Lot 57
  • 57

Exceptionnel Masque , Kwélé, Gabon

Estimate
220,000 - 280,000 EUR
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Description

  • Kwélé
  • Exceptionnel Masque
  • haut. 36 cm, prof. 8,5 cm
  • 14 in
Ce masque pipibudzè impose avec majesté son large visage humain résumé à la face blanchie creusée « en cœur », dont la forme est amplifiée par les plans soigneusement facettés qui l'enveloppent. Il se distingue par la haute crête sagittale naissant du nez, projetée en haut relief. L'alternance des plans - disposés à plat ou en oblique - est accentuée par le décor peint en larges bandeaux concentriques, noir, brun rouge et blanc. Les traits stylisés du visage se résument à deux grands yeux en amande, percés et largement étirés, un nez triangulaire souligné de noir et une très petite bouche incluse dans le bandeau noir, dans l'axe du masque. Bois dense mi-lourd, patine satinée sur la face, brune et mate au revers. Il porte, au dos, une ancienne étiquette partiellement déchirée, illisible.

Provenance

Acquis par Monsieur J.-M. P. (1885-1956), entre les années 1920 et 1940.
Transmis par descendance à l'actuel propriétaire.

Condition

Good condition overall. Wear consistent with age and use within the culture. Some minor old losses. Old loss to back of sagittal crest (only visible from the reverse), approximately 2.5cm x 3.5cm at largest.
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Catalogue Note

Monsieur J.-M. P. (1885-1956) fut courtier en produits tropicaux entre les années 1920 et 1940. Son métier de négoce le conduisit à séjourner à plusieurs reprises en Afrique, avant de partager son temps entre l'Amérique du Sud et l'Europe, où il soutint le parcours politique d'Edouard Daladier. Il débuta sa collection d'arts africain et précolombien dès l'époque de ses premiers voyages.  

Commentaire par Louis Perrois, septembre 2007

Ce très beau masque facial Kwélé relève du type pipibudzè, autrement dit « l'homme » ou « le garçon », selon les indications fournies par Aristide Courtois, administrateur des colonies dans les années 1930 (documentation Musée de l'Homme, Paris). Rapporté du Congo français dans les années 1920, il constitue un spécimen à la fois très classique stylistiquement, mais aussi exceptionnel et rare par la crête sagittale qu'il arbore. Il représente, à ce jour, le seul masque pipibudzè connu à présenter ce détail singulier. Pour qui connaît les représentations sculptées de cette région jadis très reculée et isolée de l'Afrique équatoriale, il rappelle à la fois la morphologie expressionniste des masques emboli des Bakota du bassin de l'Ivindo, et celle, plus naturaliste, des masques animaliers gong des Bakwélé orientaux (les masques à effigie de gorille dont le front proéminent est surmonté d'une crête sagittale, caractéristique des gorilles mâles adultes). Cette crête sagittale qui, partant du nez, constitue une sorte de haute coiffe, s'inscrit donc dans l'iconographie des motifs symboliques utilisés dans la région - ceux des rites du Mungala et du Beete (cf. Perrois, 2001 : 110, fig. 43).

Le visage proprement dit offre une stylisation remarquable. La forme « en cœur » et son épaisseur, mais aussi son décor peint à formes emboîtées, déterminées par des plans cordiformes soigneusement facettés enveloppant la face (disposés à plat et en oblique, de surfaces légèrement concaves), évoque immédiatement les masques pipibudzè de référence publiés dans les ouvrages d'art africain (cf. ibid., pp. 80-83). En particulier, il s'apparente étroitement au plus fameux d'entre eux, le masque de l'ancienne collection Tristan Tzara (25, 4 cm) collecté dans les années 1920 et exposé à la galerie Pigalle à Paris en 1930, aujourd'hui conservé au musée Barbier-Mueller de Genève (#1019-80 - cf. Hahner-Herzog/ Kecskési/ Vajda, 1997 : 178-179, n° 71). De manière très significative, cette œuvre emblématique avait été acquise par Tristan Tzara, membre fondateur du mouvement artistique révolutionnaire connu sous le nom de Dada. Ce masque, par la pureté de ses lignes - simplicité, perfection de sa résolution formelle, luminosité picturale - illustre au plus haut point la sensibilité de Tzara et témoigne de l'engagement du mouvement Dada dans le retour à l'expérience authentique, à travers la mise en valeur des formes élémentaires du langage et du geste (LaGamma, 2007 : 294).

