were not Muslims and had their own lo or poro society, which they abandoned during the second half of the 20th century when they gradually converted to Islam.

The celibele practised several crafts but never produced any sculptures. They ordered the few wooden objects needed for their poro society from the carvers of the neighbouring Senufo.  These consisted of the central mask of their society and the standing figures, which they simply called dogele (pestles). Most of the other objects required for initiation were made of mud and destroyed at the end of the rituals.  The figures accompanied deceased elders to their grave.  They were first carried to the dance ground where the initiated members and mask bearers of the poro performed, and where the body was wrapped up in cloths given as a sign of condolence.   Two statues were placed on the left and right of the body.  Later, when the body was taken to the grave, these statues preceded the men bearing the deceased on their heads.  The initiates vigorously "pounded" on the earth to "smooth down" the difficult path along which a dead person had to travel in order to become an ancestor.  Since the settlements of the celibele were very small, these figures were seldom used.  In consequence, many of the sculptures described in literature as being "rhythm pounders" were not actually used as such.  Most of them are in reality poro piibele (cf. lot n° 5).  In the case of the Leyden sculpture, on the contrary, the attractive patina on the arms and the fact that the base has not been damaged by insects and humidity indicate that the statue was used as a pestle statue.  

As a sculpture, this figure is an outstanding example of the northern Senufo style.  The elegance of the curves of the body and arms is repeated in the serene expression of the face and perfectly balanced composition of the hair and ears; the bend of the shoulders is mirrored in the shape of the pelvis.  This statue was probably produced by a workshop in the extreme north of Côte d'Ivoire, probably in the region around Tingréla or the neighbourhood of Kadiolo, in what is now Mali.  The typical stylisation of the northern Senufo repertory can also be seen in the rectangular pattern carved on the lower back - a possible reference to the scars received by Senufo women and young girls when they fall ill.  This superb female statue from the Brian and Diane Leyden collection still has its original patina.  It can be considered to be not only one of the rare sculptures recognised as being a "rhythm pounder" but also an undisputed masterpiece of old Senufo statuary in particular, and of African art in general."