Lot 35
  • 35

[Baudelaire, Charles] [La maladie, la mort et la publication des œuvres complètes de Charles Baudelaire. 85 lettres autographes signées]. 1866-1870

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50,000 - 60,000 EUR
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Description

  • [Baudelaire, Charles]
  • [La maladie, la mort et la publication des œuvres complètes de Charles Baudelaire.85 lettres autographes signées].1866-1870
85 lettres autographes signées échangées par ses proches entre 1866 et 1870 : 34 de Mme Aupick (dont 12 à Félicité Baudelaire, 11 à Banville, 8 à Asselineau, et 1 à Poulet-Malassis, Nadar et un personnage non identifié) ; 33 de Poulet-Malassis à Asselineau ; 15 d'Asselineau dont 13 à Poulet-Malassis et 2 à Philarète Chasles ; des lettres de Manet à Asselineau (1), de Banville à Asselineau (1), de Charles Neyt à Poulet-Malassis (1). 



L’hémiplégie de Baudelaire à Bruxelles.
Lettre de Malassis à Asselineau, 1er avril 1866 : « Je ne veux pas vous laisser ignorer que Baudelaire est au plus mal. On  croyait, il y a huit jours, seulement à une affection nerveuse compliquée et d’un traitement long. Hier la paralysie s’est déclarée du côté droit, et le ramollissement du cerveau s’est manifesté. Je vous explique sans doute cela fort mal, mais vous me comprendrez. Il n’y a pour ainsi dire pas d’espoir de sauver notre ami. Je sors de chez lui. C’est à peine s’il m’a reconnu. » Il doit rencontrer Me Ancelle, l’homme d’affaires de Mme Aupick et le conseil judiciaire du poète : « j’insisterais déterminément pour que la publication des œuvres de Baudelaire ait lieu par vos soins, si la fin de sa maladie est aussi funeste qu’on peut le craindre. »
Asselineau lui répond le 2 ou 3 avril suivant : « Je suis abasourdi et je n’ose rien prévoir. » Du même au même, le 4 avril : « (…) On a transporté Baudelaire de l’hôtel du Grand Miroir dans une maison de santé. Il y a un mieux, mais autant que je puisse interpréter ce que disent les médecins, ce mieux n’a rien de significatif. – Baudelaire ne peut pas exprimer deux idées qui se lient, - pour joindre l’une à l’autre, il cherche les mots et ne les trouve pas. L’effort intellectuel est trop grand. (…) »
Ancelle désire que Baudelaire fasse un testament à sa mère, mais « dans tout cela, puisque Baudelaire semble condamné, il n’y a que la question littéraire à laquelle j’attache une extrême importance. – Que j’ai exprimée à M. Ancelle. Il existe heureusement, de Baudelaire à moi, un traité entre les mains de M. Ancelle, dont on se servirait si les créanciers avaient prétention de mettre la main sur ses œuvres. (…) Je continuerai à adresser à vous seul ce qui sera utile que vous sachiez sur l’état de notre ami. Vous réserverez de mes lettres ce que vous jugerez convenable de ne pas dire. » Réponse d’Asselineau, le 5 avril : « (…) Voilà certainement une perte inconsolable, soit que notre ami soit décidément perdu, soit qu’il survive dans un état où nous ne le retrouverons plus. (…) »




