La Trame du Rêve : l’Art du Textile en Asie du Sud-Est
La Trame du Rêve : l’Art du Textile en Asie du Sud-Est
Lot Closed
April 9, 12:49 PM GMT
Estimate
8,000 - 12,000 EUR
Lot Details
Description
Tissu cérémoniel pua, Iban, Bornéo, Indonésie, début du 20e siècle
197 x 102 cm ; 77½x 40 in
Collection privée, Suisse, avant 1980
Indianapolis Museum of Art, Indianapolis (prêt long terme)
A Bornéo, une femme Iban qui tisse un pua fait surgir entre ses mains les futurs trésors de sa famille, transmis de génération en génération. Elle immortalise, dans le répétitif entrelacement de la chaîne et de la trame, le répertoire immémorial des légendes et mythes de son peuple. Elle affirme, enfin, sa place dans un monde régi par le sacré, les cérémonies, les rites.
Car la beauté des pua – couvertures cérémonielles Iban par excellence – n’a d’égale que leur puissance symbolique. Puissants parmi les puissants, les pua sungkit font l’objet d’une révérence particulière. La force et l’efficacité de ces étoffes, fondamentales dans les rites où elles entrent en jeu, puisent leurs sources dans le pouvoir des tisserandes et l’efficience des motifs qu’elles font naître.
Au contraire d’autres pua, comme le pua kumbu, le répertoire de motifs de pua sungkit reste assez limité et beaucoup imitent les motifs patola des doubles ikat indiens chéris en Indonésie comme textiles cérémoniels, symboles de richesse et de prestige. Existent pourtant des formes rares, comme celle de la « figure dansante », dont la rareté s’explique lorsque l’on sait que seules les plus audacieuses des tisserandes se risquaient à les représenter. Les pua sungkit sont en effet le privilège des femmes ayant atteint, dans l’art du tissage, le rang de maître (indu tau muntang tau tengkebang « celle qui sait comment plier les fils et créer de nouveaux motifs ») ou de grand-maître (indu tau takar tau gaar « celle qui sait mesurer le mordant et traiter les fils »). C’est également entre leurs mains que l’étoffe, une fois achevée, prend toute sa place au sein de la cérémonie du Gawai Enchaboh Arong.
Cette cérémonie, qui voit hommes et femmes se réunir pour assurer la protection et la prospérité de la communauté, se conçoit en lien direct avec la pratique ancestrale de la chasse aux têtes, activité exclusivement masculine. Lorsqu’ayant prouvé leur bravoure, les jeunes guerriers rentrent au village avec une tête trophée, l’étape du Gawai Enchaboh Arong parachève le rite de passage. A genou, telle une sage-femme mettant au monde un bébé, la tisserande recueille précieusement la tête dans son pua sungkit et place l’ensemble dans un bol en céramique. Promenée dans le village au milieu d’une procession de femmes chantantes, la tête trophée subit une expurgation rituelle. Débarrassée de toute énergie négative par l’action combinée de la puissance surnaturelle du pua sungkit et des chants des femmes, elle atteint enfin le stade souhaité d’objet bénéfique de pouvoir, capable d’assurer la prospérité et la pérennité du clan.
Le choix décoratif des six rangées de divinités qui forment le motif central de ce pua et sa belle couleur d’un rouge profond que font ressortir les décors bleus teintés à l’indigo sont la marque précieuse que ce textile est la réalisation d’une tisserande à la puissance rituelle particulièrement forte. Proche dans son décor du pua sungkit de l’ancienne collection Steven G. Alpert, aujourd’hui conservé au Dallas Museum of Art, il est sans contexte un splendide exemplaire de maitrise technique au service de l’art rituel.
In Borneo, an Iban woman who weaves a pua brings forth with her hands the future treasures of her family, to be transmitted from generation to generation. She immortalizes, in the repetitive interlacing of the warp and weft, the immemorial repertoire of the legends and myths of her people. She affirms, in fact, her place in a world governed by the sacred, the ceremonies and the rites.
For the beauty of the pua - Iban ceremonial blankets par excellence - is matched only by their symbolic power. Powerful among the powerful, the pua sungkit are the object of particular reverence. The strength and effectiveness of these fabrics, fundamental to the rites for which they are used, are rooted in the power of the weavers and the efficiency of the patterns they create.
Unlike other pua, such as pua kumbu, the repertoire of pua sungkit designs remains quite limited and many imitate the patola designs of the Indian double ikat cherished in Indonesia as ceremonial textiles, symbols of wealth and prestige. However, there are rare forms, such as the "dancing figure", whose rarity is explained by the fact that only the most daring weavers dared to represent them. The pua sungkit are in fact the privilege of women who have reached the rank of master (indu tau muntang tau tengkebang - "the one who knows how to bend the threads and create new patterns") or grandmaster (indu tau takar tau gaar - "the one who knows how to measure the mordant bath and handle the threads") in the art of weaving. It is also in their hands that the fabric, once completed, fully takes its place at the heart of the Gawai Enchaboh Arong ceremony.
This ceremony, which has men and women come together to ensure the protection and prosperity of the community, is conceived as a direct link to the ancestral practice of headhunting, an exclusively male activity. When young warriors have proven their bravery and return to the village with a trophy head, the Gawai Enchaboh Arong is the step that completes this rite of passage. Kneeling down, like a midwife bringing a baby into the world, the weaver carefully collects the head in her pua sungkit and places the whole in a ceramic bowl. Carried through the village by a procession of chanting women, the trophy head undergoes a ritual purging. Cleared of all negative energy by the combined action of the supernatural power of the pua sungkit and the women's singing, it finally reaches the desired stage of being a beneficial object of power, capable of ensuring the prosperity and continuity of the clan.
The decorative choice of the six rows of deities that form the central motif of this pua and its beautiful deep red color, which heightens the blue indigo-dyed decorations, are the precious mark that this textile is the work of a weaver with a particularly strong ritual power. Similar in its decoration to the pua sungkit previously in the Steven G. Alpert collection, now in the Dallas Museum of Art, it is without contest a splendid example of technical mastery in the service of ritual art.