Bibliothèque littéraire Hubert Heilbronn
Bibliothèque littéraire Hubert Heilbronn
Oeuvres. 1806 . Rel ép. Précieux exemplaire annoté (plus de 115 annotations).
Auction Closed
May 11, 05:00 PM GMT
Estimate
30,000 - 50,000 EUR
Lot Details
Description
[Stendhal, Henri Beyle dit] -- Luc de Clapiers, Marquis de Vauvenargues
Œuvres complètes […] Nouvelle édition augmentée. Tome I. Paris, Dentu, 1806.
In-8 (205 x 125 mm). Veau raciné, dos lisse orné, pièces de titre et de tomaison de chagrin rouge, tranches marbrées (Reliure de l’époque). Chemise et étui demi-basane marbrée. Légères usures, déchirure restaurée p. 263. Étui frotté.
PRÉCIEUX EXEMPLAIRE ANNOTÉ PAR STENDHAL, puis par son ami de jeunesse Félix Faure.
Ce premier tome contient : Introduction à la connaissance de l’esprit humain, Réflexions sur divers sujets, Conseils à un jeune homme, Réflexions critiques sur quelques poètes, Les orateurs, et Caractères.
Plus de 115 annotations, à l’encre, de la main de Stendhal, allant d’une simple accolade ou d’un simple mot à un commentaire de plusieurs lignes.
Ces marginalia présentent le mélange caractéristique d’anglais et d’italien, l’usage des pseudonymes et des noms cryptés propres à Stendhal. Elles livrent autant d’indices sur ses goûts, appétences ou inimitiés littéraires que de jugements, plus ou moins indulgents, sur Vauvenargues ainsi que sur ses proches, comme ses cousins Daru ["Pacé" et "Probus"] ou Romain Colomb ["Kolon"]. Il y a par exemple deux notes qui se rapportent au passage sur l’amitié, la première sur la garde au début du volume : "Ennuyez les ennuyeux, ils vous lâcheront sans vous haïr. With Kolon at Frascati, je l’ennuyai de 10 heures à minuit, il ne m’ennuya plus du reste du voyage" et la seconde, très semblable, p. 146 : "Ennuyez-les, cosi io mi liberai di Kolon, at Frascati".
Certaines clefs sont dévoilées, au crayon (de la main de Faure ?) lorsque Stendhal n’a noté que des initiales ou des surnoms : ceux de ses amis Micoud, Marignier, Barral ou de ses amours de jeunesse, Mélanie Guilbert, Victorine Mounier, Angéline Bereyter, etc.
Lecteur attentif et critique, Stendhal commente à la fois le style et les propos de Vauvenarges, qui sont loin de le convaincre. Car s’il indique parfois le style "doux et de très bon ton" ou une idée bien exprimée ou "true", soulignant certaines phrases de "bravo", il n’hésite pas à parler de passages médiocres ou archifaux, d’idées passables, vagues, communes, voire vides ou pitoyables, comme il se livre aussi à des commentaires nourris, laissant transparaître déjà un certain désenchantement.
Citons en exemple, la note en bas de page à propos d’un homme fat tournant tout en ridicule, condamné par le moraliste (p. 138) : "Si V[auvenarges] eut été placé plus haut, il eut vu que le Rire est le seul plaisir que des indiférens puissent se donner mutuellement ; et que sous la Monarchie, les sujets ayant des intérêts essentiellement séparés, les sociétés ne peuvent être formées que d’indiférens. Si d’après cela on introduit les femmes comme élément, on verra qu’en ce pays, il ne peut y avoir en général de vrai plaisir que par des plaisanteries sur des sujets aisés à saisir".
Ou encore, p. 147 et 148, en marge du paragraphe sur la versatilité des sentiments : "C’est un des derniers pas à faire pour se délivrer du joug des hom[mes]. Si en rentrant chez vous, nous n’êtes pas malheureux d’avoir vu que Mr… ne vous goûte plus, se dégoûte de vous, n’est plus amusé par votre esprit, réjouissez-vous, il ne vous reste presque plus rien à faire pour aplanir la route qui conduit to the happiness. […] Si M. A. ne me goûte plus, Mr. B. me goûtera sinon M. C. Je trouverai toujours un hom[me] qui fournira to my vanity sa ration journalière de louanges."
Si Stendhal se réfère à plusieurs reprises à ses autres lectures, relevant la supériorité d’Helvetius, d’Hobbes ou de Destutt de Tracy, il affirme ne jamais lire Rousseau. Et on relève déjà des opinions bien arrêtées sur les dramaturges de l’époque classique, opinions que l'écrivain exposera dans son pamphlet Racine et Shakespeare (voir lot 173), donnant déjà la préférence à Molière et Corneille, éloquent et naturel, sur Racine trop classique.
Enfin, il note sur le dernier feuillet blanc "Phrases à relire, elles sont en petit nombre" avec renvois à une vingtaine de pages, parfois avec une note de commentaire, et qui sont pour la plupart soulignées d’un trait ou d’une accolade.
Toutes ces notes ont été publiées in extenso par Victor Del Litto qui commente la relation de Stendhal à Vauvenargues, auteur lu dès ses 20 ans, relu deux ou trois ans plus tard et repris encore, à la veille du départ pour l’Italie comme le prouve l’une des notes de cet exemplaire (p. 169), datée de 1811, à propos de l’ennui ressenti devant une tragédie et les héros qui parlent comme des proclamations.
C’est peut-être en raison de ce départ que le livre est resté entre les mains et dans la bibliothèque de son ami Joseph Désiré Félix Faure (1780-1859) où il fut retrouvé, présentant également une quinzaine de notes de la main de Faure, et quelques autres au crayon parfois rehaussées à l’encre, d’une rédaction postérieure, comme en témoigne celle à la dernière garde, faisant allusion à Napoléon et datée de Grenoble mars 1815.
Natif de Grenoble, Félix Faure mena une carrière brillante de magistrat et de député, de la cour d'appel à la cour de cassation. Il resta lié à Stendhal durant de longues années même si une certaine distance finit par s’installer entre les deux hommes, notamment en raison de leurs opinions politiques dissemblables.
(Pour un exemplaire de Stendhal annoté par Félix Faure, voir lot 170).
[On joint :]
DEL LITTO, V. "Marginalia inédits de Stendhal sur un Vauvenargues", Mercure de France, n° 1053, 1er mai 1951. In-8. Broché, avec dactylographie du même article, avec envoi (nom découpé), 21 feuillets in-4.
SAINTVILLE, G. "Stendhal et l’édition de 1806 des Œuvres de Vauvenargues", Bulletin du Bibliophile, n° 2, 1952.
Provenance : Charles Filippi (ex-libris ; octobre 1994, n° 175).