Baudelaire est transporté auprès de sa mère.
Malassis à Asselineau, 19 avril : « Nous venons de transporter, Stevens et moi, Baudelaire de la maison de santé à l’hôtel, auprès de sa mère, le trajet s’est fait sans embarras, j’ai même trouvé Baudelaire un peu mieux qu’hier et avant-hier (…) Comme la voiture allait au pas, il a pris un plaisir visible à regarder les devantures et le mouvement de la rue. Il comprend toutes les choses simples qu’on lui dit, surtout celles relatives à son état (…) » Baudelaire a eu un fou rire à propos d’une remarque sur la fleur d’orange : « ce qui vous prouvera que le sens du comique et de l’ironie ne l’a pas quitté, - et qu’il est à la conversation. (…) »
Asselineau, le 22 avril, évoque un dîner avec la belle-sœur de Baudelaire, « ancienne jolie femme fort pincée. (…) Je me suis trouvé là comme au cœur de l’ennemi. Que de réticences, que de ménagements, que de correctifs ! Ces braves gens là ne se doutent pas que le cher Baudelaire est l’illustration de sa famille et un des esprits les plus complètement remarquables de ce temps-ci. Ils avaient l’air tout ébaubi de m’entendre parler de lui comme nous en pensons. (…) Il n’y avait là, outre moi, qu’une seule personne qui aimait véritablement Charles. C’est le bon père Ancelle. (…) B. se souvient-il de moi quand on lui dit mon nom ? »
Malassis au même, 26 avril : « (…) Un mois avant l’événement nous avons publié ici à 260 Ex. sur papier vergé Les Épaves, de Baudelaire, recueil des pièces condamnées et de pièces diverses inédites (…) Avez-vous eu le vôtre ? »
Du même, le 1er mai : « (…) La mère de Baudelaire semble l’aimer beaucoup, mais d’un amour maternel enfantin. (…) Je lui ai laissé la cinquième livraison du Parnasse, et il a bien fallu qu’elle y mît le nez. Une pièce lui a plu, celle qui se termine par ce vers : Entends, ma chère, entends la douce nuit qui marche. Elle me l’a lue, et j’ai été surpris de voir qu’elle lisait très bien. (…) Elle prononce net comme Baudelaire en déterminant et accentuant très juste. Il lui ressemble beaucoup de visage, surtout dans le front et la bouche. (…) »
Le 27 mai, l’éditeur évoque « Les Poëmes en prose, qui peuvent être l’autre succès de Baudelaire, et que la censure ne laisserait certainement pas passer. (…) »
Le 7 juin, Malassis revient sur son appréciation de Mme Aupick : « (…) Mme Aupick ne comprend et n’a jamais rien compris au caractère de son fils, et est sans doute, malgré l’excellence de ses sentiments maternels, une des personnes les plus inaptes à s’occuper de lui, et à comprendre ses désirs. (…) » Puis il évoque longuement le projet d’édition des œuvres de son ami : « Les Fleurs du mal se sont vendues dans leurs deux éditions à 3.000 Ex. C’est le livre vaillant de la situation. (…) Il y aura bénéfice. Il devra y avoir bénéfice aussi sur les Poëmes en prose, quoique inachevés (…) restent ensuite 2 ou peut-être 3 volumes de critique et Opium et haschisch qui a eu beaucoup de peine à s’écouler même au rabais (…) Soit dit entre parenthèses, Les Fleurs du mal et les Épaves sont tout le bagage poétique de notre ami, moins une trentaine d’épigrammes contre la Belgique que je l’ai empêché de publier (…) ». (Voir le n° 31 du présent catalogue.)




