Lot 13
  • 13

Jean Dubuffet

Estimate
450,000 - 650,000 EUR
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Description

  • Jean Dubuffet
  • L'Organique tragique
  • signé et daté; signé, daté et titré au dos
  • huile sur toile

  • 89 x 116 cm; 35 x 45 5/8 in.
  • Exécuté en juin 1957.

Provenance

Galerie Facchetti, Paris
Galerie Emmanuel Moatti, Paris
Collection privée, Paris
Vente: Sotheby's, Londres, 22 juin 2005, Contemporary Art Evening, lot 51
Acquis lors de cette vente par le propriétaire actuel

Literature

Max Loreau, Catalogue des Travaux de Jean Dubuffet, Fascicule XIII: Célébration du Sol I: Lieux cursifs, texturologies, topographies, Lausanne 1969, p.40, no.50, illustré
Jean Dubuffet, Jean Dubuffet: catalogue des peintures faites à Vence du 1er avril au 31 août 1957, Paris 1958, no.9, illustré
Lorenza Trucchi, Jean Dubuffet, Rome 1965, p.230, no.196, illustré

Condition

The colours are fairly accurate in the catalogue illustration although the overall tonality is lighter and more nuances are visible in the original. The work is executed on its original canvas and is not relined. No trace of retouching is visible under UV light. The work is in excellent condition.
"In response to your inquiry, we are pleased to provide you with a general report of the condition of the property described above. Since we are not professional conservators or restorers, we urge you to consult with a restorer or conservator of your choice who will be better able to provide a detailed, professional report. Prospective buyers should inspect each lot to satisfy themselves as to condition and must understand that any statement made by Sotheby's is merely a subjective, qualified opinion. Prospective buyers should also refer to any Important Notices regarding this sale, which are printed in the Sale Catalogue.
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Catalogue Note

signed and dated; signed, dated and titled on the back; oil on canvas. Executed in 1957.

L'Organique tragique fait partie des quelques trente œuvres primordiales du cycle des Lieux cursifs peint par Jean Dubuffet entre avril et septembre 1957. A mi-chemin entre le cycle des Routes et chaussées (mars 1956) et celui des Topographies (septembre 1957 – avril 1958), L'Organique tragique datée de juin 1957 est une œuvre capitale dans la représentation visuelle et mentale que se fait l'artiste de l'espace urbain et des formes qui le peuplent. 
L'Organique tragique est riche chromatiquement et graphiquement. Si la palette de couleurs semble se concentrer sur les ocres, bruns, beiges et pourpres, le traitement de la pâte picturale génère une multitude de teintes. Dans ses carnets d'atelier, Jean Dubuffet note comment il procède: par juxtaposition et superposition d'empâtements, sommaires et rapides, tantôt brossés, tantôt lissés. Après maints temps alternatifs de séchage et reprises ponctuelles de la matière, l'apprêt est recouvert de «pâte claire ocrée par endroits, de pâte très claire éclatante par d'autres» (Extrait du carnet d'atelier de Jean Dubuffet, Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, fascicule XIII, p. 44). Cet enduit clair joue comme une patine dont l'irrégularité accroît les nuances de tons, fussent-ils terreux. La richesse graphique de L'Organique tragique surgit dans la phase ultime de l'exécution du tableau: au moment où l'artiste se met  «avec le bout du couteau rond, [à] tracer le graffiti». Par soustraction de matériau, le tracé en creux ajoute au propos. Entre accumulation et lacération, L'Organique tragique est une œuvre tout à fait exemplaire d'un Art brut tel que le pratique la figure tutélaire du mouvement.

Organique : l'œuvre l'est dans sa texture à force d'être fouillée. Dans l'Organique tragique, tout se passe comme si les couches mêlées de pigments, dont la base est minérale, devenaient terre, limon, humus. La confusion entre l'organique et le minéral se prolonge dans l'iconographie: la pierre et le béton des façades délabrées et de la chaussée accidentée entrent en collision avec les corps désarticulés de trois grandes figures. Tout est ramené sur le même plan. Et pour cause, puisque les silhouettes sont creusées dans la couche picturale, la matière même du mur et du macadam. Les graffittis tous azimuts qui dessinent simultanément les contours de l'espace urbain et ceux des personnages créent un réseau cellulaire tout à la fois explosé et confluent.

Tragique : la composition de l'œuvre est pleine de tension. A partir d'éléments fixes et obsédants (ville, immeuble, route et fenêtre), se joue une tragi-comédie urbaine dont trois silhouettes impersonnelles sont les acteurs. Les deux figures monumentales qui s'agitent au point d'en perdre l'équilibre ont un air menaçant, coïncidant avec le grondement que représente le foisonnement de la ville. Au centre de la toile, comme accroché au mur, un buste de profil occupe l'embrasement d'une fenêtre. Tout l'oppose aux figures en pied (et en mains) qui battent le pavé.  Lui est statique. Elles sont agitées. Lui est à l'intérieur d'un espace réduit au chambranle de la fenêtre. Elles déambulent au contraire dans l' «overall» de l'espace urbain. De Lucian Freud à Jean-Michel Basquiat en passant par Magritte et Brassaï (dont les clichés de graffitis pris au hasard des murs sont d'inspiration très «brute»), le motif «classique» de la fenêtre se retrouve. Permettant sauts de perspective et mises en abyme, il est invariablement intermède entre monde extérieur et monde intérieur. Dans l'œuvre de Jean Dubuffet, isolé au centre de la partie supérieur de la toile, il est au cœur de la tragédie. Les agresseurs du dehors s'agitent sous la fenêtre. Le voyeur est vulnérable et la menace s'accentue par la compression plane de la perspective, la rue ayant tendance à se déverser au-delà du mur. Perdu au milieu d'un lieu aussi cursif qu'agressif, la fenêtre s'impose comme le dernier et dérisoire bastion contre la brutalité environnante. Qu'il soit pris ou non d'assaut, il appartient au spectateur d'imaginer un intervalle entre l'agitation de la matière et de la pensée intérieure. La poésie des chefs d'oeuvre est le défi d'un tableau aussi fondamental que L'Organique tragique.