Parmi le corpus des masques Kwélé répertoriés, le masque pipibudzè - dépourvu de cornes - constitue le type le plus rare. Son décor à formes emboîtées, enveloppant, n'est pas sans évoquer un autre type de masque Kwélé, à cornes arquées.

La facture cordiforme concave, très régulière, l'apparente également à un autre masque du Musée Barbier-Mueller (28 cm), collecté par Aristide Courtois dans les années 20 (#1019-22 - cf. Perrois, 1985 : 196, n° 19), acheté par Josef Mueller vers 1939 chez Charles Vignier à Paris. Contrairement à ce dernier spécimen, présentant des surfaces très érodées, le masque présenté ici a conservé ses couleurs (probablement partiellement ciré), le « cœur » blanchâtre étant cerné de larges bandeaux concentriques noir puis rouges. Les parties latérales et le revers laissent voir la patine d'origine, de même teinte brune, mais de surface mate.

Le second détail de facture qui singularise ce masque est le sillon qui parcourt tout le côté droit de la collerette, dont l'intérieur est ponctué de nombreux petits taquets de bois ayant servi à maintenir un vêtement de raphia (traces de fibres). Le revers dévoile l'épaisseur et la largeur des rebords - caractéristiques classiques des masques Kwélé anciens.

Les rites du beete chez les Bakwélé étaient liés non seulement aux initiations et aux deuils, mais également à la vie socio-politique des communautés. Ces masques étaient considérés comme des représentations d'esprits de la forêt (ekuk) et leur possession était une marque de prestige et de puissance sociale, pour des individus ou des lignages. A cet égard, la qualité de réalisation de ces objets était parfaitement perçue et appréciée par les villageois.

Si, selon Leon Siroto, la fabrication de ces masques d'esprit s'est poursuivie pour un usage peu à peu folklorique jusque dans les années 1950, ce sont les spécimens collectés - comme ici - dans les années 1920-1930, qui font référence. En effet, depuis la conquête coloniale jusqu'aux indépendances, rares sont les européens à avoir traversé ou séjourné en pays Kwélé, situé dans la région Nord de la frontière entre les actuels Gabon et République du Congo. Seules quelques œuvres, notamment collectées par Aristide Courtois (cf. Amrouche « Aristide Courtois, le brûleur de case, 1883-1962 », in Arts et Cultures [Musée Barbier-Mueller, Genève], 2006 : 182-189) parviennent en Europe avant la fin des années 1930, époque à partir de laquelle les rites ancestraux seront largement abandonnés et les bons artistes cesseront d'exercer.  

Par ses caractéristiques de forme, de décor et de patine, ce masque pipibudzè, indéniablement ancien, est un objet rare qui illustre superbement le savoir-faire des artistes Kwélé d'autrefois.
Ses très belles qualités plastiques et picturales le classent parmi les exemples les plus aboutis de la stylisation extrême propre aux masques Kwélé, célébrés par les collectionneurs et les artistes pour la pureté de leur forme dès leur «découverte », dans les années 1920.  

An exceptional Kwele mask, Gabon

It was acquired by Mr. J.-M. P. (1885-1956), a broker in tropical products between 1920 and 1940. His trading business led him to stay in Africa on several occasions, before dividing his time between South America and Europe, where he supported the political career of Edouard Daladier. He started his collection of African and pre-Colombian arts during his very first journeys.  It was handed down by descent to the current owner.