Le retour de Baudelaire à Paris.
Asselineau à Malassis, 5 juillet 1866 : « Voilà B. installé à la maison de santé du docteur Émile Duval (…) J’ai passé avec lui presque tous les jours qui ont précédé cette installation qui ne date que d’hier (…) Je l’ai d’abord  trouvé beaucoup moins mal que je ne craignais, c’est-à-dire parfaitement lucide, intelligent et calme ; hors les moments où Mad. Aupick ou sa femme de chambre l’exaspéraient. Mme Aupick retourne à Honfleur dans quelques jours. Elle a fini par comprendre que sa compagnie était pour son fils plutôt un sujet d’irritation que de consolation. (…) Quant au projet de publication, il n’en est pas question. B. à un mot que je lui en ai dit a répondu par un geste d’impatience. Est-ce du découragement, est-ce qu’il espère pouvoir un jour faire ses affaires lui-même ? (…) »
Mme Aupick à Asselineau, 8 juillet 1866 : « (…) Charles m’a montré hier que ses pantoufles étaient percées au milieu de la semelle. Je lui ai dit : je vais t’en acheter d’autres ; il faut mettre des souliers, j’emporterai tes pantoufles pour en acheter de semblables. Il s’est récrié en colère avec son terrible Crénom. (…) Alors il a eu une terrible colère, et ses airs menaçants contre moi que vous lui connaissez. (…) J’ai pensé, mon cher Monsieur Asselineau, que vous qui êtes si bon et qui avez de l’empire sur lui, vous voudriez bien me venir en aide, et m’arranger cette histoire de pantoufles. (…) » Le 18 suivant, elle écrit à Théodore de Banville : « Vous avez dû apprendre par les journaux le coup affreux dont mon pauvre fils Charles Baudelaire a été frappé. (…) Vous saurez qu’en lui proposant de lui envoyer quelques amis pour le visiter, il a accueilli votre nom avec une grande joie, parce qu’il a pour vous beaucoup d’amitié. (…) Charles sans pouvoir vous répondre, entendra et comprendra tout ce que vous lui direz. Quoique à ses deux attaques de paralysie il y ait eu ramollissement du cerveau, il a conservé une certaine lucidité d’esprit. D’ailleurs, peut-on savoir jusqu’à quel point l’intelligence, cette belle et haute intelligence d’élite, a disparu, puisqu’il ne peut exprimer ses idées. (…) »
Tout au long de l’été 1866 et de l’hiver 1866-1867, l’état du poète semble s’améliorer et l’on s’accorde pour penser qu’il peut encore guérir. Ainsi, vers le début 1867, Edouard Manet s’excuse auprès d’Asselineau : « Si vous voyez notre ami Baudelaire, dites-lui de ne pas m’en vouloir, j’ai été malade moi-même et tellement occupé que je remets tous les jours pour aller le voir ; j’ai eu du reste de ses nouvelles de différents côtés, elles me semblent bonnes. »
Mais à l’été 1867, son état se détériore brutalement : Asselineau écrit à Malassis en août 1867 : « Cher ami, c’est à mon tour de vous donner de mauvaises nouvelles du pauvre Baudelaire. Non pas que je n’ai jamais pu vous en donner de bonnes, mais depuis quelques temps le mal se précipite : il est probable qu’il n’en a pas pour un mois. »



La mort de Baudelaire.
Figure dans le présent ensemble l’extraordinaire lettre que la mère de Baudelaire écrivit le jour même du décès de son fils à Félicité Baudelaire, veuve du demi-frère de Charles. Le début de la lettre fut rédigé tandis que son fils était toujours en vie, dans un état certes qui ne laissait plus de doute sur la fatale issue. Le trépas de Charles entraîna l’écriture de quelques mots ajoutés sur le vif par la main d' Edmond Albert, secrétaire et ami dévoué du poète qui le veillait dans son agonie. Cette lettre ne paraît pas avoir été reproduite.



« Mon pauvre fils vit toujours ; mais il est dans un état bien extraordinaire depuis deux jours et deux nuits, dans une espèce de sommeil avec les yeux ouverts, ainsi que la bouche. Après de grandes souffrances, il ne souffre plus et peut passer ainsi tranquillement d’un moment à l’autre. Mais je fais des vœux pour le conserver quelques jours encore tel qu’il est. Accablée de chagrin comme je le suis, il me serait bien doux, sans doute, de pouvoir m’appuyer sur vous. Mais comment ? Je ne puis vous loger. M. Ancelle est absent pour mon malheur, ainsi que M. Tournié qui lui donnait des soins. On a envoyé un télégramme au premier. M. Albert qui l’a veillé après des mois, est parfait pour moi. Je ne vous ai pas dit je crois que mon pauvre enfant a reçu tous ses sacrements, sachant bien ce qu’il faisait et avec ferveur, il y a un mois. J’ai eu le bonheur de saisir un bon moment. Je vous embrasse.
                                                            C. Vve Aupick"



[Ajouté au-dessous en caractères plus grands]
Madame, notre pauvre ami vient de rendre le dernier soupir
Edmond Albert 
                        11h »



