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Proust, Marcel [Lettre autographe signée à Jean-Louis Vaudoyer]. Sans date [Dimanche 1er mai 1921].
Description
- Proust, Marcel
- [Lettre autographe signée à Jean-Louis Vaudoyer].Sans date [Dimanche 1er mai 1921].
Cette lettre est contemporaine de la rédaction de la fameuse analyse du « petit pan de mur jaune » contenu dans le tableau de Vermeer à l’origine d’un des chapitres clés d’À la recherche du temps perdu, et que le destinataire de cette lettre venait de lui révéler dans un de ses articles.
« 44, rue Hamelin
Cher ami,
(…)
Hier, j'ai lu un Ver Meer où vous aviez moins l'occasion peut-être de vous livrer, mais qui me touche plus que tout. Depuis que j'ai vu au Musée de la Haye la Vue de Delft, j'ai su que j'avais vu le plus beau tableau du monde. Dans Du côté de chez Swann, je n'ai pu m'empêcher de faire travailler Swann à une étude sur Ver Meer. Je n'osais espérer que vous rendriez une telle justice à ce maître inouï. Car je sais vos idées (très vraies) sur la hiérarchie dans l'Art et je le craignais un peu trop Chardin pour vous. Aussi quelle joie de lire cette page. Et encore je ne connais presque rien de Ver Meer. Je me souviens d'avoir, il y a bien quinze ans, donné une lettre à Vuillard pour qu'il allât voir une copie de Ver Meer que je ne connais pas, chez Paul Baignères. (…) »
Literature
Correspondance de Marcel Proust, éd. Kolb, tome XX, pp. 226-227.
Catalogue Note
Vermeer (que Proust écrit à l’ancienne « Ver Meer ») fut le peintre préféré depuis l’âge de vingt ans de Marcel Proust, ainsi qu’il l’écrivit dans une autre lettre à Jean-Louis Vaudoyer. Ce fut aussi devant cette Vue de Delft qu’il éprouva un malaise, un an avant sa mort, lors de l’exposition des Peintres Hollandais au Jeu de Paume en avril mai 1921, en compagnie de Vaudoyer. Ce malaise, Proust le fit éprouver plus gravement, dans La Prisonnière, à son personnage Bergotte, lequel venant admirer ce fameux « petit pan de mur jaune » parce qu’un critique d’art (Jean-Louis Vaudoyer) dans une chronique récente l'avait comparé à « une précieuse œuvre d’art chinoise, d’une beauté qui se suffirait à elle-même », succombe à une crise cardiaque. Ce petit pan de mur jaune symbolique donne l’une des clés de l’écriture de Proust, qui fait murmurer à Bergotte ces derniers mots : « C’est ainsi que j’aurais dû écrire, disait-il ; mes derniers livres sont trop secs : il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse comme ce petit pan de mur jaune ». Le destinataire de cette lettre, l’écrivain et ami intime de Proust, Jean-Louis Vaudoyer, a raconté cette visite au Musée du Jeu de Paume dans une lettre à Jacques Rivière, datée du 9 janvier 1923, après avoir lu dans le numéro d’hommage à Proust de la NRF les pages sur la mort de Bergotte : « Proust connaissait parfaitement Vermeer ; il l’aimait avec la plus fidèle passion. Je peux vous raconter (…) de quelle manière il a employé (si l’on peut dire), pour la Mort de Bergotte, une visite que nous fîmes ensemble un matin de mai (ou de juin), en 1921, à l’exposition hollandaise du Jeu de Paume, où la Vue de Delft figurait. (…) Il avait lu avec beaucoup de bienveillance et d’indulgente amitié, une étude sur Vermeer que j’avais donnée à L’Opinion, et le passage sur le « petit pan de mur jaune » le frappa (…) Ce matin-là, au Jeu de Paume, Proust était extrêmement souffrant (…) Plusieurs fois il revint s’asseoir sur ce « canapé circulaire » d’où roule Bergotte pour mourir. » Lettre citée par Jean-Yves Tadié, Marcel Proust (Paris, Gallimard, 1996, pp. 873-874).
Romancier, poète, essayiste, c’est d’abord comme critique d’art que Jean-Louis Vaudoyer (1883-1963) acquit sa notoriété auprès du grand public, en collaborant à L’Écho de Paris ainsi qu’à plusieurs autres revues. Très tôt porté vers les arts, il fut un temps attaché libre au Musée des Arts décoratifs, avant d’être nommé conservateur du Musée Carnavalet. Fidèle d’entre les fidèles des confidents et amis de Marcel Proust, sa correspondance avec le romancier débuta en 1910, sous les auspices de Vermeer justement, dont Vaudoyer avait évoqué les « saphirs » dans un de ses articles. Vaudoyer laissa une abondante littérature en grande partie inspirée par l’Italie et ses peintres. Il fut élu à l’Académie française en 1950.