Livres et Manuscrits

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XXe siècle

Bataille, Georges

3 lettres autographes à Isabelle Waldberg [1939].

Lot Closed

December 8, 02:20 PM GMT

Estimate

2,000 - 3,000 EUR

Lot Details

Description

XXe siècle


Bataille, Georges


3 lettres autographes dont 2 signées à Isabelle Waldberg.

[Saint-Germain-en-Laye, début 1939].


Une page in-4 (270 x 210), à l’encre, non signée, 2 pages in-8 (210 x 135 mm), au crayon, signées "Georges" et une page in-12 (100 x 140 mm), à l’encre noire, signée "G.".


LA MYSTÉRIEUSE ET PASSIONNELLE RELATION ENTRE GEORGES BATAILLE ET LA SCULPTRICE ISABELLE WALDBERG.


"Peut-être ce qui est arrivé entre nous ne peut conduire qu’à des extases qui ne soient plus charnelles".


Elles datent très probablement du début de l’année 1939, après le décès de la compagne de Bataille, Colette Peignot dite Laure.


─ "Vous devez sentir que ce qui arrive n’est possible que si nous devenons très durs. Les glissements ne sont plus possibles, cela deviendrait vite boueux et, en tout cas, tout ce que nous avons espéré y sombrerait". Il a cependant hâte de la voir : "je voudrais que vous soyez mille fois heureuse cette nuit-là, mais je voudrais aussi que ce qu’il y a de plus merveilleux et de plus pur entre nous y transparaisse, quelque chose d’intangible. Rappelez-vous l’après-midi à Carrières".


─ Jeudi soir. Bataille se dit plein d’inquiétude sur ce qui peut advenir d’elle et de lui, conscient que reculer n’est pas la solution : "Vous savez bien qu’hier nous n’étions plus qu’au bout ou à la crête de la vie. Seulement je ne crois pas possible de s’arrêter sur un tel chemin. Peut-être ce qui est arrivé entre nous ne peut conduire qu’à des extases qui ne soient plus charnelles. […] Je ne peux pas savoir ce que tu éprouves, du moins je ne peux pas en être sûr mais je suis, moi, réduit à choisir entre la mort et une telle absence de repos qu’il faut bien que je devienne absolument dur aussi bien pour moi-même que pour les autres. […] il faudrait que, toi aussi, tu deviennes dure et que, toi aussi, tu veuilles aller au-delà de ce qui nécessite que nos corps s’ouvrent. Je t’écris cela parce que j’ai une terrible confiance en toi".


─ "Je suis triste si vous avez mal compris et si vous avez cru à un changement. Il n’y a pas d’autres changements que celui-ci, qu’il faut à certains moments se reprendre, alors c’est le visage fermé et purement volontaire qui apparaît. […] Mais il ne faut pas douter de ce qui m’attire vers vous si fort".


Née en Suisse, Marghareta Isabella Maria Farner (1911-1990) s’initie à la sculpture au début des années 1930, fréquentant le milieu artistique zurichois avant de s’installer à Paris où sa rencontre avec Giacometti se révèle capitale pour l’évolution de son art. C’est en 1938 qu’elle fait la connaissance du poète et critique d’art Patrice Waldberg, proche des surréalistes, qui deviendra son mari et lui fait adopter son deuxième prénom, Isabelle. Ensemble, ils suivent les cours de Marcel Mauss et de l’ethnologue Paul Rivet, devenant membres du Collège de Sociologie à l’initiative de Georges Bataille, suivant ce dernier dans l’aventure nietzschéenne de la revue Acéphale et de la société secrète homonyme qui se constitue avec quelques proches de Bataille. Après la mort de Colette, les Waldberg s’installent à la fin de l’année 1938 à Saint-Germain-en-Laye, où s’était installé Bataille, pour le soutenir dans cette épreuve.


La relation amoureuse qui s’établit entre la sculptrice et l’écrivain resta longtemps méconnue et presque aussi secrète que la société Acéphale fondée par Bataille quelque temps auparavant, les "intronisés" s’engageant à garder le silence sur leurs activités, placées sous la figure tutélaire de Nietzsche, mais aussi de Sade, Kierkegaard, Dionysos ou Don Juan. On décèle, à travers ces trois missives, une exaltation certaine, entre matérialisme et symbolique, passion et morbidité, nourrie des obsessions de leur auteur et sans doute aussi de certains rites mis en place par cette petite communauté ésotérique dont Isabelle Waldberg fut la seule participante féminine à l'exception de Laure, rituels diurnes ou nocturnes qui flirtèrent très probablement avec le fantasme du sacrifice humain. 


Bataille dissout le groupe Acéphale en octobre 1939. Isabelle Waldberg rejoint Paris, accouche d’un fils en mars 1940 et parvient à rejoindre New York en 1943, s’y marie et poursuit son travail de sculptrice, aux côtés des surréalistes en exil, jusqu’à son retour en France après la guerre, participant à de nombreuses expositions individuelles ou collectives.

"Isabelle sculpte, ausculte, s'occulte et exulte" (Marcel Duchamp, carton d’invitation de la Galerie Georges Bongers, Paris, 1969).


Référence : "Trois lettres à Isabelle Waldberg" in L’Infini, n° 147, printemps 2021, p. 65-77, avec une présentation de C. Waldberg et un commentaire de Chr. Le Guerroué. ─ M. Surya. Georges Bataille, la mort à l’œuvre, Gallimard, 1992.