Livres et Manuscrits
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[DROUAIS]. Fête de madame Drouais. Manuscrit vers 1773-1774. Reliure en soie peinte et brodée.
Lot Closed
December 15, 02:11 PM GMT
Estimate
15,000 - 20,000 EUR
Lot Details
Description
[RELIURE PEINTE]. [DROUAIS, Anne-Françoise et François Hubert]
Fête de Madame Droüais.
Manuscrit, encre sur papier.
Vers 1773-1774.
Petit in-folio (317 x 203 mm). 24 feuillets (dont un titre et 16 feuillets de texte, les autres vierges plusieurs avec traces de réglure au crayon) retenus par un ruban de soie bleue passant dans un œillet au milieu du dos plat, soie peinte, plat supérieur orné d’un médaillon central aux emblèmes de l’Amour (feu, couronne florale, lacs) flanqué d’un angelot et d’un trophée aux attributs de la peinture, fleurs de lys aux angles, second plat avec bordure brodée de fils de soie jaune, ivoire et rose, doublure et gardes de tabis rose, étui (Reliure de l’époque).
Quelques rousseurs au verso des feuillets de garde. Reliure salie, large mouillure au second plat.
Précieux témoignage d’un théâtre de société dans une délicate reliure de soie peinte.
Manuscrit très soigneusement calligraphié à l’encre brune, rouge et verte d’un divertissement donné en l’honneur d’Anne-Françoise Drouais et de son époux, le célèbre portraitiste François-Hubert Drouais. Le titre, à l’encre rouge et verte, est orné du même médaillon que celui de la reliure avec les noms "F. Drouais" et "Anne Doré".
Les ornements de la page de titre ne sont pas sans évoquer les développements décoratifs à la plume du maître écrivain Berny de Nogent (1722-1779).
Anne-Françoise Doré, épouse, le 27 juillet 1758, à Saint-Roch, François-Hubert Drouais, fils du peintre Hubert Drouais. Reçu quelques mois plus tard à l’Académie, François-Hubert devient rapidement un portraitiste très en vogue, peintre de la cour, loué par Diderot, adulé par la marquise de Pompadour et la comtesse du Barry.
"Les Drouais étaient d’excellents époux. François-Hubert et Anne-Françoise Doré firent un très gentil ménage" (Gabillot, Les trois Drouais). Après leur mariage, ils s’installent dans un appartement passage Saint-Roch. Le Nécrologe (année 1776, Éloge de Drouais) rapporte que l’artiste y vivait "au sein d’une famille à laquelle il était cher et qu’il aimait tendrement, occupé du bonheur d’une compagne aimable qu’il s’était choisie, et qui peignait elle-même d’une manière distinguée." De leur union naquirent quatre enfants : Hubert-Léopold (1759-1762) ; Marie-Anne-Louise (1762-1776), Germain-Jean (1763-1788), qui sera peintre également, et Pierre-Marie (1769-1775).
Cette pièce de circonstance, hommage rendu à Madame Drouais et au talent du peintre, semble avoir été jouée à l’occasion de l’anniversaire de leurs quinze ans de mariage comme le laisse supposer l’inscription en bas du titre "Quinze ne font qu’un". Chaque membre de la famille Drouais y tenait un rôle : Mme Drouais jouait la Peinture, M. Drouais fils (Germain-Jean) un génie couronnant les arts, Melle Drouais (Marie-Anne-Louise) incarnait Flore et le petit frère (Pierre-Marie) un Amour. Quinze autres demoiselles (symbolisant vraisemblablement les quinze années de mariage) interprétaient des nymphes, élèves de la peinture. Ces "demoiselles" étaient sans doute des membres de la famille parmi lesquelles auraient pu figurer Catherine Lusurier, nièce du peintre et sans doute aussi son élève.
La distribution précise que le petit frère était alors âgé de cinq ans. Pierre-Marie, né le 11 juillet 1769 meurt le 22 mai 1775. La représentation de cette pièce a donc été donnée entre le 11 juillet 1773 et le 11 juillet 1774.
Ce divertissement familial, témoigne du lien indéfectible qui soudait cette famille et dont Madame Drouais semble bien être la figure tutélaire. La pièce se déroule chez M. Drouais et se présente sous la forme d’un dialogue rimé dont les protagonistes sont la Peinture (Madame Drouais) et un génie (Germain-Jean, son fils aîné). Tour à tour ils se répondent, brossant l’éloge du peintre auquel "Les Raphaël, les Michel-Anges (sic) […] prêtent leur éclat" et rendant hommage au roi Louis XV dont la Peinture loue le "règne fertile en prodiges".
Cet intermède allégorique chante l’amour conjugal et filial, l’admiration d’une femme pour son mari et la tendre reconnaissance de leurs enfants. L’Amour, interprété par le petit dernier, Pierre-Marie, qui mourut l’année suivante, témoigne de la tendresse qu’il porte à ses parents : "Drouais, et sa tendre compagne, / Sont mes deux plus dignes héros ; Près de ces Epoux adorables, Mes droits sont au dessus de tous […]".
Les derniers vers, adressés par tous à la Peinture, célèbre Anne-Françoise Drouais "Mère digne de nos autels, / Epouse, à jamais, respectable / Du plus révéré des Mortels […]"
François-Hubert Drouais meurt l’année suivante, Anne-Françoise en 1809.
Cet élégant manuscrit, préservé dans une ravissante et rare reliure de présentation en soie peinte, est non seulement un touchant témoignage sur la vie intime du célèbre portraitiste, le "seul homme qui sache peindre des femmes" selon Grimm, mais aussi le reflet d’une harmonie familiale dont la peinture et la littérature du XVIIIe se sont fait les chantres.
Nous tenons à remercier Dr Catherine Egan, Department of History, La Trobe University, pour les précisions qu’elle nous a aimablement apportées sur la famille Drouais.
Référence : Camille Gabillot, Les trois Drouais in "La Gazette des Beaux-Arts", 577e livraison, 1er juillet 1905, p. 384-400 et 583e livraison, 1er janvier 1906, p. 246-258.