Figurent ici également de nombreuses lettres de condoléances ainsi que des lettres de Mme Aupick, comme celle adressée à Nadar, datant du 10 septembre 1867 : « M. Nadar, / Je ne sais comment vous remercier de tout ce que vous avez fait p[our] mon pauvre fils : vous alliez le voir à la maison de santé, où vous lui procuriez des distractions, d’autant plus précieuses pour lui qu’il vous était tendrement attaché. Et voici un article admirable de vous dans le Figaro, trop bien écrit et trop vrai pour ne pas intéresser vivement tous ceux qui l’ont connu et apprécié. Pour ma part, j’en ai été bien vivement touchée, surtout de ce que vous dites de ses croyances religieuses, que vous avez été à même d’apprécier dans l’intimité. Nul ne pouvait contester sa belle intelligence d’élite, son esprit supérieur, mais en était-il de même de sa belle âme ? (…) ».



La vie posthume et la publication des œuvres complètes.
Après la mort de Baudelaire, une certaine urgence se fait sentir dans la reprise de la publication de ses Œuvres complètes ainsi que de ses inédits. Mme Aupick, en date du 12 septembre 1867, rappelle à Théodore de Banville : « rien ne doit arrêter la publication projetée même en cas de succession contestée, elle n’aurait rien à faire là : les frais d’impression étant couverts par les succès. Ô ces succès, cette publication, qui vont grandir encore plus mon pauvre fils dans l’opinion, aurai-je le temps d’en jouir : dépêchez-vous mes amis. » Concernant les « inédits » du poète, Asselineau confie à Malassis : « Je viens de lire les papiers de notre ami. Je n’y ai rien trouvé de publiable. (…) Si Sainte-Beuve persiste dans son projet de médaillon il pourrait y enchâsser quelques bribes du tout ; car il y a des choses remarquables. Ce serait le meilleur parti à en tirer. Je regrette que le livre sur la Belgique n’ait pas été fini. Les notes sont vraiment amusantes (…) Quant à la publication des œuvres, l’avis de Banville, et le mien, est de réimprimer seulement les choses terminées et dont le manuscrit très complet (moins la Fanfarlo que j’ai) se trouve dans la malle. Le bagage d’ailleurs est moins gros que je ne l’aurais pensé. Nous n’aurions que quatre (ou cinq tout au plus) volumes (…) » Le choix de l’éditeur pose quelques problèmes, car certains, comme Champfleury, ne veulent pas de Michel Lévy. « Mais en fait, lui répond Malassis le 18 septembre, Lévy fait partie (des) volontés dernières » de Baudelaire. Et il est prêt à « abandonner à Lévy la propriété des Épaves » si Asselineau considère « que leur abandon pur et simple puisse décider la conclusion rapide et avantageuse de l’affaire. » De nombreuses lettres concernent le « prix » des œuvres du poète. Malassis à Asselineau, 29 octobre 1867 : « la valeur littéraire des œuvres de Baudelaire ne doit pas nous faire illusion sur leur valeur vénale. Au fond des choses, je le répète, j’ai la conviction qu’il n’y a de vaillant pécuniairement que les Fleurs du Mal. » Calculs et annonces se succèdent, tandis qu’Asselineau met la main au premier livre qui reconnaît l’importance considérable du poète : Charles Baudelaire, sa vie et son œuvre (Lemerre, 1869), il s’active avec Banville à la publication des Œuvres complètes, dont il se plaint des retards du fait de Michel Lévy. Ces lenteurs feront que le volume IV des Œuvres complètes ne sera effectivement enregistré que le 19 juin 1869, soit plus de quatre mois après le volume III, alors que les deux premiers volumes seront parus tous deux dans le même mois de décembre 1868. En ce mois de décembre 1868, Mme Aupick laisse éclater sa joie en écrivant à Asselineau : « Quelle bonne nouvelle vous m’annoncez ! Voilà dont les Fleurs du mal qui vont paraître ! Avec quelle impatience je vais aspirer aux louanges de mon fils (…) ».

Catalogue Note

Exceptionnel ensemble de lettres autographes échangées par les proches de Baudelaire sur son sujet, dont certaines très importantes et témoignant d’avis parfois opposés, sur sa maladie, son traitement, les pensées qui lui sont prêtées, ses comportements avec les uns et les autres, sa souffrance, l’annonce de sa mort, ses obsèques, les tractations à venir.