Essay by Louis Perrois, September 2007

This very fine Kwele face mask belongs to the category known as pipibudzè, in other words, "the man" or "the boy", according to information supplied by Aristide Courtois, a colonial administrator during the 1930s (documentation of the Musée de l'Homme, Paris). Brought back from the French Congo in the 1920s, it is a specimen that is both classical from the stylistic point of view, and also exceptional and rare because of its sagittal crest.  To date, it is the only pipibudzè mask known to have this unusual detail.  Those who are familiar with the sculpted representations of this region, which used to be a very remote and isolated area of Equatorial Africa, will find that it is reminiscent of the expressionist morphology of the emboli masks of the Bakota from the Ivindo basin, and the more naturalistic one of the gong animal masks of the eastern Bakwele (masks in the effigy of a gorilla with a prominent forehead surmounted by a sagittal crest that is typical of male adult gorillas).  The sagittal crest, starting from the nose, forms a kind of high headdress, a feature belonging to the repertory of symbolic motifs used in the region for the rites of the Mungala and the Beete (cf. Perrois, 2001: 110, fig. 43).

The face itself displays a remarkable stylisation.  Its "heart" shape and thickness, as well as its painted decoration of interlocking forms, determined by the carefully facetted cord-like planes enveloping the face (arranged flat and diagonally, with slightly concave surfaces), immediately recall the reference pipibudzè masks published in books on African art (cf. ibid., pp. 80-83). In particular, it is very similar to the most famous of these masks, the one from the former Tristan Tzara collection (25, 4 cm), collected in the 1920s, exhibited at the Pigalle Gallery, Paris, in 1930, and now in the Barbier-Mueller Museum, Geneva (#1019-80 - cf. Hahner-Herzog/ Kecskési/ Vajda, 1997: 178-179, n° 71). It is significant that this emblematic work was acquired by Tristan Tzara, a founding member of the revolutionary artistic movement known as Dada.  This mask, with its pure lines - basic simplicity, perfect formal solutions, pictorial luminosity - reflects the extreme sensitivity of Tzara and the commitment of the Dada movement to restore authentic experiences by giving value to the elementary forms of language and gesture (LaGamma, 2007: 294).

Among the corpus of identified Kwele masks, the pipibudzè mask - without horns - is the rarest type.  Its decoration, consisting of enveloping and interlocking forms, evokes, to a certain extent, another type of Kwele mask with arched horns.

The mask, with its very even, cordiform and concave aspect, can also be compared to another mask in the Barbier-Mueller Museum (28 cm), collected by Aristide Courtois in the 1920s (#1019-22 - cf. Perrois, 1985: 196, n° 19), and purchased by Josef Mueller around 1939 from Charles Vignier in Paris. Unlike the latter example, with highly eroded surfaces, the mask presented here has retained its colours (probably because it was partially waxed), the whitish "heart" being encircled by wide concentric bands in black and then in red. The original patina, of the same brown tint, but with a mat surface, is still visible on the side sections and at the back. 

The second detail that makes this mask distinctive is the groove running along the right side of the collaret, the inside of which is dotted with small wooden pegs that once served to hold a garment in raffia (traces of fibres).  The back reveals the thickness and width of the rims - typical features of old Kwele masks.   

The rites of the beete among the Bakwele were linked not only to initiation and mourning but also to the socio-political life of the communities. These masks were considered as representations of forest spirits (ekuk), and owning them was a mark of prestige and social power for individuals and lineages.  This is why the quality of the carving of such objects was clearly appreciated and valued by the villagers.  

If, according to Leon Siroto, these spirit masks continued to be sculpted for a use that was gradually reduced to folklore until the 1950s, it is the specimens that were collected in the years 1920-1930, like this one, that serve as a reference.  In effect, since the colonial conquest and up to independence, very few Europeans travelled or stayed in the Kwele region, situated in the North of the border between present-day Gabon and the Republic of Congo.  Only a few works, notably those collected by Aristide Courtois (cf. Amrouche "Aristide Courtois, le brûleur de case, 1883-1962", in Arts et Cultures [Barbier-Mueller Museum, Geneva], 2006: 182-189) reached Europe before the end of the 1930s, the period when many of the ancestral rites were abandoned and good artists ceased their activity.  

In view of the characteristics of its shape, decoration and patina, this pipibudzè mask, which is undeniably old, is a rare object that superbly illustrates the skills of the Kwele artists of the past.  Its beautiful plastic and pictorial qualities place it among the most accomplished examples of a stylisation that is specific to Kwele masks, celebrated by collectors and artists for their pure forms as soon as they were "discovered" in the 1920s.